Suite de notre dossier sur la réforme des retraites, Délits d’Opinion a rencontré Marisol Touraine, Députée d’Indre-et-Loire et secrétaire nationale à la santé et la sécurité sociale au Parti Socialiste.
Délits d’Opinion : Les trois quarts des Français ne se déclarent pas confiants quant au niveau de retraite qu’ils toucheront par rapport à leurs revenus actuels. Comprenez-vous ce manque de confiance et l’estimez vous légitime ?
Marisol Touraine : Oui, je le comprends. Le Gouvernement tient un discours très anxiogène pour faire accepter une réforme qui pèsera lourdement sur les Français, en particulier les plus modestes. Il utilise les chiffres du Conseil d’Orientation des Retraites d’une manière très alarmiste, alors même que tous les économistes s’accordent pour dire que l’enjeu de financement, de 1,7% du PIB en 2025, est à notre portée. À l’écouter, c’en est fini du système par répartition. Alors oui, on comprend les inquiétudes des Français.
D’autant que concernant le niveau des pensions, la droite s’est illustrée par des réformes – Balladur, Fillon – qui ont abouti à une baisse des taux de remplacement (niveau de la pension par rapport au salaire) de l’ordre de 20% ! On peut craindre que ce Gouvernement ne fasse, encore une fois, une réforme sur le dos des futurs retraités. Quant au pouvoir d’achat des retraités, notamment les plus modestes, relevons que leur augmentation ces dernières années ne couvrent pas l’inflation ! Les Français ont raison de se demander ce qu’il adviendra du niveau de leurs pensions, les signaux envoyés par la majorité sont extrêmement inquiétants !
A l’inverse nous souhaitons rassurer les Français, en particulier les jeunes, sur notre volonté d’assurer le maintien du système par répartition. C’est tout l’objet de notre réforme. Il faut redonner la confiance, principalement aux jeunes générations. Nous disons il y aura des efforts à faire, mais pas au détriment du niveau des pensions, et certainement pas au détriment du système de solidarité collective.
Délits d’Opinion : Sur la méthode : quelles critiques adresser au Gouvernement actuel ?
Marisol Touraine : J’en formulerai trois principales :
Le Gouvernement dit mener une grande concertation qui n’en est pas une ! Eric WOERTH, suivant une méthode désormais classique de l’UMP, qui oppose les partenaires sociaux entre eux, a annulé les négociations collectives au profit de négociations bilatérales. Le Gouvernement est très fort pour parler de concertation, mais il fait fi des accords sociaux et des revendications des partenaires sociaux.
D’autre part, il pratique une ouverture d’esprit toute relative. Ses propositions semblent totalement verrouillées. À chaque suggestion nouvelle, comme la retraite choisie, il oppose une fin de non-recevoir. Le relèvement de l’âge légal semble totalement acquis alors même que les concertations ne sont pas terminées, et que toutes les organisations syndicales s’y opposent. En réalité, tout est déjà bouclé, orchestré par une grande campagne de publicité télévisée financée par les Français !
Le calendrier du débat parlementaire, enfin, nous prouve s’il en était besoin, que le Gouvernement entend passer en force. Les dates prévues, fin juillet pour la commission et début septembre pour la séance, autrement dit, au milieu des vacances, puis en pleine rentrée scolaire, montrent la volonté du Gouvernement de faire passer cette réforme à un moment où ils espèrent que les Français seront moins mobilisés, au mépris de la démocratie la plus élémentaire.
Délits d’Opinion : Pourquoi est-il si compliqué de réformer les retraites en France ?
Marisol Touraine : Parce que c’est un sujet compliqué ! Et fondamental. Il est nécessaire d’y passer du temps et d’expliquer beaucoup. C’est d’ailleurs dans ce sens que nous avons lancé, cette semaine, avec le Parti socialiste, un tour de France des retraites.
