Réédité en mars dernier aux éditions Agone, voici un livre qui est passé presque inaperçu. Il est signé Franz Broswimmer, de l’université d’Hawaï et s’intitule Une brève histoire de l’extinction en masse des espèces.
Il précède et complète en tout point un autre livre, qui lui a largement bénéficié des trompettes médiatiques, le très documenté Effondrement de Jared Diamond. Le Collapse : How Societies Choose To Fail or Succeed du célèbre biologiste américain avait l’immense valeur anthropologique et historique de décortiquer les différentes causes de la disparition des civilisations. Entre autres, les Vikings du Groenland (qui ont cherché à reproduire strictement leur mode de vie scandinave sur une terre bien plus rude), les Pascuans (qu’on ne présente plus depuis qu’EDF utilise cette image d’Epinal dans leurs publicités greenwashing), mais aussi les Mayas et les Anasazis. On y apprend vraiment des tas de choses passionnantes ! Dédicace aux navigateurs polynésiens dont on se demande comment ils ont pu coloniser tous ces îlots avec leur pirogue. Une belle leçon d’humilité pour nos civilisations méditerranéennes qui barbotaient gentiment à l’époque… En plus c’est écrit à l’américaine. Thèse, démonstrations, illustrations, résumé. D’ailleurs tous les livres de Diamond sont des perles de documentation.
Mais…
Mais le livre de Broswimmer, comme le rappelle dans la superbe préface de Jean-Pierre Berlan pour cette réédition, apporte une dimension politique que Diamond n’évoque jamais. Quand je lisais Effondrement, dont le but est quand même de nous montrer les similarités entre ces civilisations suicidaires et la nôtre qui est en train de réaliser le potlatch final, je me disais qu’il était finalement peu critique et bien consensuel. Jamais le libéralisme ou le capitalisme n’est évoqué. On dira qu’il est américain et que cela conditionne. Mais je ne pipe pas un mot de cet argument. Sinon Hawaï n’est pas vraiment aux Etats-Unis, et Broswimmer n’est pas vraiment américain…
Alors certes, ce petit livre encore fort méconnu est peut-être moins exhaustif que celui de son compatriote. Mais il va beaucoup plus loin. Parce qu’il remonte très loin. En effet, Broswimmer aborde un phénomène que je ne connaissais pas : l’extermination de la mégafaune. A savoir tous ces mammifères et oiseaux géants qui pullulaient sur les continents. Le mammouth est le plus connu. Mais il y a aussi le cerf géant, le paresseux géant, le tigre à dents de sabre (smilodon) et même l’intriguant et southparkien castor géant.
Or, les preuves convergent pour assurer que l’homme est directement responsable de la disparition de ces gros animaux. Gibier abondant, encore peu farouche, certes délicat à chasser… mais on retrouve des traces paléontologiques montrant que déjà, les homo sapiens savaient précipiter des troupeaux entiers dans les falaises. Quand on lit les chiffres, c’est véritablement un carnage sur une période pas si longue. La page wikipedia (plus précautionneuse que Broswimmer mais le verdict est tout de même sans appel pour la responsabilité humaine) sur l’extinction de l’Holocène dresse un bilan honorable.
Je rajouterai des élements du livre, absents de wikipedia, à propos de l’Australie. Quand les Aborigènes arrivent sur le continent il y a 47 000 ans, il y a une importante mégafaune. Tout a disparu en quelques milliers d’années. La chasse intensive, mais aussi le brûlis, nous rappellent juste que les Aborigènes, malgré certaines fables, sont comme les autres colons… pas forcément soucieux de leur ecosystèmes. Evidemment, pas question de juger ! Et encore moins de laisser croire que les Aborigènes d’aujourd’hui sont identiques à leurs ancêtres !
