Sénateur “geek” et UMP… Le parti présidentiel, en manque de représentation sur le web, ne manque pas de représentants. Et les places sont chères entre N. Kosciusko-Morizet, F. Riester, et L.Wauquiez. C’est pourtant A. Lambert qui mérite attention. Conservateur et libéral, “old school”, le parlementaire sonne juste quand il parle de l’Internet. D’ailleurs, il accueille des citoyens internautes dans l’ambiance feutrée et surannée du restaurant du sénat. Cantine haut de gamme. Pointilleux, conservateur, il devise sur les sujets économiques et sociaux. Sans surprise, ce spécialiste des finances publiques étaye ses arguments de rigueur par une approche strictement comptable, celle “de la colonne recettes et dépenses”. Aride.
Un sénateur geek
L’occasion fait le larron, un blog et un défi ont mis A. Lambert sur les rails du net. Piqué au jeu, il nourrit cet espace de sujets qui ne sont pas traités par les médias, “donner son point de vue” et “aller où la presse ne va pas aller”. Il est aussi une figure intéressante du réseau social twitter. Humer l’ambiance, polémiquer et anticiper ce que la société va produire comme comportement. Mais surtout s’amuser au contact d’une tranche d’âge et d’une population très différentes de ses cercles habituels. “Et puis c’est amusant” confie-t-il malicieux. Un monde d’écart avec le net vu et utilisé par N. Kosciusko-Morizet, égérie geek de dentelles et de fanfreluches. Quand l’un partage, ferraille, devise surtout avec des opposants, l’autre, au comble de l’ennui, aseptise son image de prêtresse du web. Dans son sillage, une ribambelle de décérébrées psalmodiant son moindre twit, ses moindres formules. Quand A. Lambert reçoit sans exclusive des blogueurs dans le sein des saints, N. Kosciusko-Morizet trie sur volet de gentils internautes pour agrémenter ses happenings numériques. Les places sont chères à l’UMP pour briller sur web. Mais il semble manifestement que pour l’instant seul A. Lambert puisse assumer la maxime : “On peut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux".
Le prisme de la finance publique
“Il n’ y a aucun dirigeant actuel qui n’a exercé lors d’un budget équilibré” annonce-t-il d’emblée, narquois. Trente-cinq années de déficits publics affligent ce forcené de la gestion saine, c’est-à-dire sans déficit. Une approche comptable, clinique, dont le seul tenant consiste à comparer les colonnes “recettes” et “dépenses”. Une tournure d’esprit finalement rigide et pas si éloignée des ritournelles gouvernementales sur la réduction des dépenses. L’austérité. Il ressasse d’ailleurs la fameuse idée sur la dette laissée à “nos enfants”, “une génération ne peut pas générer de la dette à l’infini sauf à considérer que la dette peut s’éteindre”. Aussi ennuyeux qu’une tirade de F. Fillon. A. Lambert incarne la pensée gestionnaire, pragmatique, poussant au second plan le débat sur les valeurs, bien qu’il se déclare libéral, quand il s’agit de critiquer l’ordre social. Pour lui, la société, et les décisions collectives se cantonnent à l’étroitesse d’une colonne de bilan comptable. Inéluctable, cartésien, mais surtout désespérément fataliste. On peut néanmoins lui accorder une formule qui fait mouche : “Si la croissance était corrélée avec les niveaux de dépenses publiques, nous serions champions du monde de la croissance”. À méditer.
Libéral à la française
“Il n’y a pas de libéraux en France, nous sommes une dizaine”, déclare-t-il. Assumé comme tel, il évoque les pays de l’OCDE dont la gestion va vers plus “d’efficacité”. Il évoque aussi le principe de l’aléa moral dans lequel les banques savent qu’elles peuvent être mises en faillite. Le “too big to fail” est inepte, et met en exergue un problème de gouvernance global “que nous n’avons pas su trouver”. Mais il ne diffère pas de ces confrères de droite prêchant la liberté, la responsabilité et les vertus du marché, mais aussi, prompts à appeler le secteur public pour relancer l’économie (privée). En cas de nécessité, “la sphère publique pour aider l’économie privée quand elle est en récession doit avoir un armement budgétaire pour mettre des moyens. Rétablir une activité économique”. En ce qui concerne la mondialisation, c’est aussi cette sorte de double discours “La mondialisation s’est faite seule. On ne l’a pas organisée, c’est un fait. Elle doit être corrigée dans ses excès. Mais on n’a pas le choix”. A. Lambert passe les puissances économiques et financières qui ont poussé à la libéralisation des échanges par pertes et profits. Il est indéniable que la mondialisation et la dérégulation ont été organisées. Que les commandements du consensus de Washington ont formaté le fonctionnement de l’économie mondiale. Et c’est devant le fait accompli que les “libéraux” se réfèrent à une transformation immanente, inéluctable. Autre trait caractéristique, l’appel au secteur public, seul garant fiable quand l’édifice de l’économie globalisée arrive au collapsus. Loin de l’aléa moral précité. Après la tempête la posture “libérale” est difficile à tenir. S’en tenir à son dogme “carré” équivaut à accélérer vers le mur. A. Lambert tient la posture, mais en pragmatique semble arrondir le discours.
Sarkozyste précoce, A. Lambert a su se dégager de la ligne présidentielle en exposant publiquement ses récriminations à propos de la gestion politique et économique de la France. Pourtant, on peut discerner une ressemblance entre les deux hommes. Une indéniable capacité d’adaptation, libéral avec le vent libéral, interventionniste (même un peu) quand rien ne va plus. Plus largement, on peut imputer ce comportement à l’ensemble de la droite française. Tout autant à court d’idées que la gauche. Quand on n’est ni sécuritaire, ni nationaliste, que le libéralisme touche le fond, c’est toute une réflexion sur les valeurs qui est à initier. A . Lambert se tourne vers le net, un microcosme, une bulle encore créative et ouverte. Vogelsong – 7 juin 2010 – Paris