Il y a trois, David Markson publiait The last novel mais il nous promettait qu'il ne s'agirait pas de son dernier roman. Il semblerait bien qu'il s'agisse en tout cas du dernier roman publié de son vivant. David Markson est mort ce week-end. Il avait 82 ans. Que cette bien triste nouvelle ne nous soit parvenue que par l'insatiable murmure du web plutôt que via quelques unes des officines privilégiées du monde littéraire US est aussi déplorable que, finalement, approprié : comme son compère Gilbert Sorrentino, David Markson était devenu un des points de références d'une petite communauté de lecteur très active mais n'ayant pas l'attention des grands médias. Markson étaient de ceux qui prouvaient encore et encore la validité d'une démarche risquée et expérimentale.
Markson considérait que le vrai départ de sa carrière d'écrivain avait été donné en 1970 avec la publication de Going Down, son cinquième roman. Il était pourtant actif dans les milieux littéraires depuis les années '50 : disciple de Lowry, camarade de bouteille de Dylan Thomas, sa porte était toujours ouverte à Kerouac lorsque celui-ci désirait dormir quelques heures. Grand ami de Gaddis, Markson a aussi indirectement contribué à la réédition des Recognitions quelques années après sa publication initiale, scandaleusement ignorée comme on le sait. Dans les années '60, David Markson, alors éditeur, publie trois polars comiques et érudits et un western outrancier (adapté par Hollywood, avec Frank Sinatra dans le rôle principal) histoire de payer les factures.
À partir de Going Down, Markson se consacre sérieusement à son écriture. Des sept romans publiés en 37 ans, on retiendra le superbe Wittgenstein's mistress (traduit par Martin Winckler pour P.O.L en 1991) et This is not a novel (Arrêter d'écrire, traduit par Claro pour le Lot 49 en 2007). Ce dernier roman fait partie, avec Reader's block, Vanishing Point et The last novel, d'un quatuor (tétralogie est un mot qui ne semble pas vraiment convenir au projet de Markson). Il s'agit d'une série de roman non-linéaires, non-narratifs, chacun centré sur un aspect de l'artiste (le lecteur, l'auteur, le romancier...) et construit à partir de citations et d'anecdotes que Markson tirait d'une invraisemblable banque de donnée personelle. Comme c'est souvent le cas avec les travaux expérimentaux, le lecteur pressé aura bien vite fait de se plaindre de l'inutilité et du caractère répétitif du projet. D'autres, et nous espérons que vous en faites partie, sont restés admiratifs devant la force humaine et littéraire qui se dégage de ces quatre livres : le montage, l'assemblage de ces phrases et de ces aphorismes parvient à créer unité et sens. Au bout du compte, ce sont des oeuvres fortes et profondément touchantes.
À notre époque, une des critiques les plus vaches qui puisse être faite à un auteur, c'est de dire que son livre serait « pompé sur wikipedia ». David Markson aura prouvé que l'important n'est pas tant d'où viennent les mots qui composent un livre que comment ils sont utilisés. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, l'écrivain espagnol German Sierra dit que l'innovation « n'est pas une qualité mais plutôt un dialogue en cours avec les œuvres du passé et les circonstances du présent ». En ce sens, l'oeuvre de Markson n'aura cessé d'être innovante. Et belle. Même si cela fait dix ans que courre la rumeur de sa maladie, et qu'à 82 ans, il aura sans doute bien vécu, le Fric-Frac Club est fort triste aujourd'hui. Perdre quelqu'un de sa trempe, c'est toujours une très mauvaise nouvelle.
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Consultez nos archives pour plusieurs articles sur Markson, dont ce portrait écrit à l'occasion de la publication américaine de The last novel et de la publication française de Arrêter d'écrire.