Une fille du Congo, de Patrick Serge Boutsindi

Par Liss

Voici ce qu'on pourrait appeler un roman de formation ou d'initiation : l'héroïne, Bouesso (ce qui veut dire "la chance") quitte son village natal pour la capitale, Brazzaville, où diverses expériences se chargent de l'instruire des choses de la vie et de la nature humaine. La jeune fille naïve que nous connaissons au départ devient la maîtresse du mari de sa tante puis d'autres hommes, en particulier des hommes politiques, dont elle fait la connaissance dans le bar où elle a décroché un emploi de serveuse.


(Sur l'illustration de couverture on peut reconnaître le portrait de Rhode Makoumbou)

Lorsque sa tante, après avoir découvert ses relations coupables avec son mari, la chasse de chez elle, il fallut en effet que Bouesso se prenne en mains et subvienne à ses besoins. Elle multiplie les aventures et devient également militante dans un parti politique où elle se voit attribuer des responsabilités. C'est l'occasion pour l'auteur parler de la vie politique du pays. Dans la seconde moitié du roman, le personnage de Bouesso s'efface (bien que ce soit toujours elle la narratrice) pour faire place à l'avènement de la Conférence nationale, aux espoirs et tumultes qu'elle a générés, aux rivalités entre hommes politiques, aux coups bas...
J'ai commencé la lecture de ce roman d'un auteur congolais que je ne connaissais pas jusqu'alors avec beaucoup d'enthousiasme, surtout qu'il nous plongeait tout de suite dans l'univers congolais : us et coutumes, sans oublier la gastronomie et la musique. Tenez :

"Véro portait plusieurs bijoux. Elle brillait comme une momie égyptienne. Elle pratiquait de plus en plus la dépigmentation de la peau, comme la plupart des femmes africaines. Une chose qu'avait dénoncé le musicien Franklin Boukaka, dans une chanson restée célèbre.
 

Na tango ya bankoko, basi ba zalaki kitoko :

Makiyaj te, nzoto na bango sembe sembe.

Sika oyo, soki Ambi e zangiBa komo lokola makayabo e zangi mungwa.
(Du temps de nos ancêtres, les femmes étaient bellesEt ne se maquillaient* pas ; leur peau était douce.A présent, à court de crème AmbiElles ressemblent à du poisson salé sans sel.)"(Une Fille du Congo, p. 48)
*Je précise que le verbe "se maquiller" doit être pris au sens africain, c'est-à-dire se dépigmenter la peau.
Cela fait plaisir de retrouver les odeurs et les couleurs d'un pays qui nous est cher, mais l'enthousiasme s'amenuise au fil de la lecture. Cela est dû notamment au fait que le récit est linéaire, il n'est pas orchestré de manière à faire rebondir l'intérêt du lecteur. A ce défaut de rebondissement, dans la structure aussi bien que dans l'intrigue, s'ajoute un manque de recherche au niveau du langage. Je veux dire que, sans rechercher l'esthétisme, loin de là, la langue aurait gagnée à être plus littéraire. On peut comprendre que Bouesso, une broussarde dont les rêves d'études sont brisés aussitôt arrivée dans la capitale, s'exprime d'une manière triviale, comme une jeune fille de la rue puisque c'est là, finalement, qu'elle fait son éducation. Mais cette trivialité se retrouve également dans la bouche du narrateur externe, ce qui est pour le moins gênant.
Mais bon, je n'aime pas m'attarder sur les insuffisances d'un livre, je préfère revenir aux aspects positifs. Parmi ceux-ci, la volonté de l'auteur de montrer les travers de la société congolaise, les causes qui font que son pays, l'Afrique noire en général, patine :
Au cours d'un rassemblement politique, une jeune fille prend la parole :
"Je me nomme Gisèle Obala, j'ai fait mes études supérieures à Strasbourg, en France. je suis licenciée en anglais. Mais je vends au marché pour subvenir à mes besoins. Parce qu'à chaque fois que je me rends à un entretien d'embauche, le directeur des ressources humaines, voire le patron de l'entreprise, désire d'abord coucher avec moi avant de m'embaucher. Je veux savoir quel rôle votre parti va donner à la femme dans notre pays" (p. 153)
Des amis discutent :
"- Nous les Noirs, on a du mal à trouver des idées en premier. [...]- Laisse-moi te dire que lorsqu'un Noir veut mettre une bonne idée en pratique, ce sont ses propres compatriotes qui vont être les premiers à s'en moquer. Alors que si cette même idée est avancée par un Blanc, le Nègre obéit et se met à le féliciter. Nous avons encore un sentiment d'infériorité vis-à-vis des Blancs, commenta Pauline.- Moi j'ajouterai que cela se remarque beaucoup du côté de nos hommes politiques, et moins du peuple. [...]- L'homme africain, en général ne fait pas un grand effort dans la façon d'analyser les choses. Regarde la conception qu'il a pour mettre des enfants au monde. Pour lui, les enfants devraient à tout prix l'aider financièrement une fois qu'il sera à la retraite. Qu'il deviendra vieux. On ne doit pas prendre un gosse pour un placement financier, comme on le fait avec une banque.( p. 193-194)

Patrick Serge Boutsindi, Une fille du Congo, L'Harmattan, 210 pages, 20 €.

L'auteur a déjà publié plusieurs recueils de nouvelles et deux romans.