Giraud vous raconte des histoires sur le ton d'une simple conversation, exactement comme si vous étiez avec lui au comptoir devant un bon beaujolais chez Fraysse ou bien chez Paulô qui verse l'Algérie dans des demis. Ecoutez-le et voici la jolie farandole à la manière de Chéret avec l'Arbi-n'à-qu'un-oeil Bébé, le Mort, le pensif patron de « maison », Coco le légionnaire, l'Archiduc et toute la troupe. C'est fascinant à cause de ce langage direct qui vous fait complice et qui n'a rien à voir avec l'argot des romans policiers. Les dialogues sont peut-être un peu verts, que voulez-vous, la nuit les enfants de choeur sont couchés. Le ton devient franchement crapuleux quand Giraud raconte ce que les journaux appellent un fait divers, mais certains passages, comme l'entrée du « mort » dans le bistrot des halles, tiendraient gentiment leur place dans les morceaux choisis pour les élèves de sixième, En traînant la savate sur les quais, en reniflant l'odeur de céleri des Halles, en perdant ses nuits dans les bistros de Maubert, Giraud peut vous raconter un Paris que vous ne pouvez pas connaître Mais ne vous y trompez pas, Giraud n'est pas un montreur de monstres. L'essentiel, le merveilleux de ce livre, c'est que des acteurs écorchés par la nuit huent sur des motifs vieux comme le beau monde : l'amour, l'argent, l'honneur. Il y a là-dedans un monde fou qui rêve tout haut, et savez-vous que ton cela est vrai? Un personnage principal : le vin qui coule dans tous les figurants et surtout, sérum de vérité, qui délie les langues.
D'où vient-il ce Giraud qui marche toutes les nuits dans Paris, el s'en va fourrer son grand nez dans les trous d'ombre de la ville lumière? Il avait cependant pris la bonne route, celle qui fait la fierté des familles: étudiant en droit à Limoges, il devait normalement finir notaire, avocat, huissier, l'embarras du choix en quelque sorte. Mais pendant l' occupation allemande, l'étudiant Giraud plonge dans l'aventure. C'est là sans doute qu'il devient copain avec la nuit, fait l'attaque de la diligence, joue cent fois sa belle jeunesse à pile ou face, el, un beau jour, c'est pile. Un peu morts, Giraud et ses vingt ans se retrouvent aplatis dans une cellule comme méduse à marée basse. Il va y rester des mois, toujours indiscipliné, refuse d'y crever. Ce n'est plus la nourriture prédigérée de la faculté, il apprend des choses qui ne s'oublient pas, rencontre des gars solides et en sort pas à prendre avec des pincettes, mais avec une jolie décoration toute neuve. L'aventure pouvait s'arrêter là, il était pourvu en anecdotes de fins de repas pour toute une vie de province, mais non. Il se cicatrise un brin et monte à Paris. Le notaire raté va faire des tas de métiers (c'est très amusant avec le recul, pour les amateurs de pittoresque, d'être voleur de chats par exemple) mais surtout il cherche ce maquis parisien où la vie s'improvise chaque soir. Restif de la Bretonne, si vous voulez, mais il faut le voir plié en deux de rigolade avec ses cheveux en jets d'eau entre le pick-up à sous et le comptoir pour être sûr que ce n'est pas un poète penché vers des phénomènes mais un complice de ceux qui ne dorment pas dans les rues où coule le vin.
Monsieur Giraud, vous ne serez jamais un garçon sérieux.
Robert Doisneau
(extrait de Montmartre panorama, terminus 1955, n°4)
Et pour ceux qui voudront approfondir, ils pourront lire la belle biographie de l'ami Olivier Bailly et la réédition récente du Vin des rues.
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 26 novembre à 12:44
Pourquoi ne pas mettre une lien vers le blog dont est tiré ce texte ? 'est-à-dire Le Copain de Doisneau