"Li(f)e", de Sage Francis

Publié le 08 juin 2010 par Cuttingpapers

Bon, autant être franc, parler de Sage Francis est un exercice où il est impossible de me demander de rester objectif. Car ce rappeur est ce qui à mes yeux constitue l’élite. Textes ciselés, intelligents, rimes et instrumentaux de première classe, le gaillard est tellement éloigné des clichés merdiques que se trimballe le hip-hop actuel qu’il faudrait recommander l’écoute de ses albums à chaque môme commençant à approcher ce genre musical d’un peu trop près. Bref vous l’aurez compris, j’aime Sage Francis.

Pourtant, je viens à peine de digérer complètement son dernier album, Li(f)e. Presque un mois après sa sortie.
Non pas que cet album soit mauvais, bien loin de là, juste que la prise de risque que notre homme s’est imposée et la direction musicale qu’il a suivie met un certain temps avant de faire son effet. Le parfait résumé que je pourrais faire de l’album pourrait se résumer à cette anecdote lors de son achat. Alors que je me promenais chez un disquaire, je farfouillais dans le rayon hip-hop, et, n’y trouvant rien, je décidai de demander à un sympathique vendeur si il avait la précieuse galette. « Oui », me répondit-il avant de m’emmener dans le rayon musique indé dans lequel trônait l’album du Sage. Oui, indé, juste à côté de Micky Green, Gorillaz, et consorts… Et en y réfléchissant, l’étiquette n’est pas galvaudée.

En effet, on connaissait les volontés d’ouverture du rappeur depuis le début. Son envie d’explorer de nouveaux territoires sonores, de nouvelles possibilités, et ses penchants folk (Jah didn’ kill Johnny – Cash, hein pas Hallyday !). Et là, on s’aperçoit qu’il a franchi le pas. Quitte à faire de cet album un truc finalement assez loin de quelque chose de hip-hop.

Dès le premier morceau, le puissant et poignant "Little Houdini", on rentre dans le bain. Guitare folk, orgue Hammond, et Jason Lytle de Grandaddy à la manoeuvre. Sage déploie son flow au service d’une histoire amère et triste, celle de Christopher Daniel Gay, qui, sachant que sa mère allait mourir, décida de s’évader de prison pour aller lui rendre une dernière visite… On est pris à la gorge, avant que "Three Sheets to the wind" vienne nous donner la bougeotte. Accompagné cette fois de Chris Walla de Death Cab for Cutie, Sage signe une chanson hip-rock-pop-hop et vient battre certains représentants du genre fusionné sur leur propre terrain.
On head-bang, on s’agite, et on en redemande !

Pourtant, il faudra attendre un peu plus tard sur l’album pour recommencer. Car à partir de là, les textes de Francis partent se fondre dans de jolies ballades folk, bien qu’illuminées par un soleil noir. La moite et lourde "Slow Man", faite avec Calexico en est un bon exemple, tandis que "I was Zero", "Diamond and Pearls" ou "The Baby Stays" prennent une saveur plus pastorale, champêtre. Mention spéciale à "The Baby Stays" et à son ambiance particulière.

A ce point là de l’album, la manière de chanter est le seul point de repère hip-hop. Avec le morceau "Polterzeitgeist" et sa rythmique. Pour tout le reste, chaque chanson s’habillera d’un folk/country à la fois roots et léché. Sur "Worry Not", notre bonhomme s’en va même s’offrir un blues Nouvelle Orléans tout droit sorti d’un cabaret enfumé. Savoureux.

Passée cette piste vient la dernière ligne droite. Ligne ou nous passerons par : du presque punk sur "London Bridge" (oui, oui, du punk !), de la chanson rock à la Springsteen sur "Love the lie", et enfin un spoken-word cinématographique sur "The Best of Times". Belle chanson de clôture, triste et belle, d’abord mélancolique, mais qui finit par vous donner le sourire. Une chanson qui part de l’ombre pour s’envoler gracieusement vers la lumière, habillée par Yann Tiersen.

En définitive, Li(f)e est un exercice casse-gueule sur lequel Sage Francis s’en sort plus que bien.
La fusion entre le hip-hop et d’autres genres comme le métal ou la folk donnent à entendre autant de bon que de mauvais.

Ici, on est loin de ce qu’à pu faire Everlast par exemple. Sage habille ses chansons d’un univers folk, certes, mais il le fait avec une telle classe, un tel souci du détail dans les arrangements, qu’il parvient à se détacher complètement de son socle de départ pour créer une fusion à part. Une ambiance, un style, une force qui lui est toute propre. Et ses histoires sur les gens ordinaires, sur les coups de putes ou les joies que nous réservent la vie, prennent une dimension, une émotion et une saveur toute particulière, peut-être même plus qu’auparavant quand il leur donne cet apparât.

Je recommande chaudement Li(f)e à ceux qui n’ont jamais jeté une oreille au travail de Sage Francis, mais aussi à ceux qui le suivent depuis le début, et à ceux qui écoutent du hip-hop, mais qui seront suffisamment ouverts d’esprit pour savoir que ce genre musical est avant tout synonyme d’ouverture et d’expérimentations avant d’être une ode au bling-bling et aux putes…

A lire aussi, l’interview de Sage Francis que le blog a réalisée lors de la sortie de l’album.