Une thèse qui commence à frayer son chemin, c’est celle que la révolution néolithique serait une conséquence de cette disparition de la mégafaune. Eh oui ! Le gibier se raréfiant, il a fallu aux hommes inventer d’autres systèmes d’approvisionnement, à savoir l’agriculture. Et comme le rappelle Thoreau dans son magique Walden, on y gagne pas vraiment en se sédentarisant et en adoptant un mode vie agricole ou pastoral. Davantage de boulot, et bien plus de dépendance aux saisons, aux parasites et aux maladies. Ah, que nous étions bien dans nos grottes à travailler peu, vivant de plantes et de gibier facile…*
Quoiqu’il en soit, voici un enseignement important. Quand on bouleverse irrémédiablement son écosystème, quand on provoque un écocide, il faut aussi savoir changer drastiquement son mode de vie. Une révolution néolithique, ce n’est pas tous les jours et c’est pas facile. Je peine à imaginer quelle révolution mentale et factuelle il faudra déployer pour s’adapter à l’écocide d’aujourd’hui.
Revenons brièvement au livre de Broswimmer. On y évoque aussi les jeux du cirque à Rome. C’est juste dément ce qu’ils ont fait les Romains. Imaginez déjà le style : gladiateurs contre crocodiles, ours blancs contre lions, sangliers onctre hippopotames, rhinocéros, girafes, etc, etc. Toutes les combinaisons y sont passées. Ca fait rêver. Question nombre aussi, les Romains n’ont pas lésiné. On se dit que ca devait pas être commode de trimbaler des gros animaux sauvages depuis des contrées lointaines et qu’il y avait quand même d’autres priorités… Eh bien non. Les chiffres sont hallucinants. C’est la grande boucherie. 9 000 animaux sacrifiés pour l’inauguration du Colisée, 11 000 pour César, pareil pour Trajan et les autres empereurs… N’en jetez plus.
Ainsi sommes-nous tentés, par ces exemples historiques, de déclarer forfait. Et si finalement c’était dans la nature humaine ? Des Aborigènes aux Romains en passant par toutes les tribus de cette planète ? Au risque de sortir une banalité, effectivement le monde n’a pas beaucoup changé en 50 000 ans. C’est l’écocide tout le temps…
Et parallèlement, il y a toujours eu des gens lucides sur la situation, des proto-écolos ! Est-ce présomptueux de dire que Platon était écologiste ? Il n’empêche que la remarque du philosophe athénien montre que oui, vraiment il n’y a rien de nouveau sous le soleil.
"Ce qui subsiste aujourd’hui, comparé avec ce qui existait autrefois, est comme le squelette d’un homme malade, toute cette terre grasse et molle s’étant épuisée, il ne reste que le squelette décharné du pays"
Platon
On trouverait des milliers de remarques similaires à celle de Platon dans l’Histoire. Dommage que nos télécologistes modernes croient tout inventer…
Le livre se poursuit avec la chasse aux castors au XIXème siècle en Amérique Nord. C’était la mode des chapeaux en castor… Puis l’extermination des baleines (extinction définitive évitée de justesse pour certaines espèces). Et cela finit en apothéose avec l’exemple de la guerre du Vietnam.
Il faut avoir le coeur solide quand on s’attaque à ce petit livre. Comme souvent, on oscille entre rage devant le laisser-faire et désespoir devant ce laisser-aller. Comme si certaines forces en nous étaient plus fortes que nous. Pour façonner le monde à son image, il faut que l’homme détruise. Alors le dernier exemple sur la guerre du Vietnam prend tout son sens. Je ne connaissais pas bien non plus. Et objectivement, tout écologiste devrait avoir en tête cet exemple. Ce pays a subi le plus grand écocide. 20% de forêts empoisonnées, des surfaces agricoles qui ne s’en remettront pas, des bombes en veux-tu en voilà, en plus grande quantité que deux guerres mondiales réunies. Oh, les Etats-Unis n’ont pas fait dans la dentelle en profitant de ce terrain de jeu pour tester toutes sortes de nouvelles armes. L’agent orange notamment (si si, vous savez, ce défoliant fabriqué par Monsanto…) mais aussi d’autres produits qui font frémir que vous trouverez dans le livre. Rappelons cette réalité triviale : la guerre est de loin la principale activité écocidaire. Qui désire vraiment protéger l’environnement doit donc être contre la guerre. Quel scoop !
*Faut-il préciser que c’est ironique ?
NB : le terme écocide est comme le terme eco-sapiens. Un mélange hétéroclite de racines grecques et latines. Les puristes pardonneront. C’est que nous avons étudié longuement des fibres optiques monomodes…
Pour avoir un autre compte rendu sur le livre, il y a un savoureux article sur article11