Voici quinze jours déjà que nous nous sommes quittés, vous et moi amis lecteurs, après l'évocation des différents reliefs que le Conservateur de cette salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre avait cru bon d'exposer dans la vitrine 2 consacrée à la chasse et là a pêche, qui nous occupe maintenant chaque mardi depuis le 23 février.
Parce que tous les précédents monuments rencontrés étaient en calcaire, il me semblait opportun de poursuivre ce matin et mardi prochain en nous attardant quelque peu sur d'autres de ce même matériau, à savoir : des ostraca figurés.
Dans la découverte qu'ensemble nous avions faite du premier présentoir vitré de cette même salle, plusieurs mardis successifs à partir du 8 septembre 2009, j'avais déjà pour vous ici expliqué ce qu'était un ostracon en Egypte antique, sans oublier de mentionner l'origine grecque de ce terme repris par les égyptologues pour définir ces éclats de calcaire : vous me permettrez donc de ne plus y revenir.
La première pièce sur laquelle je voudrais attirer votre attention, (E 14 307), provient du village des artisans de Deir el-Médineh, dont j'ai très souvent eu l'occasion de vous entretenir, notamment le 25 avril 2009, ainsi que les 2 et 9 mai qui ont suivi ; mais aussi, tout dernièrement, en dressant un portrait de l'égyptologue tchécoslovaque, Jaroslav Cerny.
D'une hauteur de 10, 8 cm pour une longueur de 11, 5 cm et une épaisseur de 2, 7 cm, cet éclat de calcaire y fut mis au jour en 1929 par Bernard Bruyère ; et ce, dans une couche ramesside des ruines des chapelles votives situées au
nord du site. Il fut dévolu au Musée du Louvre lors du partage
des fouilles qui eut lieu cinq ans plus tard.
Nonobstant les restrictions alimentaires que j'avais déjà énoncées le 3 juin 2008 à propos de certains
tabous frappant certains poissons à cetains moments de l'année et pour certaines catégories sociales égyptiennes uniquement, tous étaient pratiquement comestibles, qu'ils fussent du Nil, des
canaux, des marais ou des lacs ; et, dès lors, constituaient un apport nutritionnel inestimable pour la population : c'est la raison pour laquelle nous les avons retrouvés à maintes
reprises dans cette vitrine exécutés avec une minutie de traits distinctifs absolument confondante.
A Deir el-Médineh précisément, en quantité distribués à la
communauté des artisans qui les consommaient de diverses manières, ils constituèrent tout naturellement le sujet de nombreuses figurations sur leurs ostraca.
Les sept poissons différents ici dessinés sont parfaitement identifiables par les connaisseurs, même si certains égyptologues, comme Madame Christiane Desroches
Noblecourt, épinglent les traits quelque peu hâtifs, voire maladroits de quelques-uns d'entre eux.
Sont donc aisément reconnaissables, de haut en bas, et de droite à gauche un lépidote (Barbus bynni) blanc argenté, ainsi qu'un labès (Labéo niloticus forskal), de couleur verdâtre rehaussée de rose au niveau des nageoires ; une tilapia nilotica rose et bleue suivie d'un grisâtre mormyre du Nil, à longue nageoire dorsale caractéristique, poisson sacré d'Oxyrhinque, donc souvent momifié, qui, souvenez-vous, selon les récits mytholologiques, avala le sexe d'Osiris après le dépeçage de son corps par son frère Seth.
Remarquez que l'artiste a ici rendu la finesse des écailles par un quadrillage serré de lignes diagonales entrecroisées.
En dessous, un mulet au corps allongé et à la tête effilée - à propos duquel nous avons récemment appris à mieux connaître le mets paraît-il délicat, la boutargue, dont il est à l'origine, précède un grand latès, perche du Nil censée incarner la déesse Neith.
Enfin, reconnaissable à sa nageoire dorsale
graisseuse et, surtout, à ce que les ichtyologistes appellent un bouclier céphalique, un synodontis schall termine ce petit inventaire.
Avant de vous convier à me rejoindre mardi prochain, devant cette même vitrine, aux fins d'y découvrir le second éclat de calcaire qui y est présenté, je voudrais simplement indiquer que ces deux pièces sont les seules qui subsistent sur les quatre qui pourtant y furent originellement déposées.
Lors d'une intervention datant du 20 octobre de l'année dernière à propos des ostraca du premier présentoir vitré de cette salle, j'avais déjà attiré votre attention, amis lecteurs, sur le fait que certains d'entre eux pourtant exposés là depuis la restructuration du département avait apparemment "disparu".
Vous vous doutez bien, je présume, que ne sévit pas en ces
lieux le clône d'un quelconque Belphégor qui systématiquement convoiterait ces petits monuments ...
En réalité, la dernière fois que j'ai sillonné les salles égyptiennes, en juin 2009 exactement, j'ai "retrouvé mes pierres" à l'étage supérieur, en salle 28, dans une ancienne et très belle table-vitrine disposée devant une des fenêtres donnant sur la Cour Carrée du Louvre.
De sorte que si tout à coup l'envie vous prend de monter
admirer ceux ici "manquants", ainsi que de nombreux autres tout aussi représentatifs de l'adresse des artistes de Deir el-Médineh, vous savez ce qu'il vous reste maintenant à faire
...
(Desroches Noblecourt/Vercoutter : 1981, 256; Andreu : 2002, 100)