Dimanche 6 juin : clap de fin de la quinzaine de Roland Garros. Sur le plateau, présentateurs et consultants, unanimes, jouent au regret devant la bonnette. De l'émotion et des ruisseaux de bons sentiments à jet continu. C'est la crue. C'est l'heure des bilans : auto-satisfaction et explosion d'audience. Une aubaine que cette quinzaine ! Cet instant sublime où le riche se prélasse devant la caméra voyeuse. Il est à son affaire, l'homme d'affaire !
Sollicité à la barre, sans se faire prier, Daniel Bilalian, directeur de la rédaction des sports de France Télévisions, apparaît au fenestron, coiffure collée aux tempes, pour louer la qualité du service public. La machine à décerveler ronronne à l'huile première classe. Pas de temps mort dans la déchéance, le mondial de foot en Afrique du Sud va suivre et France Télévisions a programmé 34 matchs pour la circonstance. Les Townships ? C'est quoi ça ?… En France, comme ailleurs, cela se traduit d'un mot : bidonville ! Misère ! Vol ! Prostitution ! Flics ! Nettoyage ! Un petit déplacement de population - c'est sale la vue d'un pauvre devant la grandeur du spectacle proposé. Ouste, les manants ! Depuis l'aube de l'humanité jusqu'aux heures glorieuses du pouvoir soviétique et autres plats de résistance totalitaires, ça n'a jamais dérangé que les péquenauds concernés. La vie perfusant l'espoir au goutte-à-goutte !
Cet effort considérable de France Télévisions (service public pour ceux qui l'ignorent encore) sera suivi par le Tour de France cycliste en Vélosolex. Après le dopage humain, le « dopage mécanique ». France Télévisions s'affiche dans le glauque avec fierté, c'est une tradition ! Le blaireau en est accro ! Que faire d'autre, sinon envoyer des louchées ? Les nouvelles technologies permettant désormais aux coureurs cyclistes d'aller plus vite sans faire appel à des produits dopants, dangereux pour l'organisme et facilement décelables, très mal vus par les masses populaires quand elles découvrent le forfait, comment faire pour échapper au progrès tout en poursuivant son but ? La tête dans le guidon, on fonce dans l'e fumier. avec délectation. Avouez qu'un Tour de France en mobylette, ça aurait de la gueule !
Viendront enfin les championnats du monde de natation en petit bassin que France Télévisions aura l'honneur de diffuser. Des gros bambins avec des voix de castrats et des biscotos de rhinocéros seront à l'affiche. Programmation qui fait bander dur le responsable des sports de France Télévisions et la cohorte de sous-fifres qui s'abreuvent à l'ombre de la crise sans autre souci que celui d'endormir les esprits.
Lundi 7 - le temps est inexorable - l'émission d'Isabelle Giordano, Service Public, aborde le sujet de la crise dans la presse. Une brochette d'invités parle du mal qu'elle traverse et, forcément, du divorce inévitable avec le lectorat. Là où le citoyen normal ose penser que la presse doit être un outil d'instruction et donc d'information, certains spécialistes, parmi les invités, parlent de « produit » et de « concept ». Tous sont unanimes sur un point : le feu gagne le lac. Normal, dès lors, que le citoyen cherche ailleurs de quoi sustenter un esprit qu'on alimente si mal. Dur, dur, la paupérisation ! Comment faire pour les faire revenir ?, pleurent-ils de concert. Vaste chantier ! Ce qu'il y a de remarquable dans l'agitation sur cette crise de la presse c'est la façon d'introduire le sujet, de le présenter et de l'enduire à la colle forte. D'un côté, le pro, l'initié, l'intouchable, le bidouilleur, celui qui parle non pas pour expliquer mais pour justifier l'échec d'une politique éditoriale qui n'en est plus une depuis longtemps. A écouter ces spécialistes, le lecteur n'a rien compris. Fier de son statut, le pro nous assène qu'on ne s'improvise pas journaliste, que cela est un métier. Qu'il n'y a pas de place pour l'amateurisme en la matière. Qui a dit le contraire ?
La belle Isabelle appelle à la barre quelques témoins filtrés parmi les appels au standard, à qui on demande quelles sont leurs préoccupations et, entre deux hoquets, nous découvrons qu'à l'autre bout de la ligne il y a un citoyen qui s'intéresse à la seule chose qui compte, le contenu du journal. Simple et limpide.
Vente et contenu ne faisant pas bon ménage (éternelle histoire du chiffre), mélangeant les genres sans scrupules, la presse nationale se retrouve, au quotidien, à une virgule près, malgré la diversité des titres, à ne servir qu'un plat unique. Affligeant. Il en résulte que le lecteur a le sentiment qu'on le prend pour un pigeon. Or le lecteur est tout sauf une palombe !
Dans ces débats sur la crise dans la presse, revient donc de manière récurrente et comme une obsession le support internet et sa diabolisation. Le bel alibi ! Le problème est là. Mais pas à la façon dont la presse cherche à montrer et à le démontrer en pointant un doigt accusateur en direction de l'internet. Pas du tout. Tant d'acharnement sur le sujet finit par mettre la puce à l'oreille, ne trouvez-vous pas, messieurs les sagouins ?
Il y a décalage entre ce que la presse pense que le citoyen pense ou doit penser et ce que, tout simplement, le citoyen pense que la presse doit proposer pour être déontologiquement à niveau. Conscient de la manipulation, le citoyen va chercher dans l'internet - ou ailleurs - de quoi nourrir un esprit qu'il sent privé du minimum vital.
Ce que les médias ne comprennent pas assez ou alors très, très bien est que le citoyen ne cherche aucunement à se substituer aux professionnels de l'info en devenant journaliste, reporter ou enquêteur, mais à prolonger un savoir et un débat qu'on ne lui offre pas ou plus. Ce qu'il veut c'est que la presse se comporte comme elle le doit : un outil au service de l'honnêteté intellectuelle et à l'écoute des citoyens.
Est-ce un scandale que de refuser de mourir idiot dans un monde pas trop pourri ?