Pour le rédacteur de la « 4ème de couv », il s’agit d’une fantaisie romanesque, d’une revisitation de la mythologie française : Le général de Gaulle est de retour et reprend le pouvoir au milieu du désarroi de l’époque.
C’est bien sûr un roman, mais c’est beaucoup plus. Ces quelques 220 pages écrites par Benoît Duteurtre , et qui viennent de paraître aux éditions Fayard sont au coeur des débats actuels sur la mondialisation, la société normative, le délire sécuritaire et le risque zéro …
L’écriture est très agréable, concise et imagée et les sujets abordés avec un sourire grimaçant, très actuel.
Les portraits des différents acteurs, outre celui du général, toujours bien ciselés, en prise sur le temps, font coexister de manière remarquable les données d’aujourd’hui avec des souvenirs, des mythologies d’hier. On ne laisse pas de côté, les nouvelles technologies, les conflits de la mixité ethnique, les ambitions toujours plus conquérantes des technocraties internationales, d’un commerce et d’une économie mondialisée.
Certains trouveront que Benoît Duteurtre pousse le bouchon un peu loin, personnellement j’ai beaucoup aimé ce bouquin et ne peut que vous engager à le lire.
Tout commence autour d’un œuf mayonnaise, lequel œuf demeurera un personnage central du bouquin et c’est par quelques lignes sur la sécurité alimentaire et le délire sécuritaire et normatif en général que j’escompte bien vous allécher …
Depuis longtemps, les indices se précisaient. En vacances au bord de la mer, je ne pouvais plus franchir les bouées de la zone de baignade sans me voir rappeler à l’ordre par les maîtres-nageurs. Dans les chambres d’hôtel, équipées de détecteurs de fumée, un simple bâton d’encens risquait de faire tomber des trombes d’eau. Même les voitures faisaient désormais la morale à quiconque négligeait d’attacher sa ceinture. D’autres normes s’attaquaient aux pommes ou aux tomates pour en faire des légumes parfaits et insipides. Dans le village de montagne où je me rendais l’hiver, l’épicier ambulant n’accomplissait plus sa tournée depuis qu’une norme d’hygiène avait rendu son véhicule non conforme. Dans la campagne environnante, d’autres normes agricoles avaient accéléré l’éradication des petites fermes et des basses-cours, remplacées par des usines en béton où l’on incarcérait les animaux dans des boxes métalliques. Les éleveurs traitaient le lait dans des laboratoires réfrigérés, les mains recouvertes de gants en latex et le visage de masques antiseptiques –alors même que les déjections de leur exploitation polluaient toute la contrée.
[…]
Officiellement, l’Europe se prenait pour un monde différent, fort de son Histoire et de ses cultures ; mais par chaque réforme commerciale, juridique , sanitaire, elle se changeait en mauvais pastiche de l’Amérique, envahie par les lignes à ne pas franchir, la hantise des microbes, et toutes ces normes derrière lesquelles des bataillons d’avocats guettaient la moindre faille pour lancer de juteux procès. […]
Je détestais surtout le zèle de mes concitoyens, pressés de liquider leurs moindres usages pour faire de ce pays une banale province de la nouvelle société mondiale, avec sa monnaie barrée de deux traits et ses agents déguisés en policiers du Bronx. Mais quelque chose me semblait plus déprimant encore que tout cela : l’idée d’être moi-même un absurde geignard en train de se lamenter sur la transformation des choses. […] Je fis encore quelques pas boulevard Saint-Germain, la bouche pleine du goût de mayonnaise frelatée. A présent, chaque détail contribuait à m’agacer davantage. Au carrefour suivant, mon attention fut attirée par un camion qui procédait à une manoeuvre pour entrer dans une cour d’immeuble. Un signal aigu se répétait toutes les secondes et je reconnus cet avertisseur de recul, aujourd’hui obligatoire, qui se déclenche automatiquement en marche arrière. On l’entend partout, jusqu’au fond des campagnes où les machines agricoles travaillent dans ce bruit permanent censé protéger les paysans, eux-mêmes affublés de combinaisons fluorescentes …Ce camion avançait, puis reculait encore, et le bruit se répétait comme il se répète nuit et jour aux quatre coins du monde, sur le moindre bout de chantier. Où que vous vvous trouviez, cette exaspérante sonorité semblait vouloir proclamer l’omniprésence d’une sécurité inversement proportionnelle à l’augmentation du chômage et à la suppression de lits dans les hôpitaux. […]
Ma décision était prise : j’allais lancer une pétition.[…] Je croyais modérément à la portée de telles initiatives, car les choses évoluaient dans le sens inverse de mes recommandations. Cette fois pourtant, le moment semblait venu de passer aux choses sérieuses. L’oeuf mayonnaise serait la mère de toutes les batailles. […]
[Le retour du Général de Benoît Duteurtre , paru chez Fayard]
Bien loin d’un livre de simple fiction historique, le retour du général nous emmène dans l’univers complexe et perturbé d’un homme des années 60, se réveillant des “trentes glorieuses”, au prise avec les grandes mutations du moment. A la fois preneur des nouveautés, consommateur de technologies nouvelles, des facilités … mais nostalgique d’autres moins contraintes et moins informatisées, d’interdits moins puissants, de routes sans ligne jaune … Un livre que vous lirez facilement avec plaisir en vous reconnaissant à chaque page … Vous, ou vos enfants.
Aujourd’hui traduit dans une douzaine de langues, Benoît Duteurtre est membre du comité de lecture des éditions Denoël. Il écrit régulièrement dans Marianne, Le Figaro, Paris Match et dans la revue L’Atelier du roman. Il est également producteur à France Musiques où il anime chaque samedi matin son émission Étonnez moi Benoit.