- Tout ça est dans le Talmud ? demanda Mendel qui n’avait encore rien dit.- Dans le Talmud et ailleurs, dit Mottel.- Qu’est-ce que c’est que le Talmud ? demanda Piotr. C’est votre Evangile ?- Le Talmud, c’est un peu comme une soupe où il y aurait toutes les choses qu’un homme peut manger, dit Dov. Mais le blé s’y trouve avec le son, les fruits avec les noyaux et la viande avec les os. Ce n’est pas tellement bon, mais ça nourrit. C’est bourré d’erreurs et de contradictions, mais justement à cause de cela, ça vous apprend à raisonner. Et qui l’a tout lu...Pavel l’interrompit :- Je vais te l’expliquer par un exemple, moi, ce que c’est que le Talmud. Ecoute bien : deux ramoneurs tombent dans le conduit d’une cheminée ; l’un d’eux s’en tire tout couvert de suie, l’autre tout propre. Quel est celui des deux qui va aller se laver ?Soupçonnant un piège, Piotr regarda autour de lui comme pour chercher de l’aide. Puis il s’arma de courage, et répondit :- Celui qui est couvert de suie.- Erreur, dit Pavel. Celui qui est sale voit le visage de l’autre, qui est tout propre, et croit l’être aussi. Alors que celui qui est propre voit la suie sur le visage de l’autre, croit être sale et va se laver. Tu as compris ?- Oui, j’ai bien compris. C’est bien raisonné.- Attends, l’exemple continue. Je vais te poser une deuxième question. Ces deux ramoneurs tombent une seconde fois dans la même cheminée, et une fois encore l’un est sale et pas l’autre. Quel est celui qui va se laver ? - Je t’ai dit que j’avais compris. C’est le ramoneur qui est propre qui va se laver.- Erreur, dit Pavel impitoyable. En se lavant après la première chute, celui qui était propre avait remarqué que l’eau de la cuvette ne devenait pas sale, tandis que celui qui était sale avait compris la raison pour laquelle celui qui était propre était aller se laver. Aussi, cette fois, c’est le ramoneur sale qui va se laver.Piotr écoutait, bouche bée, mi-effrayé, mi-intrigué.- Et maintenant la troisième question. Les deux ramoneurs tombent une troisième fois dans la cheminée. Quel est celui des deux qui va se laver ?- Dorénavant, je dirai que c’est celui qui est sale qui va se laver.- Encore une erreur. Tu as déjà vu, toi, que deux types tombent dans la même cheminée, et que l’un soit propre et l’autre sale ? Voilà, le Talmud, c’est un peu comme ça.Primo Levi, Maintenant ou jamais (10/18 pp. 200-201)
- Tout ça est dans le Talmud ? demanda Mendel qui n’avait encore rien dit.- Dans le Talmud et ailleurs, dit Mottel.- Qu’est-ce que c’est que le Talmud ? demanda Piotr. C’est votre Evangile ?- Le Talmud, c’est un peu comme une soupe où il y aurait toutes les choses qu’un homme peut manger, dit Dov. Mais le blé s’y trouve avec le son, les fruits avec les noyaux et la viande avec les os. Ce n’est pas tellement bon, mais ça nourrit. C’est bourré d’erreurs et de contradictions, mais justement à cause de cela, ça vous apprend à raisonner. Et qui l’a tout lu...Pavel l’interrompit :- Je vais te l’expliquer par un exemple, moi, ce que c’est que le Talmud. Ecoute bien : deux ramoneurs tombent dans le conduit d’une cheminée ; l’un d’eux s’en tire tout couvert de suie, l’autre tout propre. Quel est celui des deux qui va aller se laver ?Soupçonnant un piège, Piotr regarda autour de lui comme pour chercher de l’aide. Puis il s’arma de courage, et répondit :- Celui qui est couvert de suie.- Erreur, dit Pavel. Celui qui est sale voit le visage de l’autre, qui est tout propre, et croit l’être aussi. Alors que celui qui est propre voit la suie sur le visage de l’autre, croit être sale et va se laver. Tu as compris ?- Oui, j’ai bien compris. C’est bien raisonné.- Attends, l’exemple continue. Je vais te poser une deuxième question. Ces deux ramoneurs tombent une seconde fois dans la même cheminée, et une fois encore l’un est sale et pas l’autre. Quel est celui qui va se laver ? - Je t’ai dit que j’avais compris. C’est le ramoneur qui est propre qui va se laver.- Erreur, dit Pavel impitoyable. En se lavant après la première chute, celui qui était propre avait remarqué que l’eau de la cuvette ne devenait pas sale, tandis que celui qui était sale avait compris la raison pour laquelle celui qui était propre était aller se laver. Aussi, cette fois, c’est le ramoneur sale qui va se laver.Piotr écoutait, bouche bée, mi-effrayé, mi-intrigué.- Et maintenant la troisième question. Les deux ramoneurs tombent une troisième fois dans la cheminée. Quel est celui des deux qui va se laver ?- Dorénavant, je dirai que c’est celui qui est sale qui va se laver.- Encore une erreur. Tu as déjà vu, toi, que deux types tombent dans la même cheminée, et que l’un soit propre et l’autre sale ? Voilà, le Talmud, c’est un peu comme ça.Primo Levi, Maintenant ou jamais (10/18 pp. 200-201)