SHIT BROWNE ::: Pince moi, je rave

Publié le 05 juin 2010 par Gonzai

Du baggy parisien... Quand on fait ce job, on vit quelques rêves éveillés. Fantasmes d'un petit roi qui croit maîtriser ce monde parce qu'il en voit tourner les rouages là où la masse n'entend que les grincements de la machine. En allant rencontrer Shit Browne je vivais l'un de ces petits mirages.

Emballé par le disque, par l'adhésion pleine et entière à l'une des dernières scènes musicales digne de cette appellation, le "Madchester", un courant qui étincela plus que le ciel anglais ne brillera jamais. Par ce disque recollection, aussi flippant qu'une nana parfaite assemblée par ordinateur : drumkit de New Order, guitare des Stone Roses, basse des Happy Mondays, claviers d'Inspiral Carpet et la voix de Bobby Gillespie. Ou l'inverse, allez savoir. Je croyais tenir le messie par qui le renouveau indie pop allait s'accomplir. Première rencontre avec le groupe, puis une seconde avec Seb, chanteur et organisateur de cette after génialement incongrue. En y allant mon cœur s'envolait, ou alors c'était mon asthme et les escaliers de Bastille. Non, vraiment j'y croyais. D'ailleurs, il y avait une coupe en or sur une étagère murale...

Alors c'est quoi cette relance du madchester ? Alors que les Stones Roses sont morts et enterrés, que Primal Scream est devenu très discutable... Même le retour des Happy Mondays est passé sous silence.

Seb: Honte sur moi, je n’aime même pas écouté Uncle Dysfunktional – pourtant j’adore le titre. Mais je suis resté à Yes! Please qui est une horreur absolue ET un chef d’œuvre absolu. En fait je suis assez débranché de l’actualité. En fait c'est simple : moi j’ai commencé à aller en club à 16 ans, environ en 91, donc c’était un peu la fin du cycle madchester, le moment où à la fois cela s’arrêtait et où cela devenait plus FM. Cela se démocratisait et le peu que j’en ai vu m’a chamboulé, je suis resté bloqué là-dessus. Tout, vraiment tout. La musique, la philosophie - si on peut dire, l’esthétique. Cet énorme truc où les gens les plus débiles pouvaient être produits par John Cale…
Tu penses aux Happy Mondays1 là ?

Seb: Je les aime profondément, mais ce sont des gogols, des idiots lumineux, c’est tout ce que j’aime. Enfin, ce moment-là était une énorme partouze de codes. C’est riche. Bien malgré moi, c’est eux qui m’ont marqué le plus.

Tes confrères ont été clair là-dessus, ce groupe c'est ton idée. A la base c'était une blague...

Seb: C'est bien une blague mais comme pour le mouvement Dada, il y a des blagues très sérieuses. Ce qui est chouette, c’est quand la blague devient réelle.

Finalement c'est un peu un délire d'adulescents, comme ces jouets super chers pour trentenaires nostalgiques ?

Seb: Ce projet, c’est un truc d’ados attardés. Culture teenage, pubs, stadiums. Cela ne peut à priori pas durer. Mais le simple fait qu’on soit encore ensembles au bout de deux ans et demi, qu’on sorte un album, qu’on joue dans une putain de salle avec Bez, Detect... c’est déjà une anomalie. Une chouette anomalie.

Je me faisais la remarque en vous écoutant que votre musique sonne plus noire que blanc. Autant les mancuniens avaient un peu les Talking Heads en tête alors que vous avez penché du côté de la soul, vers le groove.

Seb: Je crois qu’on est dans le cas assez classique des petits blancs-becs fascinés par la musique dite black, par le groove. A force, on devient des petits blackos. Tout simplement. C’est ce qui nous parle, c’est ça qui nous fait remuer les hanches. C’est plus ou moins, ce qu’on a essayé de faire, ce qui nous vient naturellement.

C'est à la mode l'Afrique. Tout le monde joue à être Fela Kuti, comme Vampire Weekend.

