Cet essai présente un réel intérêt pratique en mettant en lumière, de la manière la plus pragmatique qui soit, les principales différences culturelles qui opposent les deux rives de l’Atlantique. Il apporte en outre au candidat au voyage les conseils qui lui permettront de comprendre un univers différent du sien, tout en évitant de commettre des gaffes inutiles. L’approche ne se veut pas scientifique – on ne trouvera dans aucun chapitre de références aux excellents travaux d’anthropologues ou de sociologues, tels Edward T. Hall ou Gert Hofstede. Elle est essentiellement basée sur l’observation et l’expérience, ce qui ne l’empêche pas, loin s’en faut, de se révéler pertinente. J’ai pu retrouver, au fil des pages, tout à la fois des situations que j’avais personnellement vécues lors de mes multiples séjours aux Etats-Unis et une partie du contenu du cours de relations interculturelles franco-américaines que je donne chaque année à mes étudiants et aux cadres d’entreprises.
Dès les premières lignes, l’auteur apporte une précision capitale : « Les Américains ne sont pas des Européens qui ne parlent que l’anglais, et les Européens ne sont pas des Américains qui parlent des langues étrangères ». Celui qui n’intègrerait pas cette notion, qui ne prendrait pas conscience du gouffre culturel séparant les deux peuples, se réserverait en effet de redoutables déconvenues. De même, imaginer que les Etats-Unis s’apparentent à l’image que le cinéma et les séries télévisées véhiculent serait une grave erreur.
Pour Tamarik, tout commence avec le contenu des bagages du voyageur, ce qu’il faut emporter et… éviter d’emporter, comme les vêtements transparents ou qui découvriraient trop le corps, surtout pour les visiteurs de l’Amérique profonde ultra-puritaine. Les codes vestimentaires sont détaillés, de même que les comportements à adopter, à l’arrivée, pour éviter tout problème au contrôle de l’immigration et à la douane (beaucoup de produits, pour nous courants, sont interdits, là-bas, à l’importation). Viennent ensuite de judicieux avertissements à destination des conducteurs qui envisageraient de se déplacer en voiture, mais aussi sur la nourriture que l’on trouvera sur place, dans les restaurants ou les supermarchés, et sur la pratique des sports, qui devient aujourd’hui une sorte d’obligation sociale.
A la lecture de cet essai, ceux qui ne connaissent pas encore les Etats-Unis prendront conscience des dimensions paradoxales de ce pays. Ainsi, les Américains se montrent farouchement individualistes (ce que confirment les travaux d’Hofstede), mais cet individualisme n’est guère comparable à celui des Français : « [leur individualisme] est dans le contexte d’un groupe, le nôtre dans le développement d’une personnalité et d’un charme individuel. Nous ʺcultivons notre jardinʺ pour notre plaisir propre, ils cultivent leur compte en banque ou tondent leur pelouse pour montrer à leur communauté combien ils ont réussi. » Cette différence induit d’importantes conséquences : là où nous n’avons cure de ce que pensent nos voisins du mode de vie que nous choisissons, les Américains se trouvent soumis à une pression sociale que l’on ne rencontre que dans les sociétés de culture communautaire (Proche-Orient, Asie, Afrique) où l’individu n’existe qu’en relation avec son groupe de référence. Cette pression les oblige à constamment respecter des règles contraignantes de comportement et des impératifs hygiénistes concernant la pratique d’un sport, d’une religion ou encore – puritanisme oblige – à entretenir un rapport à l’alcool, au tabac et à la sexualité qui relève de la diabolisation. Le fait que certaines communautés chrétiennes qui communient sous les deux formes aient remplacé le vin par du jus de groseille en donnent un exemple aussi consternant que significatif.
Les relations hommes/femmes, très différentes de celles que nous entretenons en Europe, font l’objet d’un intéressant développement. De même, le chapitre 8, dédié au « politiquement correct » sera utile pour éviter de multiples bévues. L’auteur en donne une définition claire : « une obsession nationale qu’il ne faut pas prendre pour la marque d’un esprit ouvert. C’est juste la frilosité d’une société en perpétuelle autocensure » – une notion qui, hélas, envahit et empoisonne progressivement notre propre espace… En illustration du propos, figurent des phrases à éviter ainsi que leur traduction politiquement correcte, dont certaines relèvent, il faut toutefois l’avouer, de la plaisanterie. Ainsi, « Ton mec, il se rase parce qu’il est chauve comme un œuf » deviendra (de manière très lacanienne) : « Ta moitié signifiante aurait-elle des problèmes folliculaires ? »
Elle souligne en revanche le désastre de santé publique dû au puritanisme religieux, surtout auprès des jeunes : « Depuis les années 1980, le gouvernement américain a favorisé l’enseignement de l’abstinence sexuelle. Et malgré les fonds fédéraux alloués, les résultats ne démontrent que l’inexorabilité de l’effervescence hormonale adolescente. […] un quart des filles de quatorze à dix-neuf ans ont une MST […] et un Américain sur six a un herpès génital. Le taux des mères adolescentes est le plus élevé des pays industrialisés. » En réintroduisant l’éducation sexuelle dans les programmes d’enseignement, Barack Obama passe pour un suppôt de Satan auprès des conservateurs, mais cette mesure était nécessaire pour inverser ces tendances inquiétantes, que confirme d’ailleurs le rapport annuel ONUSIDA.
Si Ils sont fous ces Américains sert de guide aux voyageurs (des particularités régionales étant d’ailleurs prises en compte), l’essai pourra intéresser bien d’autres lecteurs désireux, plus simplement, de passer un bon moment. En effet, l’auteur a délibérément choisi de traiter son sujet avec un humour constant, parfois grinçant, voire noir. Sans doute le livre agacera-t-il les inconditionnels des Etats-Unis qui, ne s’y étant jamais rendus, en ont construit une image fantasmée, idéalisée, car ils seront confrontés à des réalités factuelles qui contrarieront leur rêve. Mais, une fois encore, le paradoxe américain s’impose. Jorge Luis Borges voyait dans les Etats-Unis de la seconde moitié du XXe siècle le « royaume de la vulgarité », jugement sévère, mais dans bien des cas parfaitement justifié. Pourtant, certains aspects de la culture américaine sont tout à fait positifs ; ainsi, il n’y a guère que dans ce pays que réside une facilité d’entreprendre et une liberté d’innover qui font trop souvent défaut sur notre vieux continent, par trop frileux dès qu’il s’agit d’encourager les initiatives.
Illustrations : Panneau sur la route 66 - Panneau publicitaire religieux.