Celui qui Marche avec Justesse.

Par Sandy458

 

Easy Mandala, par SkoroLeto, wikimedia commons, domaine public.

« Dans le calme, on atteint l’état de non-agir pour tout faire.

Dans le calme profond, on arrive à atteindre un objectif plus loin et plus complet.

Dans l’état de calme profond, dans la joie du vide et du non-avoir, alors l’énergie véritable se produit. »

Huand Di Nei Jing, « Le Classique Interne de l’Empereur Jaune ».

J’ai retourné mes poches et déposé tout ce qu’elles contenaient dans l’herbe fraîche.

Le vert tendre a instantanément recouvert les symboles d’un monde qui voulait me faire croire que j’étais libre mais qui me retenait pourtant de plus en plus prisonnière dans ses fausses nécessités toujours plus exigeantes et renouvelées.

Je me suis dévêtue, jusqu’à n’apparaître au soleil que dans ma nudité originelle.

Assise dans l’herbe, j’ai ressenti le picotement des scories qui se détachaient de mon être interne puis qui s’envolaient emportées par la brise.

Le sommet de mon crâne, maintenant transparent, laissait filtrer la clarté du jour et deviner la danse des nuages et des étoiles. L’obscurité s’est écoulée de mon corps, graduellement, jusqu’à ce qu’elle laisse place à une enveloppe légère et totalement translucide. Les rayons du soleil chahutaient dans l’herbe, filtrés par mon être.

Au travers de mon cocon diaphane, mon cœur palpitait, mes poumons se gonflaient de fluide apaisant, tous mes organes vivaient.

Pourtant, invisible j’étais.

Immobile, j’attendais, sans crainte et sans impatience.

J’attendais l’apparition de Celui qui Marche avec Justesse pour lui emboîter le pas et l’accompagner dans son périple sans lieu, ni temps ni but.

Sous mes paupières closes, je l’ai vu approcher. J’ai suivi sa progression depuis l’horizon jusqu’à ce qu’il atteigne ma position. Je l’ai tout de suite reconnu : lui, unique mais semblable à des milliers d’autres, tout et « un », le néant et le plein. L’infini.

Pendant un temps suspendu, il a marché sur place en me regardant puis il a repris son mouvement car son voyage ne saurait souffrir de l’inutilité d’une stérile tergiversation sans alourdir le souffle qui soutient la plante de ses pieds.

Je le contemplais et je m’abreuvais déjà de son esprit et de ses préceptes millénaires.

Car Celui qui Marche avec Justesse savait que c’est lorsqu’on se pose un instant que l’on comprend enfin les mouvements du monde. Il faisait volontairement silence puisque c’est dans cet état seul qu’on perçoit la musique de l’univers.

Il avait choisit, dès la naissance des Temps, de marcher dans la nature : il connaissait ainsi le contentement de se retrouver en contact avec l’herbe douce ou rêche, en compagnie des arbres en habit des quatre saisons, avec le ciel clair ou ombrageux,  ou encore avec la terre sèche ou molle.

Chacun de ses justes pas le plongeaient dans un état spirituel et corporel d’ouverture.

A son contact, j’ai pris conscience de ma respiration qui allait et qui venait, libre de tout carcan,  le souffle délié dans le ressourcement de tout mon être.

Emboiter le pas de Celui qui Marche avec Justesse me délivrait du poids oppressant de mes pensées. Mon sentier s’est aplani, en harmonie avec la respiration de la terre et avec les pulsions nées des méandres du paysage et du besoin viscéral de vivre les changements naturels de l’univers qui m’entourait.

Mes pas, synchronisés sur celui de mon compagnon, m’ont enracinée dans la terre ferme : j’ai établi le juste contact avec le sol. J’ai entendu le murmure de l’harmonie du monde, il chuchotait tout bas à mon oreille. Et la mélodie silencieuse était belle.

Ensuite, sortie de moi-même, j’ai marché à mes côtés puis je suis entrée dans le monde des extrahumains, dans la vie des végétaux et des créatures animales.

J’ai échappé à la petitesse de mon moi et j’ai trouvé une place dans le Grand Tout. Une place qui m’attendait de toute éternité et que j’espérais tant pouvoir connaître pendant le temps de mon humanité.

Celui qui Marche avec Justesse s’est saisi de ma main et l’a posé doucement sur son cœur. Nous ne marchions pas uniquement pour nous rendre dans un lieu précis mais surtout pour vivre. Il nous fallait réduire notre empressement et trouver notre juste lenteur.

Le sacré de notre marche ne pouvait s’accommoder de la vitesse au risque de pervertir la quiétude des petits riens que nous survolions et de métamorphoser les grains de sable du chemin en sommets infranchissables. Seuls ceux qui ne connaissent pas la Justesse de l’existence et qui la redoute, vénèrent la vitesse. Elle les sépare de leur milieu de vie, les empêchant de se réconcilier avec les éléments et d’aller au rythme de la fleur qui s’épanouit.

L’univers de ceux qui méconnaissent  la Justesse est un monde inquiet qui oublie le  temps présent, ici et maintenant, préférant se projeter dans un hypothétique avenir angoissant puisque il n’est encore qu’un embryon si changeant et si incertain.

Au côté de Celui qui Marche avec Justesse, j’ai  dessiné le paysage, je l’ai peint avec mon souffle, mon corps est devenu pinceau, mes pensées ont jeté les couleurs.

La toile qui recevait l’œuvre n’était que moi-même.

Je me suis fondue dans le paysage, au risque de m’y perdre et d’y disparaître.

Celui qui Marche avec Justesse a disparu, il s’est volatilisé dans un souffle, je n’avais plus besoin de lui maintenant que je savais marcher sans but, sans me laisser abuser par ce que je pouvais croiser. Je pouvais avancer sans crainte même en ignorant ou mes pas allaient me porter et si j’allais apprécier ce que j’allais contempler. L’important était d’être au monde pour assister à ses métamorphoses, et d’accepter de  changer avec le changement.

« Marcher sur terre est un miracle bien plus grand que marcher dans le ciel. » dit le Sage.

Mon miracle était de demeurer seule en toute quiétude, libre de m’arrêter ou de continuer sur mon chemin, de faire confiance au hasard, de goûter à l’ivresse de la fluidité de mes pas.

J’étais maintenant bien engagée sur la route qui mène à rejoindre Ceux qui Marchent avec Justesse.