Et puis la droite a entretenu un rapport ambigu au travail. Sa politique a littéralement dévalorisé socialement la valeur travail, bien qu’elle s’en défende. Notamment en survalorisant le capital (bouclier fiscal, suppression des impôts sur les successions…). Et la souffrance au travail est une question que l’on commence tout juste à prendre en compte, à accepter de regarder même, là où d’autres pays se sont penchés sur ces questions depuis bien longtemps. Tout cela fait que la société française est crispée sur cette question.
De plus, chaque situation est particulière. C’est pour cela que nous proposons une retraite choisie. Qui corresponde au parcours professionnel de chacun, dans sa diversité. Les cadres n’ont pas la même carrière, ni la même fatigue que les ouvriers, les caissières ou les employés de bureau. Chacun doit s’y retrouver. Ceux qui veulent partir plus tôt en raison d’une carrière longue et difficile doivent pouvoir le faire. Cette diversité des parcours professionnels doit être prise en compte. On ne peut pas, aujourd’hui, en 2010 faire une réforme uniforme qui s’applique indifféremment à tous. C’est là qu’est la modernité. Je ne comprends pas que le Gouvernement s’y refuse, cela revient à nier la réalité du marché du travail aujourd’hui !
Délits d’Opinion : Près de six Français sur dix sont hostiles à un recul de l’âge légal de départ en retraite au-delà de 60 ans. Cette tendance est prise en compte dans les propositions du Parti Socialiste. En terme de financement n’est-ce pas un combat perdu d’avance ?
Marisol Touraine : La barrière des 60 ans n’est en aucun cas une obligation mais doit rester une possibilité, un droit. Ce n’est absolument pas un dogme. Le dogme, il est du côté de l’UMP, qui en a fait un cheval de bataille au point de refuser même toute discussion. Pourquoi y sommes-nous attachés ? Parce qu’il constitue une protection à l’égard de ceux qui ont commencé à travailler jeunes, souvent les plus modestes.
Et ce n’est certainement pas un combat perdu d’avance, il me semble que nous l’avons démontré dans le projet socialiste. D’abord, parce que nous disons que ceux qui le souhaitent doivent évidemment pouvoir travailler plus, il convient même de les y engager. Il faut pour cela favoriser concrètement le travail des seniors par des mesures ambitieuses, incitatives. Elles ne sont pas spectaculaires, mais elles existent : comme le temps partiel progressif, la formation professionnelle, surtout à partir de 45 ans… La liste n’est pas exhaustive ! De plus, encore une fois, il ne s’agit pas de dire que tout le monde doit partir à 60 ans. Mais avant tout c’est l’âge effectif de départ à la retraite (aujourd’hui 61,6 ans) qui doit être reculé, en incitant ceux qui le peuvent à partir plus tard, notamment par des mécanismes de surcote.
Ensuite, nous avons des propositions de financement concrètes : une surtaxe de 15 % sur les banques, une taxation significative des stock-option et des autres revenus qui sont aujourd’hui totalement ou partiellement exonérés de cotisation… L’effort financier doit être mieux réparti entre capital et travail, c’est la clé d’un financement juste.
Délits d’Opinion : Une majorité des Français estime que la réforme des retraites pourrait entraîner un fort mouvement social dans les mois qui viennent. Partagez-vous ce sentiment ?
Marisol Touraine : Oui je le crois. Les Français sont attachés à leurs droits, et sont prêts à les défendre.
Le Gouvernement affiche manifestement une volonté de passer en force sur ce sujet, dans le plus grand mépris des attentes des Français. Je pense que les Français sauront lui montrer qu’il a tort. Qu’il a tort de penser qu’en faisant sa réforme « à la va-vite » au milieu de l’été et en pleine rentrée scolaire les Français s’en détourneront. Je crois qu’ils ont compris qu’une réforme juste, qui permette à chacun de s’y retrouver, était possible. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils sont plus de 57 % à penser que notre projet pour les retraites est meilleur, et plus crédible.
Propos recuillis par Olivier