Seb: Vampire Weekend et quelques autres, cela sent le son petit bourgeois. Des mecs cultivés qui ont bon goût, mais cela reste fondamentalement de la déco. Cela sonne plus comme un prétexte pour faire des synchro pour des assurances ou pour vendre du jambon. Enfin moi cela m’évoque plus une Opel Corsa que de la grande musique. Nous on est – de façon réelle ou fantasmée – dans une culture prol’, il y a une différence de classe. On fait de la musique de stade, de prol’ de l’Angleterre. Et on encule les bourges. (...) J’aime pas l’esthétique crado de Free party, mais tu vois... on se reconnaît plus dans un teknival qu’avec des mecs de Kitsuné qui sont là pour amuser le prince.

C'est quand même pas une pop à chanter Shit Browne. C'est même plutôt travaillé comme musique. Il y a notamment ces percus sur Don’t Ask, c’est votre batteur ou du sample ?

Seb: Il y a zéro sample dans le disque, on a tout fabriqué à la maison. C’est une boite à rythme, j’ai pas le nom mais c'est un truc officiel de 89, plus des congas, et beaucoup de production, de traitement. C’est pas du tout pareil que du sample.
Ta rencontre avec Bez2 en deux mots ?

Seb: Bah en un mot même : Papa ! C’est tout. C’est notre héro absolu, depuis toujours. C’est le mec le plus absurde et le plus censé du paysage pop depuis 20 ans. Celui qui a eu une place de musicien non-amplifié dans ce groupe qu’on aime tant, qu’était là pour incarner physiquement la dance, c’est un geste radical, d’une poésie absolue. C’était incroyable. Il a dansé à mort devant nous. C'était hallucinant de passer du temps dans les backstages avec lui qui est complètement décontracté et absolument adorable. Il nous a proposé du speed alors qu’on s’était à peine dit bonjour...

Tout de même, le madchester est né de la découverte par les anglais du hip-hop, de la house, et de l'ecsta. A la question incontournable de la dope, le groupe se tourne vers le manager avec un touchant
« On peut ? » avant d'avouer de gentilles choses. Seb, lui, prolonge le revival :

Seb: C’est vrai (aujourd'hui), il y a un peu plus de coke. Mais on s’est tous vachement calmé sur les drogues de synthèse. Je crois qu’on a tous été marqué à un moment de notre vie par la découverte des taz. Perso j’ai pris mon premier en mai 95 ; cela fait un peu "grand-père vous parle" hein, mais bon. C’était à un concert de The Orb, tournée Orbus Terrarum, summum de la folie du groove psyché anglais, et cela a tout simplement changé ma vie. Avant j’étais coincé j’avais peur de parler aux gens, là tout d’un coup j’ai eu envie de parler, de leur dire que je les aimais, de les prendre dans mes bras. Cela m’a complètement ouvert. Après j’en ai pris assez régulièrement pendant quelques années, classique en rave party, clubbing. En plus à Dijon3 on avait ce club incroyable, L’Enfer, auquel il y avait tout le temps Jeff Miles, Derrick May, Garnier, les grands quoi. Voilà, maintenant je me suis calmé, les Taz y’en a presque plus, j’ai pas envie d’aller en chercher. Et puis maintenant je fais des trucs la journée, contrairement à avant. Mais cela reste très important, moi c’est con à dire mais cela m’a appris la vie.

En ressortant du Motel, bar et QG de campagne du groupe, l'ambiance de pub pour supporter du Football club du Comté et la pinte offerte que la manager tire se ses mains à la pression, je savais déjà que j'avais fait l'un de ces daydream inoffensifs dont je vous parlais tout à l'heure. Qu'à l'image des junkheads de Trainspotting, ces gars étaient de gentils escrocs tombés sur un coup en or qui les dépassaient. Une vaste supercherie qui les emballe autant que moi. Mais en même temps, de quoi on parle là ? Manchester, la ville la plus rouillée du monde transformée en capitale de la nuit à pas moins de 3000 bornes d'Ibiza ? What a joke ! Quant à l'idée de transférer ça en 2010 à Paris ? Pour moi c'est juste la plus longue et la plus cool des descentes d'ecs'. Rave on, and on, and on, and...

www.myspace.com/shh

1 : Leur premier album fut produit par l'ex-Velvet Underground.
2 : Programmé par La Machine lors d'une soirée baggy avec Dave Haslam et Mike Joyce, les Shit Browne se sont aussi retrouvés confronté à Bez, danseur à maracas des Happy Mondays et véritable idôle païenne.
3 : Seb et son bassiste de frère - ultime hommage au line-up des Mondays - sont en effet dijonnais