Quand Villeneuve était Ville-Neuve

Publié le 08 juin 2010 par Blanchemanche
8 juin 2010 09h07 | Par FRÉDÉRIC ZABALZA
http://www.sudouest.fr/2010/06/08/quand-villeneuve-etait-ville-neuve-111495-1391.php
Michèle Grosset-Grange et Michèle Rocheau préparent le premier tome d'un ouvrage sur l'histoire du quartier.

Une vue aérienne de « Ville-Neuve-des-Salines », publiée en octobre 1971 dans « Sud Ouest ». La légende posait la question : « L'embryon d'une mégapolis ou bien une nouvelle cité vraiment radieuse ? ». PHOTO ALAIN BOURRON/ARCHIVES
«Bienvenu à Ville-Neuve-des-Salines. » Voilà comment la municipalité de La Rochelle imaginait accueillir, à la fin des années 1960, les premiers habitants d'un nouveau quartier, qu'elle envisageait de construire à l'est de la ville. « Le nom sonnait certainement mieux ainsi. "Ville-Neuve", cela faisait moderne », remarquent Michèle Grosset-Grange et Michèle Rocheau, deux retraitées de l'enseignement qui ont entrepris, depuis 2004, un vaste travail sur l'histoire de Villeneuve-les-Salines, digne des recherches ethnographiques de Lévi-Strauss.
« Tout a commencé en 2004, après la mort d'Henri Guillet, l'ancien prêtre du quartier, arrivé en 1971 avec les premiers habitants. Avant sa disparition, il regrettait de n'avoir pas eu le temps de mettre de l'ordre dans ses nombreuses photos, que sa famille nous a léguées plus tard. Il y avait 10 000 diapositives ! Nous avons passé l'hiver 2004-2005 à les trier », racontent-elles.
Au-delà d'un simple tri, les deux Michèle ont donné une légende à chaque photo, en cherchant le lieu ainsi que la date de la prise de vue et, si possible, en retrouvant les personnes immortalisées sur la pellicule. « En mars 2005, nous avons organisé une projection publique à la salle des fêtes de Villeneuve, avec des photos couvrant une période allant de l'été 1971 à 1983. Les gens étaient très intéressés. Michèle [Rocheau] a pris la balle au bond et a recueilli leurs témoignages », explique Michèle Grosset-Grange, ancienne institutrice à l'école Clément-Juchereau, à Bongraine, venue habiter dans le quartier en 1981, cinq ans après Michèle Rocheau, ex-professeur d'histoire au collège Fabre-d'Églantine.
Un quartier de 40 000 habitants…
En novembre 1968, pour répondre aux besoins d'une démographie galopante, le Syndicat intercommunal à vocation multiple (Sivom) de La Rochelle approuva la réalisation d'une deuxième zone d'urbanisation prioritaire (ZUP II) à Villeneuve-les-Salines. Celui-ci prévoyait la création de 10 000 logements, capables d'accueillir près de 40 000 habitants !
« À l'époque, l'urbanisation relevait des compétences de l'État, avec l'accord des élus locaux. En 1973, la circulaire "Barres et tours" du ministre de l'Équipement Olivier Guichard mit fin à la réalisation de ces grands ensembles. Cela coïncida avec l'arrivée d'une nouvelle équipe municipale à La Rochelle, dirigée par Michel Crépeau. Pour lui, Villeneuve fut une "zone à humaniser en priorité". Il ne voulait surtout pas reproduire les erreurs de Mireuil », raconte Henri Moulinier.
Conseiller municipal communiste puis adjoint au maire de 1977 à 2008, ce dernier a posé ses valises à Villeneuve-les-Salines en 1975, dans les « 100 », près de l'école Condorcet. « J'étais professeur au lycée Dautet. Villeneuve était le seul endroit à La Rochelle où il restait des logements de fonction disponibles », sourit-il.
Ayant décidé de reprendre des études d'histoire à l'université de La Rochelle (il est en master 2e année), il n'a pas cherché longtemps son sujet de mémoire. « J'ai choisi de raconter l'histoire de Villeneuve, en situant sa création dans l'urbanisme de La Rochelle. Le mémoire fait une centaine de pages. Je le soutiendrai en septembre prochain », annonce Henri Moulinier.
Une œuvre en deux tomes
Les historiennes villeneuvoises sont allées à la rencontre des familles, recueillant des documents, des récits et des anecdotes personnelles. Elles n'ont pas hésité à tenir un stand chaque mois au marché du quartier. Leur projet Rassemblons nos mémoires, mené avec le soutien du Collectif des associations de Villeneuve-les-Salines, a même fait l'objet d'un contrat urbain de cohérence sociale (CUCS). Pourtant, ce n'est que l'an dernier qu'est née l'idée d'en faire un livre.
« Dans un article paru dans "Villeneuve infos", j'écrivais qu'il était possible de réaliser un ouvrage. M. Sabourin, patron de l'Imprimerie rochelaise, a aussitôt appelé le Collectif pour entrer en contact avec nous. Il s'est proposé d'éditer le livre, nous a suggéré de lancer une souscription, et il nous a même proposé un planning ! », soulignent-elles. La date de parution du premier tome de « Trésors des tiroirs » a ainsi été fixée au 25 novembre. « Il y avait une telle richesse d'archives que nous avons choisi de faire deux tomes. Le premier raconte l'histoire du quartier de sa naissance à 1983, l'année de la construction du cœur de quartier, avec la place du 14 Juillet », remarquent les auteurs.
L'ouvrage est conçu selon un ordre chronologique. Il remonte aux marais salants du XVIIIe siècle, évoque les bouleversements du XIXe siècle avec la réalisation de la voie ferrée et du canal, et aborde le XXe siècle avec la construction des premiers logements par la société Baticoop et la création du premier lotissement du Petit-Marseille. L'installation de l'usine Simca en 1964 et les projets de ZUP (zone d'urbanisation prioritaire) furent des éléments déclencheurs. En 1971, les premiers ensembles d'immeubles, les « 100 » (avenue Billaud-Varenne), « 200 » (entre les rues Camille-Desmoulins et Mirabeau), « 300 » (avenue Robespierre) et « 400 » (rue Ledru-Rollin) accueillirent 800 personnes, parmi lesquelles des ouvriers de Simca, de Brissonneau et Lotz ou encore de la SNCF. La construction des « 500 », des « 600 » et des zones pavillonnaires - un tiers de l'habitat du quartier - éleva la population à plus de 5 000 habitants en 1973.
Des îles et des ponts
Aux « pionniers » de 1971, s'ajoutèrent des familles aux origines diverses, issues de l'immigration : portugaises, marocaines, puis turques à la fin des années 70, asiatiques dans les années 80 et enfin originaires des pays de l'Est dans les années 2000. Cosmopolite, le quartier est aussi très actif : la première Fête de la Saint-Jean a lieu dès 1972, la première association de quartier naît en décembre 1971, sous l'impulsion du Parti communiste et de la communauté chrétienne, et le premier journal, « Le Pionnier », voit le jour en 1972. « Un de mes anciens élèves m'a dit une fois que Villeneuve est composé d'îles, ethniques, sociales ou d'âge. C'est normal. L'important est de dresser des ponts entre ces îles. J'ai trouvé cette image très belle », témoigne Michèle Rocheau.
Michèle Grosset-Grange et Michèle Rocheau tiendront un stand lors de la Fête de la Saint-Jean, le 19 juin, sous la yourte (face au centre social).
La Rochelle · Charente-Maritime