Au cours de ces dernières semaines l'attention s'est portée sur la crise budgétaire qui touche les pays de la zone euro. On s'interroge sur le futur de l'euro, et nous avons évoqué ici même les scénarios de « sortie de l'euro ». Mais le rapport semestriel de l'OCDE, qui donne une vue d'ensemble sur les pays les plus développés du monde, suscite maintenant une inquiétude plus profonde : derrière les désordres monétaires, l'Europe masque des déficiences structurelles qui se traduisent par la croissance la plus faible du monde, accompagnée du chômage le plus élevé. De quoi se poser des questions sur les politiques suivies.
La zone euro lanterne rouge de la croissance
Nous ne sommes pas ici des inconditionnels des études de conjoncture. Elles présentent souvent de grandes faiblesses, elles reposent sur des modèles macroéconomiques largement keynésiens, elles ne peuvent prendre en compte la diversité des comportements microéconomiques et passent souvent à coté de l'essentiel. Il faut pour le moins savoir les décrypter et découvrir ce qu'elles cachent. Cependant, lorsque ces prévisions sont faites régulièrement de la même façon, avec les mêmes modèles dans tous les pays, on peut donc en tirer quelques enseignements d'ordre comparatif, dans le temps ou dans l'espace.
C'est le cas des « perspectives économiques », publiées tous les six mois par l'OCDE, qui permettent de comparer l'évolution des pays développés entre eux. La dernière publication, rendue publique le 26 mai, nous donne quelques résultats intéressants. Ces chiffres montrent l'ampleur de la récession de 2009, le PIB ayant reculé de 3,3% dans l'ensemble de la zone OCDE. On peut observer que le recul est plus intense dans la zone euro (- 4,1%) qu'aux Etats-Unis (- 2,4%). On nous avait pourtant expliqué que les USA étaient le pays le plus touché. Une fois les statistiques définitives établies, on s'aperçoit que ce n'est pas le cas.
L'OCDE constate et annonce une reprise en 2010. Le PIB devrait augmenter en moyenne de 2,7%, soit un progrès de 6 points par rapport à 2009 (de - 3,3% à + 2,7%). Mais c'est là que les écarts se creusent : la zone euro devrait connaitre à peine 1,2% de croissance, soit une quasi-stagnation, alors que les USA seraient à + 3,2%, ce qui redevient tout à fait honorable, compte tenu des circonstances. Mieux encore, le Japon, que l'on disait totalement sinistré, avec un vif recul du PIB en 2009 (- 5,2%) connaîtra un rebond substantiel à + 3,0% en 2010. Encore faut-il être conscient que ces chiffres là, même aux USA ou au Japon, restent très faibles par rapport aux pays émergents (personne ne peut plus parler du « tiers-monde ») et notamment de l'Asie, avec près de 10% de croissance. Si l'Amérique et le Japon, avec leurs 3% sont loin du compte, que dire de la zone euro et de ses 1 ou 1,2% !
Profiter du boom économique des pays émergents
Sans doute le rapport a-t-il globalement apporté une bonne nouvelle, puisque l‘activité se redresse plus rapidement que prévu, mais dans la zone euro le redressement est infinitésimal.
Pourquoi l'accélération ? Comme nous l'avons souvent affirmé, c'est le commerce extérieur qui tire désormais la croissance et notamment le formidable boom économique des pays émergents, Chine en tête. Certes, ils nous vendent toujours plus, mais ils sont aussi des importateurs qui nous offrent des débouchés considérables. Le commerce extérieur devrait progresser de 8% cette année au niveau mondial. C'est lui qui tirera la croissance. L'OCDE affirme en effet que « la croissance vigoureuse observée en Chine et dans d'autres économies de marchés émergentes contribue à tirer les autres pays hors de la récession ».
Encore faut-il être en état d'en profiter. Dans la zone euro, c'est surtout le cas de l'Allemagne qui mise, pour sa croissance, sur le développement de ses exportations : voilà pourquoi elle comprime ses coûts, fait des gains de productivité, cherche à être compétitive. Mais cela ne suffit pas à booster la zone euro, car bien d'autres pays, dont la France, sont quasi-incapables de profiter de cet effet d'entraînement : comment exporter plus, si on ne vend pas les bons produits demandés (comme les biens d'équipement), si les charges sociales, fiscales plombent nos exportations et si les interventions étatiques freinent toute volonté de développement des entreprises ? Or, l'extraordinaire, c'est qu'au lieu d'imiter l'Allemagne, la France, comme on l'a vu avec Christine Lagarde, critique le modèle Allemand, qualifié d'égoïste ou d'antisocial, alors que les Allemands cherchent légitimement à vendre plus, pour soutenir croissance et emploi. Cependant les performances de l'Allemagne ne compensent pas les faiblesses de toute la zone, et elles auraient été meilleures encore sans des maladresses de politique économique, notamment en renonçant aux baisses d'impôts pourtant promises.
