La réalité est têtue... On a beau tourner les chiffres dans tous le sens, on a beau élaborer des explications d'une complexité inextricable, l'économie conserve un rôle simple et fonctionnel : répartir les richesses et fixer les conditions du commerce.
Pascal Franchet, contrôleur des impôts, syndiqué CGT, animateur du groupe Nord du Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers-Monde, mène un travail de vulgarisation qui vise à rendre compréhensible à tous les réalités du monde financier.
Même démarche que l'économiste Frédéric Lordon et même constat : pour résoudre à la base le problème auquel nous sommes confrontés il faut mieux répartir la richesse et désarmer les marchés spéculatifs. Seul un mouvement social coordonné au moins à l'échelle européenne peut espérer atteindre un tel objectif. Un objectif dont la mesure est historique. Le seul moyen, dois-je ajouter, qui permette aussi de sauver notre planète de l'autodestruction en cours. Le lien est direct, contrairement à ce que suggère subtilement le photographe Yann Arthus-Bertrand.
APPEL POUR UNE MOBILISATION EUROPEENNE
Reproduction d'un article du journal suisse Le Courrier INTERVIEW - Annuler la dette des Etats, refaire de la monnaie une valeur d'échange... le syndicaliste Pascal Franchet ne manque pas d'idées pour vaincre la crise. Mais la principale déplaira à certains: mieux répartir les richesses!
Quand une crise des crédits immobiliers aux Etats-Unis provoque une récession mondiale ou que des financiers renfloués par les Etats forcent ses derniers à des cures d'austérité, le commun des mortels y perd son latin. Difficile de comprendre ce qui relie ces fléaux bien peu divins qui s'abattent sur nous. Contrôleur des impôts, syndiqué CGT, Pascal Franchet tente depuis des années de rendre intelligible l'univers des financiers, leurs fonds spéculatifs comme leur fonds de commerce, leurs stratégies comme leurs aveuglements. Animateur du nouveau groupe «Nord» fondé il y a un an au sein du Comité pour l'annulation de la dette du tiers monde (CADTM), le Français était la semaine dernière en Suisse pour une série de conférences. Séance de rattrapage.
On a l'image d'une crise financière qui a contaminé l'économie réelle. Pour vous, c'est l'inverse qui s'est produit. Expliquez-vous.
Pascal Franchet: La crise économique que nous vivons date en réalité des années 1970. Elle résulte du choix des entreprises de faire baisser la part de la valeur ajoutée allant aux salaires. Les bénéfices supplémentaires captés depuis lors par les entreprises – de 9% à 13% du PIB selon les pays – représentent des sommes considérables. Pour la France, on parle de 200milliards d'euros par an. Cet argent soustrait aux travailleurs n'a pas non plus été réinvesti dans la production, ce qui aurait pu élever la productivité, mais placé dans la finance, dans la spéculation.
Vous parlez des entreprises, mais ces transferts n'auraient pas été possibles sans décisions politiques...
Bien sûr, ces comportements se sont appuyés sur les déréglementations et sur la libéralisation du secteur financier décidées dans le sillage des économistes néolibéraux, de Reagan et de Thatcher. Pour attirer des investissements, on prônait une meilleure rentabilité moyenne du capital, allant jusqu'à 20% ou même 30%, alors qu'un retour sur investissement classique est de 5%-6%. Cela a complètement déstabilisé l'économie réelle et entraîné l'endettement des ménages et des Etats. Depuis ces réformes, on est allé de crises en crises financières. On en compte une trentaine, de l'Asie à la Russie, en passant par l'Argentine, etc.
Jusqu'à la crise des subprimes. Comme les gens n'avaient plus de pouvoir d'achat, on les a poussés à s'endetter, pas seulement pour leur maison, mais pour tout, la santé, l'éducation, etc. Alors que le PIB des USA reposait à 70% sur la consommation, les ménages américains se retrouvaient endettés à hauteur de 120% de leur revenu annuel.
