FIÈVRE TROPICALE
“ Rien n’est plus sûr que la mer indienne...”
Robert-Edward Hart
Viens dans mon île
Au bord de cette plage
Où le soleil brille toujours
J’ai vu une surfeuse enjouée
Se pavaner sur les crinières des houles
Viens
Et emboîte son allure qui échauffe
La danse des mouettes
Là, tout s’oublie
Point d’hiver
Toujours ce soleil qui brille...
La mer ouvre ses vastes bras
Où frémit l’azur
Viens
Elle passe, elle est passée
Un instant, un seul instant a suffi
Pour embraser mon pauvre coeur d’amour
Viens
Ta folie chantera le bonheur d’errer
Dans le sillage de sa course où s’ébauchent
Dans des valses d’écume
Des pagodes et des temples
Mon île ! Mon île !
Faut-il que je la voie
Pour t’aimer
Un sourire
Où viennent s’égayer des rayons de soleil
Flotte toujours sur les crinières des houles
Viens
La mer est une vaste cruche
D’où coulent à flots le parfum
Des algues et la couleur
De la chair
Mon île est un sourire.
COLLOQUE A LA DEROBÉE
L’île
D’où sortez-vous, longues houles irisées par des franges d’écume ? Je vois le sourire d’Ulysse qui se trémousse sur vos embruns échevelés comme des bacchantes.
La mer
Je viens d’un très long voyage. Mes lames ont côtoyé les abords de Saint-
Malo, de Madras, de Macau, de Massinga, de Sydney. Elles se sont
abreuvées des sources où le mystère au coeur de nopal revêt une robe
d’aède.
L’île
L’hymne merveilleux qui parcourt vos ondes m’enivre comme la lyre
d’Orphée. Oh ! que le vide en moi est si grand... Ici, tout est ennui. Le mal
a vicié l’air. On a immolé les beautés éternelles sur l’autel de Mammon.
La mer
Lors de mon périple aux plus lointaines antipodes, l’haleine fétide d’un
tigre en furie m’est parvenue. J’ai vu quatre anges aux quatre coins de la
terre proclamer que cette haleine provenait de la Bête de la Productivité, le
troupier d’Abaddon.
L’île
Hélas ! j’en suffoque et le tam-tam n’a plus, dans mes veines, que des
résonances de guerre.
La mer
Ta voix ne célèbre plus le lied des amours échouées dans le large de
Poudre-d’Or ni le chimère édénique de Twain.
L’île
Et mes filles ne dansent plus sur les plages pour que vous y veniez baiser,
à l’heure du ponant, la trace de leurs pieds.
La mer
Ton châtiment sera sévère, île, d’avoir méconnu le Verbe de Sonze et
d’ébène de tes fils de sol. Tu as refusé de prêter l’oreille aux souffles lémuriens qui caressent le sommet de tes monts. A quel triste sort es-tu réduite d’avoir érigé en credo l’obsession des préjugés et de l’or ?
L’île
J’ai appris à lire de vaines promesses et à gribouiller des chiffres dans le sombre grimoire du culte béotien. Et ma flore de bardeaux et de vousseaux s’est progressivement étiolée au profit d’une jungle de béton.
La mer
Tes fleurs se sont fanées et ne gambadent plus dans les bois de Malcolm.
Tu perdras bientôt la mémoire de tes pères qui s’enivraient aux forges
siccatives de Jean-Claude et le noeud des choses folles ne dira plus la légende d’Edouard.
L’île
Que faire, Mer ? Dis-moi le nom de ce Dieu dont la conque semble éveiller en moi une muette nostalgie !
La mer
Il est celui du Poète et de l’Innocence. Nuit et jour, sa conque psalmodie
ces ailleurs vers lesquels le ressac fuit désespérément avec un éternel
soupir.
L’île
Ah ! mes pleurs ont couleur de patrimoine profané et goût de misère des locaux squattés... Enivre-moi, Mère, comme ces oiseaux mallarméens qui
fuient, là-bas, parmi l’écume inconnue...
La mer
Chut ! Abime-toi dans la contemplation... Les nues, au-dessus de tes monts, ont hissé leur misaine pour appareiller vers des contrées, où se délassent en chair de noix et de vétiver, les filles d’Okéanos. Et le sourire du ciel bleu s’est lové à l’ombre des palmes, où l’iode marin s’est cristallisé sur le vésou des meules.
L’île
Ô magie ! J’entends le rythme insulaire qui renaît dans mes entrailles.
J’entrevois dans ton halètement, ô Mer-Mère, le parfum des épices et la
clameur des peuples conjurant Babel.
La mer
Que j’emporte ta folie qui me gagne, pour une fois, vers des rivages desséches de secrets...
LE BOULEVARD SOLITAIRE
Gris de ciel sur vert céladon
L’angélus du soir égrène le rosaire
Du temps
Les néons du boulevard s’allument
Des pas s’empressent, s’essouflent
Un crissement de pneus la nuit
Se pique d’étoiles
En lissant son peignoir
Aux nuances sibyllines
Le bruit des pas déserte vers des points
Illuminés
Cortège de maisons
Les yeux de quelques chiens errants
Lisent solitude on trinque
Derrière les vitres éclairées
-Des bisous cliquetant comme des sous
Le wonder-box crache ses images quotidiennes
Sarajevo Tchernobyl Maastricht
Et la chaleur vibre
Dans la nuit des fibres
Une cigarette méditation
Le rituel dans les veines
Fêtes misères débranchent la vie
Il faut le souvenir pour inventer
Un parfum alcaloïde troue la mémoire...
