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Il fallait, toute la journée, lever les yeux pour entrevoir les variations du ciel, à travers la lucarne.
Trop tôt entré, trop tard sorti, rien vu de ce que le jour tissait au dehors des murs.
En dedans, les mains s’agitaient pour chercher des chemins d’espérance.
*
Puis vint l’heure des adieux, des regards retenus dans leur retournement, juste pour éviter les larmes.
Il avait connu de ces maints déchirements à chaque valise bouclée vers un ailleurs inconnu.
D’enfance, il ne lui restait que l’ombre d’un souvenir, et l’absence de racines.
Il savait, en arrivant, que rien ne serait définitif, qu’il lui fallait s’installer dans un provisoire qui faisait de la relation une notion éphémère.
Il ne se doutait pas combien ces départs incessants le maintiendraient dans cette précarité totale, sans que jamais les ans ne viennent en arrêter le voyage.
Il se savait, les bras chargés de ces éternelles valises, condamné à errer, à ne point s’asseoir tant que le train de la vie ne cesserait point son manège.
Il voyait, dans le noir, entre deux étoiles qui seraient ses seules complices de vieillesse, des bateaux en partance, des avions sillonnant le ciel de ses rêves.
Il s’était accoutumé à ce que le provisoire soit inscrit au cœur de ses attitudes.
Ne point engager plus loin, rester dans le court terme, ne rien projeter au-delà de l’instant puisque tout peut toujours s’arrêter.
Il se savait porteur de ce fatum depuis la nuit des temps.
Il avait tant entendu s’en plaindre ses ascendants qu’il avait intériorisé cette folle idée de ne point vraiment s’installer, être toujours prêt pour un nouveau départ ; un exil dont il ne connaissait que la limite planétaire.
La seule question permanente était de savoir vers où se dirigeraient ses pas, une fois le la porte ouverte.
Et chaque jour était un émerveillement devant l’évidence.
Chaque minute lui faisait goûter le plaisir d’être provisoirement à quai.
Il psalmodiait alors des phrases incompréhensibles où se mêlaient toutes les langues traversées.
Il fallait tendre l’oreille pour en entendre la musique.
*
C’est un nid de silence où déposer les bagages
Une aire de repos sur les autoroutes de l’absurde
La vie peut y boire à la source du plaisir d’exister
*
Il repartait alors, sans se retourner.
Ainsi vont les humains, jouets d’un destin qui les emporte.
Il fallait simplement ouvrir pores et peau à la musique de l’éternelle errance.
Manosque, 28 avril 2010
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