Le régime communiste vietnamien a eu la peau de l'archevêque d'Hanoi

Publié le 07 juin 2010 par Francisrichard @francisrichard

Il y a plusieurs moyens d'obtenir la démission de quelqu'un : lui offrir une large compensation, le faire chanter ou le harceler.  C'est ce dernier moyen que le régime communiste vietnamien semble avoir employé pour obtenir la démission de l'archevêque d'Hanoï.

Mgr Joseph Ngo Quang Kiet [dont la photo ci-contre provient d'ici] est-il un archevêque âgé, démissionnant pour faire valoir ses droits à une retraite bien méritée ? Non. Il aura 58 ans seulement au mois de septembre prochain.  Autant dire que la raison de son départ ne peut avoir aucun rapport avec son âge. 

Mgr Joseph Ngo Quang Kiet est-il quelqu'un que ce régime totalitaire a pu corrompre ou faire chanter ? Non. Il ne reste donc que le harcèlement et c'est sans doute la véritable raison de sa démission.

Qu'a donc fait Mgr Kiet pour mériter d'être harcelé ? Il a osé résister. Qui plus est sereinement, pacifiquement. 

Il y a bientôt deux ans, je racontais sur ce blog ici comment l'archevêque de Hanoi avait osé tenir tête au Comité populaire de la ville, en maintenant la revendication de l'Eglise catholique "sur des terrains lui appartenant, qui n'ont pas fait l'objet officiellement d'un changement de propriétaire et qui ne sont pas utilisés dans l'intérêt général, tels que peuvent l'être des écoles ou des hôpitaux" et dont les autorités s'étaient emparées au mépris du droit de propriété.

L'archevêque avait alors déclaré :

"Nous nous permettons de rappeler que nous désirons ardemment construire l'unité nationale. Nous avons beaucoup voyagé à l'étranger, nous nous sentons humiliés quand nous portons le passeport vietnamien. Où que nous allions, nous sommes fouillés. Nous sommes très tristes de cette situation et nous voulons que notre pays soit plus fort."

Propos que la presse aux ordres avait scrupuleusement rapporté, comme l'internaute peut en juger, en disant que Mgr Kiet "se sentait honteux de porter un passeport vietnamien"...

A l'époque le maire de Hanoi, Nguyen The Thao, avait même demandé la révocation de Mgr Kiet,  après que le prélat avait déclaré, au sortir d'une vaine réunion avec des représentants des autorités, que "la liberté religieuse n'est pas un privilège mais un droit." 

Depuis fin 2007 les incidents avec l'Eglise catholique n'ont pas cessé de se multiplier. Il s'agit pour la dictature communiste d'abattre ce bastion de liberté en provoquant ses fidèles pour qu'ils commettent des violences et justifient leur répression.

Au début de cette année Mgr Kiet s'était bien gardé d'intervenir lors d'un énième incident [voir mon article Au Vietnam, plus que jamais, le régime communiste persécute les catholiques ]. Il ne voulait surtout pas que les autorités en tirent prétexte pour obtenir sa révocation.

Toujours est-il que début mars Mgr Kiet s'envolait pour se faire soigner à Rome "pour surmenage" ici. A Rome il a effectivement été admis à l'hôpital Gemelli où la Congrégation pour l'évangélisation des peuples lui avait réservé une place. 

Moins de deux semaines après le retour à Hanoï le 9 avril dernier de Mgr Kiet, Mgr Pierre Nguyen Van Nhon, âgé de 72 ans, était nommé par Sa Sainteté le Pape Benoît XVI, évêque coadjuteur d'Hanoi. Trois semaines plus tard Mgr Nhon devenait archevêque de Hanoï à la suite de la démission de Mgr Kiet, qui quittait la capitale le 13 mai dernier pour se faire soigner aux Etats-Unis ici.

Que le Vatican ait fait une concession au régime ou que Mgr Kiet ait réellement demandé d'être déchargé de sa tâche pour raisons de santé, le fait est là : le régime communiste vietnamien a eu la peau de l'archevêque de Hanoï et ses ouailles sont dans l'affliction. Il faut prier pourqu'elles ne se divisent pas dans l'épreuve.

