Les grenouilles se lassant
De l’état démocratique,
Par leurs clameurs firent tant
Que Jupin les soumit au pouvoir monarchique.
Il leur tomba du ciel un roi tout pacifique:
Ce roi fit toutefois un tel bruit en tombant,
Que la gent marécageuse,
Gent fort sotte et fort peureuse,
S’alla cacher sous les eaux,
Dans les joncs, les roseaux,
Dans les trous du marécage,
Sans oser de longtemps regarder au visage
Celui qu’elles croyaient être un géant nouveau.
Or c’était un soliveau,
De qui la gravité fit peur à la première
Qui, de le voir s’aventurant,
Osa bien quitter sa tanière.
Elle approcha, mais en tremblant;
Une autre la suivit, une autre en fit autant:
Il en vint une fourmilière;
Et leur troupe à la fin se rendit familière
Jusqu’à sauter sur l’épaule du roi.
Le bon sire le souffre et se tient toujours coi.
Jupin en a bientôt la cervelle rompue:
«Donnez-nous, dit ce peuple, un roi qui se remue.»
Le monarque des dieux leur envoie une grue,
Qui les croque, qui les tue,
Qui les gobe à son plaisir;
Et grenouilles de se plaindre.
Et Jupin de leur dire:« Eh quoi? votre désir
A ses lois croit-il nous astreindre?
Vous avez dû premièrement
Garder votre gouvernement;
Mais, ne l’ayant pas fait, il vous devait suffire
Que votre premier roi fut débonnaire et doux
De celui-ci contentez-vous,
De peur d’en rencontrer un pire.
La Fontaine, Les grenouilles qui demandent un roi, Livre III - 4
Que Pierre Mansat, l’adjoint au maire de Paris chargé des relations avec les collectivités, dont Paris est sa banlieue salue régulièrement l’action, n’en prenne pas ombrage, mais cette fable me fait toujours plus penser à la Conférence Métropolitaine et à l’attitude des élus dans le débat sur le Grand-Paris, ou Paris-Métropole si cela peut leur faire plaisir. Après tout, se cacher derrière son petit doigt est toujours une alternative…
Les fables sont un moyen facile de faire passer un message sous réserve qu’on sache les décrypter. Ainsi me direz-vous pour les grenouilles, c’est facile, ce sont les élus de l’agglomération parisienne dans leurs divagations de SDRIF en réflexions sur la gouvernance métropolitaine. Mais à qui attribuer le rôle peu flatteur du soliveau et celui de la grue ? Une analyse rapide imposerait Jean-Paul Huchon dans le rôle du soliveau, région débonnaire et protectrice, englobante dans ses pétales, son polycentrisme et ses territoires de projets, face à la grue annexionniste, bonapartiste et haussmannien, le parisien Bertrand Delanoë croquant l’une après l’autre les pauvres communes batraciennes, commençant par sa proche périphérie, récréant à son profit un département de la Seine puis un Grand-Paris et même un Paris tout court, mais grand, morale et fin de la fable.
Mais à écouter certains participants de la dernière session de la Conférence Métropolitaine s’inquiéter des dizaines d’experts qui travaillent sur des découpages, des saucissonnages, et de parler de « trou noir » au niveau de l’Etat où on prépare des choses dont on ne sait rien, on pourrait se demander si finalement les rôles ne sont pas à distribuer autrement. Et celui du soliveau pourrait bien échoir cette fois-ci à un Bertrand Delanoë, la grue Etatique réglant à l’emporte-pièce un débat enlisé depuis trop longtemps. Et je citerai volontiers à ce propos Philippe Dallier (pour faire taire les commentateurs qui accusent Paris est sa banlieue d’être biaisé ;-) déclarant en substance qu’il est urgent que les élus s’emparent du sujet, élus de toutes sensibilités confondues, que toutes les hypothèses soient mises sur la table, et que du statu quo à la bombe atomique en passant par la couche supplémentaire au mille-feuille institutionnel, il n’y a pas de mauvaise hypothèse et pour finir c’est bien le citoyen qui est au centre du débat.
J’ajouterai pour ma part qu’il faut sortir de la notion de Gouvernance, pour entrer dans celle de Gouvernement. Question de vocabulaire ? Pas seulement, question de réalisme et d’honnêteté. Les débats de plus en plus nombreux sur le Grand-Paris et sa gouvernance, sont aussi de plus en plus l’occasion pour chacun de présenter toutes les bonnes raisons du monde pour ne rien changer ou pour éviter de prendre des positions fortes et courageuses, impliquant des changements profonds dans l’organisation et même le périmètre des entités administratives. Lors du débat sur Paris-Métropole organisé par Bertrand Delanoë le 28 novembre dernier, l’expert invité pour présenter le débat citait de façon assez méprisante ces blogues qui proposent d’agrandir Paris en y incluant les communes environnantes qui seraient transformées en arrondissements, comme si le débat devait rester l’apanage des seuls experts et des politiques. Bertrand Delanoë lors de la dernière Conférence Métropolitaine a insisté sur le fait qu’il faut que la population des communes concernées se sentent parties prenantes, qu’elles se sentent concernées. Alors sortons de la gouvernance, des pétales, du polycentrisme et des querelles d’experts. Je ne connais pas le taux de participation de la population à l’enquête publique sur le SDRIF, mais si je me fie à l’exemple de ma commune qui au bout d’un mois comptait 8 avis pour une population de 50.000 habitants, cela montre la limite de la méthode et l’inintérêt total qu’elle soulève dans la population, pourtant censée être au cœur du débat, et appeler à plus de modestie de la part et des politiques et des experts.
A ce propos je ne peux que saluer l’initiative d’un autre blogue, les audoniens.com, qui organise ce mercredi un débat (voir ci-dessous) sur la question du Grand-Paris et les relations Paris-Banlieue
Jean-Paul Chapon
Mercredi 12 décembre à 19h30, REUNION-DEBAT St-OUEN & LES ENJEuX DU GRAND PARIS avec des personnalités politiques.
———-
* Philippe DALLIER, sénateur-maire des Pavillons-sous-Bois (93), chargé d’un rapport d’information sur « La gouvernance en Île-de-France : quel avenir pour le Grand Paris ? » ;
* Pierre MANSAT, adjoint au maire de Paris en charge des relations avec les collectivités territoriales d’Île-de-France ;
* Jacqueline ROUILLON, maire de Saint-Ouen, conseillère générale, membre du secrétariat
de la conférence métropolitaine ;
* Bruno LEROUX, député de 1ère circonscription de Seine-Saint-Denis ;
* Francis GODARD, adjoint au maire de Saint-Ouen en charge de l’intercommunalité, président de l’université Paris Est – Marne-la-Vallée ;
* Ronan KERREST, conseiller général, vice-président du CG 93 ;
* Michel BOURGAIN, maire de l’Île-Saint-Denis et vice-président de Plaine-Commune.