Noël Kodia – Le 31 mai 2010. La célébration des cinquante années des indépendances des quatorze anciennes colonies françaises (Benin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad, Togo et Sénégal) a commencé le 4 avril 2010 avec le pays de Wade. Pour la circonstance, le français Jacques Toubon a été nommé Secrétaire général du « Cinquantenaire des indépendances africaines ». On peut comprendre les liens d’affinités liés à l’histoire commune. Mais que le chapeautage des célébrations d’indépendance soit organisé par l’ancien colonisateur paraît assez ironique : la France tenterait-elle de reprendre la main en Afrique ?
La Françafrique après Jacques Chirac : la rupture dans la continuité
La complicité entre les dirigeants africains et quelques intérêts français ont fait que les peuples africains ont subi durant cinquante ans les lois de la « Françafrique ». La plupart des ex-colonies pourvoyeuses de matières premières indispensables au développement de l’économie française (pétrole, uranium, beauxite…) ont été des chasses gardées de la France. Coups d’Etat militaires et guerres ont souvent été perpétrés sur le continent sous la houlette de la Françafrique quand les intérêts de la France étaient menacés.
Le président Nicolas Sarkozy, avant qu’il soit aux commandes de la nation française, ne cessait de promettre aux Africains la révision de la politique françafricaine qui, d’après lui, faisait la part belle aux dictateurs du continent depuis de Gaulle jusqu’à jacques Chirac. Mais sa promesse de reconsidérer les relations entre la France et ses ex-colonies ne s’est pas véritablement concrétisée : aussitôt au pouvoir, il s’est confronté à la dure réalité de cette nébuleuse.
Son premier voyage, qui l’a emmené chez Bongo, un des grands serviteurs de la Françafrique, n’a pas été un hasard. La « rupture dans la continuité » s’est remarquée aussi par la rapide mise à l’ombre de Jean-Marie Bockel qui avait décidé de « signer l’acte de décès de la Françafrique ». Plus de peur que de mal pour bien des dictateurs africains : ils ont compris que la mort de la Françafrique n’était pas pour demain. Ils ont alors continué à oppresser leur peuple en se maintenant inconstitutionnellement au pouvoir sous l’œil complice de la France. Aussi, cette situation ne serait-elle pas à l’origine de l’animosité envers les Français dans certains pays comme le Gabon à la suite de l’élection présidentielle ?
Ne pas perdre la main ?
Pour autant la France a subi de nombreux revers dans les années 2000. De la crise ivoirienne en passant par la concurrence des Etats-Unis et celle, fulgurante, de la Chine, l’Afrique francophone n’est plus le « pré carré français ». Au point que l’on parle désormais de la Chinafrique par exemple : la croissance de l’Empire du Milieu, dévoreuse de matières premières, se lance à la conquête du continent noir (25% des sources chinoises d’hydrocarbures en 2008). Et ce, avec une politique moins double que ce qui a pu être pratiqué par la France : la Chine ne se permet pas de faire des sermons hypocrites sur les droits de l’homme. La géopolitique du continent africain a donc largement changé, mais la France a toujours des intérêts stratégiques en Afrique. Qu’elle doit coûte que coûte préserver. Même le français Dominique Strauss-Kahn à la tête du FMI s’est proposé en mars dernier d’aider l’Afrique à mieux négocier ses contrats avec la Chine !
Le fait que la France soit leader en matière de nucléaire impose par exemple qu’elle dispose de sources fiables d’approvisionnement en minerai radioactif. D’autant que la stratégie française de développement du marché mondial de cette énergie prend de l’ampleur. Ce n’est pas un hasard si son Président, qui confond trou dans la couche d’ozone et effet de serre, a déployé des efforts sans précédent pour défendre « Copenhague » : faire fermer les centrales thermiques par décret mondial permet effectivement de supprimer un concurrent de taille du nucléaire français (et peu importe l’arrêt du développement des pays du Sud). On le comprend : dans cette stratégie, la France a toujours besoin des ressources de l’Afrique. Elle se doit en même temps d’y choyer une nouvelle clientèle pour sa haute technologie. Elle ne peut donc se permettre de perdre la main sur le continent.
Voilà qui pourrait expliquer pourquoi non seulement Jacques Toubon doit superviser le Cinquantenaire des indépendances des anciennes colonies africaines, mais pourquoi des armées africaines vont venir s’exhiber au défilé du 14 juillet prochain sur les Champs Élysées. Les enfants des « tirailleurs sénégalais » de la dernière guerre mondiale vont venir se montrer en spectacle là où, un demi-siècle auparavant, on avait interdit la présence de leurs parents dans le groupe des soldats qui rentraient vainqueurs dans Paris. Et, dernière nouvelle, le Conseil constitutionnel de la République française a mis un terme le 28 mai 2010 aux inégalités de traitement des anciens combattants issus des ex-colonies concernant leurs pensions. Ce « miracle » est-il dû au hasard ?
Le chapeautage français des célébrations des indépendances africaines en a choqué plus d’un, et Monsieur Toubon, peu à l’aise devant les caméras lors de l’annonce, a même eu la langue qui a fourché, parlant d’accords de « défiance » au lieu de défense : tout un symbole… Il est sans doute temps que l’Afrique, mais surtout les Africains, trouvent leur indépendance. A l’égard de la France, mais aussi à l’égard de leurs présidents à vie, élus bien sûr de manière démocratique, et qui vont de nouveau être reçus par Nicolas Sarkozy du 31 mai au 1er juin 2010 à Nice. Peut-être pour « amarrer » la célébration du 14 juillet prochain au Cinquantenaire des indépendances africaines sur fond … de relations françafricaines.
Noël Kodia est critique littéraire et essayiste congolais (Brazzaville), analyste sur www.UnMondeLibre.org.