Francis Richard

Voici la lettre émouvante que Mgr Kiet a adressé à ses ouailles et que publie Catholique.org ici :

Hanoi le 13 mai 2010

Chers frères et sœurs,

Le Saint-Siège vient d’annoncer que le Saint-Père a accepté ma demande de démission. Voici venu le moment de me séparer de vous. Il m’est difficile de vous dire au revoir, surtout que vous n’êtes pas encore prêts à accepter mon départ ! Je ne peux pas ne rien dire, mais je ne peux non plus tout vous dire en une seule fois, la dernière. Je souhaite ardemment que vous compreniez qu’il n’existe pas de raisonnement capable de convaincre ceux qui sont tristes. Mais j’espère que votre grand cœur vous permettra d’accepter une chose qui maintenant ne peut plus changer.

J’ai eu le tort de vous décevoir en présentant ma démission. Mais soyez convaincus que tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour le plus grand bien de l’Eglise et, plus concrètement, de notre archidiocèse de Hanoi. En réalité, lorsque j’ai fait allusion à cette démission, les congrégations romaines concernées ont protesté. Mais lorsque je suis allé directement la proposer au Saint-Père, celui-ci dans sa grande bonté m’a compris et il l’a accepté. Avec ma demande de démission, j’ai aussi prié le Saint-Siège de me trouver un successeur. C’est le président de la Conférence épiscopale du Vietnam, Mgr Pierre Nguyen Van Nhon, qui a été choisi. Par obéissance, il a accepté avec courage cette lourde charge, dans les si délicates circonstances d’aujourd’hui. Tout s’est véritablement passé dans un esprit de service et d’amour mutuel.

En cet instant d’émotion, le sentiment le plus fort en moi est un sentiment d’affection et de reconnaissance.

Je rends grâce au Seigneur d’avoir enveloppé ma vie de son amour débordant : il n’y a aucun lieu, aucun moment de ma vie où je n’ai été submergé par lui. Je me considère véritablement comme « un disciple aimé du Seigneur ». Bien que je n’en sois pas digne, le Seigneur m’a aimé. Malgré mon infidélité, il ne m’a pas abandonné. A travers les embûches, les dangers de la mer, la main du Seigneur m’a conduit à bon port. Aujourd’hui, cette même main aimante me guide sur un nouveau chemin pour que je comprenne davantage et que je vive en plénitude cet amour. Éternellement, je lui rendrai grâce.

C’est un vrai bonheur pour moi que de vivre dans l’Eglise. Où que j’aille et quelle que soit ma tâche, je continue de lui appartenir. Que ce soit dans la basse région peuplée et riante, ou dans la haute région retirée, dans une ville animée ou dans une pauvre campagne, je reste toujours un membre de l’Eglise. Que je sois chargé de missions importantes ou que je n’accomplisse que des tâches ordinaires, même lorsque je suis étendu, immobile, sur un lit de malade, j’apporte ma contribution à la vie de l’Eglise. Ainsi, même petit et ordinaire, je suis toujours l’objet de soins et d’amour.

Cet amour s’est manifesté de façon vivante et concrète, à travers vous, frères et sœurs bien-aimés, proches et lointains, qui avez partagé avec moi et m’avez soutenu tout au long de ma vie. Vous êtes mes parents, mes frères et mes sœurs, toute ma parenté... Nous sommes devenus un seul être à travers tant d’événements tristes et joyeux. Nous avons vécu ensemble, travaillé ensemble. Pus que cela, nous nous sommes réjouis ensemble, ensemble nous avons espéré, nous nous sommes inquiétés, nous nous sommes attristés ensemble. Spécialement, dans les moments de tempête, alors que notre vie était menacée, nous étions prêts à mourir ensemble. Comment pourrait-on encore nous séparer ?

Vous êtes le cadeau le plus précieux que le Seigneur m’ait accordé dans ma vie.

