Pitié pour les Zoé de France et de Navarre ! Je lis sur Libération qu’un très sérieux avocat, du moins je le suppose tel, somme Renault de ne pas appeler une voiture Zoé : «Il défend une étudiante parisienne baptisée Zoé Renault, inquiète des railleries à venir»…
David Koubbi, qui défendrait par ailleurs une quarantaine de personnes prénommées Zoé ainsi que l’Association de défense de nos prénoms (ADNP) – j’avoue humblement que je ne savais pas qu’il existât une telle association ! je n’ai pas assez de temps pour m’intéresser à son objet et ses activités mais cela me paraît un tantinet ridicule – a adressé le 17 mai 2010 une lettre recommandée à Carlos Ghosn, PDG de Renault, «le sommant de renoncer à l’utilisation du prénom “Zoé” pour sa berline électrique dont le lancement est programmé pour 2012».
Il s’agit «d’une mise en demeure avec un délai d’un mois» à l’expiration duquel «Renault sera assigné en justice». Il restera à déterminer sur quel fondement juridique. Il ne peut s’agir à l’évidence que de l’article 56 Code civil, relatif à l’établissement des actes de naissance. A ma connaissance, à la lecture de la jurisprudence en matière “d’intérêt de l’enfant” – ne pas lui donner un prénom ridicule – cela ne joue qu’au moment de la déclaration à l’Etat-civil ou, par la suite si les parents ou le porteur du prénom introduit une procédure de changement de prénom devant le Conseil d’Etat. Mais quid d’une demande introduite en sens inverse ?
Nous avons tous en mémoire la fameuse affaire «Mégane Renaud» qui s’est déroulée entre 1999 et 2000 quand le procureur de la République refusait d’enregistrer le prénom Mégane à l’Etat-civil contrai-rement au vœu de M. et Mme Renaud. Les parents ont eu définitivement gain de cause devant la Cour d’appel de Rennes le 4 mai 2000. Il ne me semble pas que le ministère public se soit pourvu en cassation.
Les juges de la Cour d’appel ont considéré que le prénom Mégane, choisi par les parents «sans arrière-pensée, même si, associé au nom patronymique, il évoque inévitablement un modèle de voiture, alors que cet inconvénient est appelé à disparaître et qu’un changement entraînerait pour l’enfant un trouble certain»…
Avec l’humour qu’on lui connaît, Robert Solé plaide la même cause dans Le Monde du 21 mai 2010 Dernier modèle. Eh ! Oui… Les modèles de voitures ont une durée de vie relativement courte, sans même parler de ceux qui font des flops retentissants. Il lui conseille donc la patience : «Tôt ou tard, elle aura la peau de sa concurrente». Il en est d’ailleurs de même pour les prénoms en vogue. Je lis sur Le Figaro Zoé Renault se rebiffe contre Renault et sa Zoé que Zoé serait le le 41e prénom féminin le plus donné en France. Après l’inepte mode des prénoms tout droit sortis des feuilletons américains, je vois d’ailleurs revenir avec plaisir des prénoms plutôt jolis et simples qui n’étaient plus guère usités.
Cet afflux de Zoé est un phénomène relativement récent, du moins en France. Pendant mon enfance, la seule Zoé que je connus était une amie anglaise de ma mère. J’ai fait quelques petites recherches sur le prénom Zoé notamment. Il vient du grec “zoé” qui signifie «vie», «existence». Il était surtout usité dans l’église chrétienne d’Orient, en référence à Sainte Zoé d’Attalia, martyre dont la fête est souhaitée le 2 mai. Zoé Renault et David Koubbi devraient intenter un procès au calendrier de La Poste : le 2 mai, c’est Boris qui a pris la place de Zoé !
Question sanctification, Zoé Porphyrogénète (~878 - ~1050) impératrice d’Orient se pose là ! Mariée au vieux patrice Romain Agyre (Romain III) elle le fit assassiner pour élever à la dignité impériale son amant Michel le Paphlagonien, qu’elle épousa. Après sa mort, elle adopta Michel le Calfat. Mal lui en prit car il l’évinça et la cloîtra. Par pour très longtemps au demeurant car le peuple se révolta contre celui-ci et la fit libérer. Elle régna quelques mois avec sa sœur Théodora mais fit accéder au trône impérial son nouvel amant, Constantin qu’elle épousa alors qu’elle avait 64 ans. Dotée d’un sacré tempérament, la meuf !