Ces créances à taux variables ont ensuite été «titrisées» et se sont ainsi retrouvées mélangées à d'autres valeurs dans le monde entier. L'explosion de cette bulle a montré que la croissance économique de toutes ces années était basée sur du vent. N'en déplaise à certains, l'accroissement des inégalités est un poison mortel pour l'économie.
Les Etats ont quand même réagi, sauvé les banques et relancé la machine. Etait-ce la bonne solution?
Dans le système économique actuel, il n'y a pas de solution. Car celle-ci impliquerait de toucher à la cause structurelle de la crise: la répartition des richesses. Et cela, les acteurs dominants n'en veulent pas.
Même la relance de type keynésien par des grands travaux n'a pas été explorée. Les quelques plans de soutien à la consommation – relativement modestes, environ 2% du PIB – qui ont permis d'atténuer les effet sociaux de la crise sont déjà en voie de disparition. C'est là une demande pressante du FMI et de l'OCDE.
Car la croissance est de retour...
C'est une donnée purement statistique, comptable. Cette croissance traduit le retour des profits pour une petite minorité qui capte cette valeur ajoutée. La réalité du plus grand nombre, c'est le chômage de masse, la baisse des salaires directs et indirects. Et bientôt de nouvelles crises.
Que propose le CADTM pour sortir de cette spirale?
Il faut un moratoire sur le remboursement des dettes publiques, le temps de les auditer, et d'abolir les créances néfastes et illégitimes.
Dans ce cas, les privés ne prêteraient plus aux Etats...
C'est pourquoi, il faut aussi placer le système bancaire sous contrôle public. Il est anormal que les économies nationales dépendent entièrement des marchés et de la spéculation. Voyez: on a sauvé des banques qui aujourd'hui attaquent les dettes des Etats... Il est temps mettre un terme à ce système qui nous mène dans le mur! Et développer un service public de la banque.
Un Etat seul peut-il refuser le remboursement de sa dette.
L'Equateur l'a fait et a pu investir les fonds préservés dans le social et l'éducation.
L'Argentine aussi a suspendu ses remboursements, mais aujourd'hui elle emprunte à des taux usuraires...
L'Argentine n'a pas été jusqu'au bout de son action. Elle aurait dû dénoncer publiquement et politiquement sa dette, car celle-ci puise ses racines dans la dictature Videla et n'a jamais profité à ses habitants. Aujourd'hui, ce pays demeure dépendant des marchés, et il le paie.
Faut-il revenir à un contrôle des changes comme le fait le Venezuela?
Oui, et interdire les produits financiers qui permettent de spéculer sur la monnaie. La monnaie a été totalement privatisée. On a développé à l'infini des produits dérivés qui reposent sur du sable et qui ne servent en fait qu'à spéculer, comme les Credit Default Swap (CDS, produit financier utilisé pour spéculer contre la Grèce et l'euro, ndlr). Les Etats et les Banques centrales doivent coopérer pour reprendre le contrôle sur cet élément essentiel qu'est la monnaie, qui pourra ainsi retrouver sa valeur d'usage, d'échange.
Comment imaginez-vous parvenir à ces réformes. Malgré de grosses mobilisations (lire en page 6), ni les Grecs ni les Portugais ne parviennent à faire reculer leurs gouvernements.
Le mouvement social commence à peine à prendre conscience de l'importance de la dette sur la situation économique des personnes. Mais sa réponse n'est pas encore à la hauteur. Les mouvements sont divisés, notamment en Grèce, et parfois très liés au pouvoir en place.
Le CADTM a lancé, le 24 mai, un appel[1] à une mobilisation unitaire européenne contre les plans d'austérité et la dette publique. La crise, qui est mondiale, ne trouvera pas de solution dans un seul pays. Si chacun continue sa lutte dans son coin, tout le monde sera défait. La riposte doit être menée au moins au niveau européen. Ce sera l'un des enjeux du Forum social européen qui se tiendra à Istanbul dans un mois. I
[1]www.cadtm.org/APPEL-POUR-UNE-MOBILISATION