La Fête des Mères approche à grands pas, et les devantures des parfumeries offrent à peu de choses près la même profusion de coffrets-cadeaux qu'en plein mois de décembre. Si la trilogie eau de toilette/gel douche/lait pour le corps est tentante, il existe aussi une alternative plus originale pour célébrer le lien maternel qui nous chatouille encore le nombril, des années après notre naissance. Par exemple, cette odeur de talc ou de poudre de riz, enveloppante et douce, à la fois cottonneuse et infiniment proche des pots de crème visage ou de certains bâtons de rouges à lèvres : reconnaissables entre toutes, les notes « poudrées », un peu passées de mode depuis quelques années, séduisent autant qu'elles rassurent.
Produites la plupart du temps par l'association de trois molécules de synthèse (vanilline, héliotropine et coumarine), elles sont aussi complétées et renforcées par l'ajout de notes irisées et violettes (ionones, méthylionone, betaionone). Quelques naturels, comme la fèvre Tonka ou le baume Tolu, permettent d'obtenir l'accord poudré recherché. Pour obtenir une facette « riz », c'est une autre molécule qui est utilisée : la pyrazine. Quant à la galaxolide, un musc blanc synthétique, il accentue cette odeur de « propre », caractéristique des produits cosmétiques et aussi des... lessives !
Des noms un peu barbares et bien complexes pour définir des fragrances aux sillages très poétiques ! Oublions le jargon des parfumeurs pour nous pencher sur certaines de leurs plus belles compositions poudrées. Pour celles qui s'imaginent, à l'aube du XXe siècle, penchées sur le miroir de leur coiffeuse, une houppette dans une main et un peigne en ivoire dans l'autre, Après L'Ondée et L'Heure Bleue, créés respectivement en 1906 et en 1912 par Jacques Guerlain, sont des incontournables, suaves et rayonnants. Le légendaire N° 5 de Chanel, crée par Ernest Beaux en 1921, possède lui aussi une facette crémeuse et poudrée. Malheureusement tombé en désuétude, au grand dam de ses adeptes qui peinent à le trouver, Canöe de Dana, lancé un an avant les célèbres congés payés du Front populaire, est une fougère incroyablement balsamique et douce, enveloppée de coumarine et de vanille.
Si de nombreux poudrés voient le jour après la Seconde Guerre mondiale, le plus emblématique d'entre tous est certainement Ombre Rose, de Jean-Charles Brosseau, en 1981. Cette création de la talentueuse Françoise Caron est basée sur un accord floral, iris, rose et muguet, reposant sur un fond de santal et de musc. Décalé pour l'époque, où la tendance impose des Giorgio, des Must, ou des Poison, Ombre Rose connaît un succès immédiat d'abord aux Etats-Unis où il est lancé avant d'apprivoiser peu à peu le marché français. Sa fragrance, douce et enveloppante comme celle d'un talc pour bébé, est sensuelle, sans aucune trace d'agressivité malgré un sillage très présent. Curieusement, s'il est relativement peu porté en France, ce parfum a inspiré et continue d'accompagner toute une génération de produits cosmétiques, gels douche, savonnettes, laits corps et crèmes visage. L'exemple le plus frappant est d'ailleurs le gel douche Lait du Petit Marseillais, aux incroyables relents d'Ombre Rose... En 1990, le lancement de Trésor de Lancôme, signé par Sophia Grosjman, marque un tournant dans le sillage des poudrés : opulent et lumineux, il rappelle plus que tout autre l'odeur d'une boîte de poudre ou de rouge à lèvres, par la saturation de ses notes rosées, fruitées, ambrées et musquées.
Boudoir, une fragrance signée Vivienne Westwood, sorti en 1998, affiche encore plus franchement la couleur : là où Ombre Rose évoquait une féminité discrète, plus maternelle que canaille, Boudoir, avec ses notes rétro de poudre de riz, à la fois florales et épicées, évoque l'antichambre d'une maison close ! L'année suivante, c'est au tour de la très chic maison Hermès de lancer son poudré, signé Olivia Giacobetti, un iris sec, presque un soliflore, construit autour de la fleur, des racines et du bois d'iris, accompagné d'ambrette, de cèdre, de vanille et de miel. Son nom ? Hiris, justement. Autre iris, et non des moindres, le superbe Iris Nobile, d'Acqua di Parma, cosigné Françoise Caron et Francis Kurkdjian, étonne par sa fraîcheur, proche d'une Cologne aux accents sophistiqués et terriblement féminins . Un des derniers « grands » poudrés, au succès inégalé, est sans nul doute Flower de Kenzo, crée par Alberto Morillas : une envolée verte un brin aqueuse, des notes poudrées et irisées dominées par la violette, sur un fond ambré où s'épanouissent la vanille, l'amande, l'opoponax et le musc blanc. Moins connu dans l'hexagone, mais célèbre aux Etats-Unis, Cashmire Mist de Donna Karan, sorte de N° 5 américanisé, séduit lui aussi par ses notes poudrées à fleur de peau.
Se laisser séduire par le souffle délicat de ces notes intemporelles, qui renvoient à l'image de l'éternel féminin, est aussi une façon de renouer avec son enfance et le souvenir de caresses rassurantes et douces, celles d'une mère attentive et aimante. Une bonne raison pour ressuciter des fragrances disparues ou trop peu portées !