Je rends grâce au Seigneur pour l’évêque auxiliaire et les prêtres, mes frères très chers. Vous faites partie de mon cœur. Vous êtes la force de vie du diocèse, car vous l’édifiez pour qu’il devienne une famille vivant dans l’harmonie, avec un seul cœur et un seul esprit. Merci à vous de m’avoir donné le bonheur de goûter votre fraternité chaleureuse à l’intérieur de la famille du diocèse : « Oui, il est bon, il est doux pour des frères de vivre ensemble et d’être unis. » (Ps 132,1).

Je remercie le Seigneur pour les religieux et les religieuses, des collaborateurs de confiance. Discrets mais efficaces, ne craignant pas d’accomplir les tâches les plus modestes, prêts à vous rendre dans les lieux les plus éloignés, vous avez élargi le champ d’évangélisation du diocèse, lui permettant de procurer des récoltes de plus en plus abondantes. Merci pour votre générosité !

Je rends grâce au Seigneur pour les séminaristes, nos enfants bien-aimés. Vous êtes la prunelle de mes yeux. Animés par un esprit de service et de don de vous-même, vous avez ouvert vos âmes au programme de formation de l’Eglise, vous vous êtes appliqués à perfectionner vos connaissances, vous avez participé avec zèle à la pastorale, vous vous êtes engagés au service des plus pauvres, des malades et plus spécialement des lépreux et surtout vous n’avez cessé de perfectionner votre conduite morale. Merci à vous d’avoir donné à vos formateurs la vision d’un avenir plein d’espérance pour le diocèse.

Merci au Seigneur pour vous mes frères et sœurs laïcs bien-aimés de la famille de l’archidiocèse de Hanoi. Lorsque je pense à vous, je ne peux réprimer mon émotion. En supportant avec persévérance des difficultés, non seulement vous avez été les fondations d’une Eglise ferme et inébranlable, les racines d’un arbre qui n’a cessé de porter des fruits en abondance, mais vous avez aussi, pour une part, contribué à l’édification de la société lorsque avec courage vous avait élevé la voix pour soutenir la justice, prêts à sacrifier votre vie pour défendre la vérité. Vous êtes l’Eglise. Vous avez versé votre sueur, vos larmes, et même votre sang pour maintenir et développer l’Eglise. Je suis fier de vous. Je vous admire. Je vous suis reconnaissant.

Alors que nous parlons d’amour, comment ne pas mentionner le pardon ? Je vous demande de pardonner mes fautes et mes lacunes. Je vous demande aussi de pardonner, en mon nom, à tous ceux qui nous ont offensés. Nous n’acceptons pas le mal, mais il nous faut pardonner et prier pour ceux qui se sont égarés afin qu’ils retrouvent le droit chemin.

En ce moment des adieux, comment tout dire ? Ma dernière parole sera pour vous dire de garder votre amour et votre unité. C’est là le trésor le plus précieux de notre Eglise. Dans cet amour et cette unité déjà présents, vous aimerez Mgr Pierre Nguyen Van Nhon comme vous m’avez aimé moi-même ; vous collaborerez avec lui, comme vous l’avez fait avec moi. Il me remplacera au milieu de vous pour que jamais le courant d’amour mutuel ne s’interrompe.

Même séparés, la prière nous unira. Même parti, je continuerai à servir le diocèse par la prière. Grâce à la prière et à notre amour mutuel, le Seigneur accordera à notre diocèse de nombreuses grâces, plus que nous pouvons en souhaiter. C’est pourquoi, je vous demande de ne pas me retenir, et de me laisser partir conformément à ma propre aspiration. Je suis en effet, persuadé que mon départ est conforme à la volonté de Dieu et qu’il constituera un bien aussi bien pour vous que pour moi.

Que la paix du Seigneur soit toujours avec vous.

Joseph Ngô Quang Kiêt

Nous en sommes au

686e jour de privation de liberté pour Max Göldi, le dernier otage suisse en Libye