Un chômage record
Tout cela se paie dans la zone euro en termes de chômage. C'est un autre enseignement du rapport de l'OCDE. Pour l'ensemble de la zone OCDE, le taux de chômage était de 8,1% en 2009 ; il passera à 8,5% cette année, pour retomber en 2011 à 8,2%. Les USA ont certes connu une rapide dégradation de l'emploi, le chômage culminant en 2010 à 9,7%. Mais il reculera à 8,9% en 2011 ; près d'un point de moins. Au Japon, le taux de chômage maximal a été atteint en 2009, avec 5,1%, et il retombera en 2010 à 4,9% et en 2011 à 4,7%. La comparaison avec la zone euro est cruelle : le chômage y est de 9,4% en 2009, il augmentera en 2010 à 10,1%, dépassant donc les USA, plus de deux fois supérieur au Japon, et il resterait à ce même niveau en 2011 : le décrochage par rapport aux USA sera alors sensible.
Là encore, faut-il s'en étonner ? Dans une économie assez flexible, comme les Etats-Unis, où la mobilité des travailleurs est forte et le droit du travail plus léger que chez nous, on licencie plus rapidement en cas de crise ; mais on n'hésite pas à embaucher à peine la récession terminée, puisqu'on a la certitude de pouvoir à nouveau s'adapter en cas de difficultés. Mais quand l'emploi est hyper protégé, comme chez nous, on a un temps l'illusion que l'emploi est préservé, mais ce n'est qu'un effet de calendrier ; en revanche, quand l‘économie redémarre (et a fortiori quand elle redémarre très lentement comme dans la zone euro), l'emploi continue à être touché. Qui va embaucher dans une situation économique très incertaine, si l'on ne peut s'adapter facilement en cas de crise ?
Mondialisation ou 35 heures : il faut choisir
Bien sûr, ces perspectives sur la croissance et l'emploi ne font pas oublier la question d'actualité des déficits publics. L'OCDE rappelle que « l'instabilité de la dette souveraine constitue un risque important ». Passons sur le fait qu'il est plaisant de voir tous les partisans de la relance keynésienne par les dépenses publiques et les déficits (on pourrait en dire autant de DSK et du FMI) s'angoisser maintenant face à l'ampleur des déficits, qu'ils appelaient hier de leurs vœux. Toute la zone OCDE est concernée. Mais le Japon dégage une telle épargne qu'il finance pour l'essentiel lui-même sa dette ; les USA ont certes un déficit budgétaire colossal, mais le dollar garde encore des atouts et ils trouvent à se financer assez facilement. On sait ce qu'il en est de la zone euro, et on ne sera pas surpris de voir que là où la dette et les déficits sont les plus élevés, la croissance est la plus faible ; voilà un nouveau démenti cinglant infligé à tous les keynésiens.
De toutes façons, il est clair que c'est la zone euro qui est la plus concernée par les dettes souveraines, la monnaie unique empêchant en outre les ajustements de se faire entre les différents pays. En toute hypothèse l'OCDE demande des mesures pour renforcer la discipline budgétaire (et revenir aux critères de convergence de Maastricht). Apparemment des décisions ont été prises ici ou là avec des engagements de « rigueur », mais il s'agit souvent d'une fuite en avant qui consiste à boucher des trous par de nouvelles dettes.
Au-delà de ces questions, le fond du problème dans la zone euro tient à des questions de fond : des dépenses publiques excessives, une protection sociale qui rigidifie toute l'économie et empêche les ajustements nécessaires, des rigidités administratives, un attachement largement partagé au secteur public et aux services publics, une peur de la concurrence et du grand large (l'Allemagne faisant ici exception) etc. Ce n'est pas pour rien que l'OCDE parle des nécessaires réformes structurelles. Dans la mesure où c'est la France qui est un des pays qui cultive avec acharnement ces défauts, nous devons nous inquiéter pour notre avenir. Certes, la conjoncture n'est pas une science exacte, et les analyses de l'OCDE peuvent être critiquées. Mais il y a là un fond de vérité : la vieille Europe a des soucis à se faire si elle se refuse à voir que l'économie mondiale est en pleine mutation. A l'heure de la mondialisation, débattre des 35 heures ou de la retraite à 60 ans est totalement archaïque.