Or donc, lis-je dans la malicieuse chronique de Robert Solé, Zoé Renault aurait déclaré «Il me serait insupportable d’entendre dire “La Zoé est en panne” ou “Il faut faire réviser la Zoé”»… Pauvre chochotte ! Je vous raconte pas si d’aventure elle entendait un automobiliste déçu affirmer “la Zoé, c’est un sacré mauvais coup” !
David Koubbi devrait aussi monter au créneau contre la corporation des zoologues qui eurent le mauvais goût - mais cela remonte à 1801, il y a donc prescription ! - de donner le nom de “zoé” à la forme larvaire des crustacés décapodes (seiches, calamars et toute la riche famille des homards, etc…). Une larve ! Elle va se sentir drôlement insultée, la Zoé, non ?
Tous les plaignants que défendrait David Koubbi s’opposent farouchement à l’utilisation de Zoé pour un modèle automobile : il existe “une frontière évidente entre le vivant et l’inerte” aurait-il écrit dans sa missive à l’adresse de Carlos Ghosn. Plus généralement, l’avocat aurait l’ambition d’être à l’origine d’une loi interdisant l’utilisation des prénoms à des fins commerciales. Finis, les Félix, César – ce ne sont pas vraiment des prénoms très usités – ou autres Alice pour le fournisseur d’accès internet. Je ne pense pas qu’une telle loi soit compatible avec la liberté du commerce.
Je proposerais bien plutôt à Renault de baptiser ses prochains modèles Artémise et Cunégonde, du nom des héroïnes de «La Famille Fenouillard» de Georges Colomb, alias Christophe, précurseur de la bande dessinée, qui avec «Le Sapeur Camembert» et «Le savant Cosinus» a fait les délices de ma tendre jeunesse. Je suppose que l’on ne doit plus guère trouver de porteuses de ces prénoms désuets et un brin ridicule. Quand bien même Artémise serait-elle la divinité grecque de la chasse – Diane pour la mythologie latine.
Il est sans doute un peu tard pour faire comparaître Emil Jellinek devant un tribunal : c’est en effet cet Autrichien, alors consul à Nice qui, en 1900, commanda 36 voitures à Daimler pour les vendre sur la Riviera, sous le nom de sa fille aînée : Mercedes… nom commercial qui connût jusqu’à aujourd’hui le succès que l’on sait. Il me revient aussi en mémoire une petite blague que l’on me raconta il y a fort longtemps. Un constructeur automobile italien, j’ai oublié lequel, se serait plaint au Pape que Fiat ait l’honneur d’une prière et pas lui… Effectivement, dans le Pater noster, on trouve ces mots «Fiat voluntas tua» (Que ta volonté soit faite)… Concurrence déloyale !
Le choix du nom «Zoé» ne devrait rien au hasard. Il serait le produit d’une recherche effectuée par un “comité d’appellations” qui l’aurait choisi en raison de ces valeurs positives : le Z et le E de Zoé faisant référence à «zéro émission» de carbone puisqu’il s’agit d’une voiture électrique…
Soit. Que l’on me permette toutefois de m’étonner mais est-ce vraiment de l’étonnement ? Je trouve au contraire tout à fait emblématique de notre époque complètement louftingue où tous sens de la mesure a disparu, emporté corps et âme – surtout ! - par le maelström ultralibéral qui dévaste aussi bien l’économie, la planète et des dizaines de milliards d’être humains, que l’on payât sans doute fort grassement quelques personnes pour faire partie d’aréopages ayant pour fonction de choisir le nom des modèles de voitures ou tout autre produit alors que d’autres, dans le même registre, font fonctionner leur matière grise pour chercher le meilleur paquet qui “emballera” et le produit et le consommateur.
Il m’est revenu en mémoire une petite anecdote concernant cette fois le choix du nom pour un médicament, le Gardénal. J’avais le souvenir de l’avoir lue il y a longtemps dans le «Nouveau guide des médicaments» - critique ! - du Docteur Henri Pradal qui d’ailleurs fut à l’origine de l’excellente revue médicale «L’impatient», elle-même critique quant aux pratiques médicales et concernant l’influence délétère des laboratoires pharmaceutiques.
Toujours est-il qu’un laboratoire français avait réussi à reproduire la molécule du barbiturique connu en Allemagne sous le nom de Véronal. Ses dirigeants s’interrogeaient sur le nom commercial qu’ils pourraient lui donner. Au cours de la réunion quelqu’un dit «En tout cas, il faut garder “nal”…»…
Lointaine époque où les choses étaient un peu moins “prise de tête” ! mais apparemment au moins aussi efficaces sinon plus.