En une petite soixantaine de pages, Caroline Sagot Duvauroux
donne (le mot est choisi à dessein), un livre très important. Important pour la
poésie et son œuvre propre, qu’il pourrait marquer profondément, mais aussi, on
peut sans doute le dire, pour notre monde.
Elle rapporte ici ce qu’il faut bien appeler une expérience. Un court séjour sur le Causse Méjean à l’été 2009,
alors qu’elle vient de quitter le festival de Lodève : « Je suis
arrivée de Lodève et des poèmes. Des dramaturgies des hommes. Juste après
Caylar juste après St Jean-du-Bruel on entre. Il n’y a rien c’est ici.» Que se
passe-t-il en ces quelques jours de juillet sur le causse ? Dans le
« rien » du paysage, magnifiquement évoqué à plusieurs reprises, les
lavandières cueillent une lavande sauvage très recherchée. Et Caroline
Sagot-Duvauroux, vivant l’expérience d’être là, de regarder les cueilleuses, de
participer peut-être à leur travail, à leur vie en tous cas, découvre ce « il n’y a rien c’est ici », et que « l’admiration s’effare, on a
quitté la pensée » et enfin que « les mots tremblent dans les
confins. Pas convoqués ».
Autrement dit, elle va vivre là une intensité d’accord avec le monde, au sein
de laquelle « le pérenne vous éclate l’éphémère ».
Elle va réussir cependant, sans doute en raison de son obstiné travail de
poète, à comprendre qu' « une parole veut », même si de prime abord
elle « ne peut pas sous l’avalanche de voir ».
Ce qui saisit aussi c’est que si elle expérimente frontalement que la
« montagne a évacué les siècles d’homme, entassé les mythologies »,
elle parvient à insérer dans le récit de ces quelques jours sur le Causse, un
double contrepoint. Le premier système d’insert évolue entre conte et
mythologie et se présente comme de courts poèmes en bloc, au centre de la page tandis
que plus loin sont montés dans le texte des extraits d’un livre de bord de
l’armée israélienne opérant dans les territoires palestiniens. L’expérience
personnelle se trouve ainsi dotée d’une double dimension temporelle, greffée
sur le passé le plus ancestral, ancré dans le présent le plus brûlant.
L’expérience presque mystique vécue sur le Causse ne la retranche pas, il la
relie, très profondément : « Tout est là venu et moi venant » et
suscite cette assertion magnifique et centrale, qui rend ce livre si
nécessaire : « Je suis venue là pour oui ».
On pourrait multiplier les citations, le texte est d’une densité extrême et
l’auteur a l’art de formulations qui frappent, depuis la sentence quasi
philosophique jusqu’au fragment de poème, les deux souvent au demeurant
intimement mêlés.
Pour conclure, cette phrase qui dit bien la visée du livre « on a pensé
pourtant : pourrait s’inventer là l’humanité ».
par Florence Trocmé
Caroline Sagot Duvauroux, Le Buffre, éditions Barre Parallèle, 2010, 8 €