Sous la ramure des arbres sombres
On a oublié les années-opérettes
Et Méliès y pleure les capelines
Des divertissements bourgeois
Là, sur un banc abandonné
Deux voix sans mélodie ravivent
Des extases anciennes
La nuit silencieuse tripote un hautbois.
JARDIN TRISTE
Pierres, arbres brisés dénudés
Doux pâturages exhalant un parfum d’abandon
Voici mes plaintes
Mes pleurs déposés à vos pieds
Moulés dans des vers de terre
Et de ciel bleu
Joyeux passants flâneurs distraits
Vos lointaines rumeurs
N’apaiseront point celle
De ce triste ru qui coule
Venez vous étendre dans les bras du silence
Ce breuvage des rêveurs
Ici point de saisons l’amour
Arbore un visage de venelle déserte
Oh ! des nuages courent
Couleur de sable terreux d’eau sale
Ils courent sur des monts de voeux
Inexaucés
Un vide immense...
La chape grise du ciel
À porter sur les épaules
Et le grand vide s’installe en moi
Comme une tempête qui souffle, souffle
Je marche vers un astre obscur
Psyché méconnaissable
Je regarde une dentelle d’aurore
Dégoulinant d’un timide rayon solaire
Le vent charrie une photo chère et blêmissante
Dans la danse des pollen.
DESTINATION
“Le coeur le plus sensible à la beauté des fleurs est toujours le premier blessé par les épines”.
Thomas Moore
Il marche
Foulant la plage irisée
Par des paillettes d’or
Le soleil est vif
Comme un jour nouveau
Il marche allant il ne sait où
Flashes incessants de lumières et de couleurs
Osmose des temps
Déposés lavés par des perles d’écume
Une écume qui se dessine sur le rivage
Panache fleur rose
Réminiscences...
Ah ! une rose
Comme celle qui avait fleuri
Dans une allée serpentant parmi des tapis
De gazon
Il marche
Buvant l’air à pleins poumons
Un parfum d’algue danse dans l’air chaud
Un parfum d’algue et d’ambre
Le soleil est soudain brûlant
Comme une blessure mal cicatrisée
Un matin
La rosée perlée
Par des gouttes de rosée
La rosée recevant bain de lumière
Et de fraîcheur
S’était fanée
Ses pétales éparpillés
Dans le souffle frais du matin
La mer est glabre et dure
Des glaives d’argent s’agitent
À sa surface
La lame se fracasse sur des rochers
Dans un cri de rage
Et de douleur
Il avait senti
La rosée du matin qui s’évaporait
De la rose
Il ne se connaissait pas
Il avait senti pour se connaître
La rosée hivernale qui retombait
Comme des gouttes de larmes
Flux et reflux
Des bluettes s’allument et dansent
À la surface de l’eau
Harmonie
Le solfège de la houle
Déverse en lui une phosphorescence de bluettes
Pour un trépas de gloire
Pas comptés mesurés
Foulant la plage
Parfumée de soleil et de nizeré
Il marche
Les yeux fixés sur son but
Badigeonné de bleu
La mer halète à chaque instant
Comme d’une dernière respiration
Des mouettes couleur de soleil
Jaillissent soudain de son sein
Pour déposer sur l’immense bleu
Des graines de rose
Là-bas
À bout d’allure et de rêves
Baigné d’écume et de soleil
Le souffle parti
Fané sur le grand bleu
Un poète est mort.
À L’OMBRE D’UN ARBRE
“Me voici devant tous un homme plein de sens...”
Guillaume Apollinaire
Le parc est vaste et tranquille. Pas une âme n’y est présente, un vent très doux remue des feuilles, fait frémir des joncs. Une phalène marie ses couleurs au pourpre crépusculaire.
Tu t’arrêtes sous un arbre, tu t’assieds, tu rêves. C’est un rêve au goût
de thym et de verveine. L’azur, qui s’assombrit, descend tout près de toi.
Au loin, là-bas, le monde passe avec sa hargne, sa furie de vivre.Tu
écoutes une tourterelle en train de roucouler, cela s’assimile au silence, cela ressemble à une sage promesse. Le vent très doux porte cette promesse là-bas, dans ce monde qui passe, avec son ornement de jaspe et de rubis, rouge comme le sang. Et dans ce cortège infini, tu découvres des
sauterelles qui ont des cheveux de femmes et des cuirasses de fer.
C’est un mal que tu ne comprends peut-être plus.
C’est le soufre du tourment exilé ...
La phalène épouse une fleur de crépuscule tendre pour éclairer, dans
l’assoupissement du ponant, le sort de l’Infortune.
Au loin, des cris s’élèvent, mais languissants, comme une brume qui
s’évapore. La promesse, comme un jet de lumière, embrase toute impureté. Des étoiles apparaissent.
Bientôt, dans la profonde nuit, toute rumeur sera tue, étouffée. Et
seuls demeureront ce parc solitaire, ses arbres et son grand silence où
viendront se batifoler des déesses mal aimées.
Sylvestre LE BON
Extraits du recueil Ballades d'ici et d'ailleurs, édité en 2004 aux Editions A3 (Ivry / Seine, France).