Toute une éducation

Par Clarac
Toujours chez Gwen, l'atelier d'écriture du dimanche avec la consigne suivante :
Aujourd’hui, nous allons prendre le train de Rennes à Paris. A la manière de Queneau, je vais vous décrire un évènement survenu dans un wagon. Vous devrez vous glisser dans la peau d’un personnage – homme, femme, enfant, chien, valise… – présent à ce moment-là et lui faire raconter l’événement… Prenez le temps de bien cerner votre personnage, son caractère, son physique, son passé, sa vie… Plus il sera détaillé dans votre tête et mieux vous arriverez à le faire parler. Vous n’êtes pas obligé de vous en tenir seulement à l’incident, vous pouvez broder un peu, autour, avant, après, pour donner de la densité, du relief…
Voici l’incident : C’est l’hiver. Il fait déjà nuit. Le train est bondé. Dans le wagon 15, au milieu de la travée, une jeune femme avance, avec ses trois enfants. Un bébé sur la hanche, qui pousse des cris stridents, un garçonnet qui joue sur sa DS et avance sans regarder où il met les pieds et une petite fille de trois/quatre ans qui fait une crise de colère et tente de tirer sa mère en arrière parce qu’elle veut rester dans le wagon-bar sur les tabourets. Au bord du déséquilibre à chaque mouvement du train, la mère, exaspérée, finit par gifler la fillette. Pendant quelques secondes, le wagon se fige, les enfants se taisent, les voyageurs retiennent leur souffle et on entendrait presque une mouche voler…

Voici mon texte qui s'intitule Toute une éducation :
-Clothilde, par ici ! Pardon, Monsieur, excusez-moi de vous déranger.
Je regarde le couple avec qui nous allons partager le voyage jusqu’ à Paris. Des gens à la retraite. Vu comment ils sont habillés, ce sont des gens de la campagne. L’homme lit « Ouest-France » et la femme tricote. C’est étonnant d’ailleurs qu’ils soient en première classe. Clothilde s’assied côté fenêtre sinon elle a mal au cœur. Comment peut- on avoir mal au cœur alors qu’il fait nuit et qu’on ne voit vient rien du paysage ? D’ailleurs, j’aurais préféré qu’on parte plus tôt dans la matinée mais notre gendre n’aurait pas pu venir nous chercher à la gare. Le wagon est bondé : des hommes d’affaires qui pianotent sur leur portable et quelques personnes de nôtre âge.
Mon épouse, à son habitude, ne peut s’empêcher de nouer la conversation avec la femme assise en face d’elle.
-Oh, c’est joli ce que vous faites !
La dame sourit, s’accroche à cette question pour raconter sa vie. Leurs enfants leur ont offert un séjour à Paris tout payé pour leur quarantième anniversaire de mariage. Ils habitent dans le centre Bretagne, un petit village dans les environs de Guingamp. Lui était employé communal et elle gardait de enfants.
-Hein, Georges, on en a de la chance, c’est un joli voyage qu’on fait !
J’ai du mal à dissimuler un sourire… A plus de 60 ans, ces braves gens vont enfin découvrir Paris. Ils risquent d’être un peu déboussolés et perdus. Son mari, Georges, acquiesce de la tête. Il ne semble pas très à son aise. Qu’est ce que ça va être dans deux heures, une fois qu’il sera à Montparnasse! Aucun doute, ils vont effectuer le circuit touristique classique: la tour Eiffel, les Champs -Elysées et tout le tsouin-tsouin.
A son tour, Clothilde explique pourquoi nous allons à Paris :
-Notre fille et son mari partent une semaine en Martinique alors nous allons garder nos petits –enfants.
-Non, pas une semaine, dix jours !
-Oui… je me suis trompée.
Clothilde sait que je n’aime pas l’imprécision, le « à peu près ». Elle baisse les yeux comme à chaque fois qu’elle se trompe et feint de regarder à travers la fenêtre.
Enfin, du calme ! Je vais pouvoir lire mon journal. Et quand je dis journal, je parle du Figaro et non pas les torchons régionaux.
Me voilà obligé de délaisser mon article à cause d’une jeune femme qui tente d’avancer dans le couloir avec trois enfants. Un bébé sur la hanche, qui pousse des cris stridents, un garçonnet qui joue sur sa DS et avance sans regarder où il met les pieds. Et le summum, une fillette de quatre ans qui fait une crise de colère ! Je lance un regard noir à la mère histoire qu’elle comprenne qu’ici on est en première classe. Elle ne me regarde pas, absorbée par sa fille qui tente de la tirer sa mère en arrière en criant « je veux rester sur les tabourets ! ».
Je me racle la gorge et j’adresse un sourire narquois à mon épouse et à nos voisins. Si on n’est pas capable d’élever ses enfants et de leur inculquer un minimum de savoir vivre, eh bien on reste chez soi !
Je me penche vers Clotilde pour lui glisser à l’oreille :
-Eh bien, nous nos enfants nous obéissaient ! Tout se perd, ma chère…
La jeune femme se détourne et me dévisage. Elle est à bout nerveusement telle une proie vulnérable. Je la fixe. Alors, chère madame, vous acceptez que votre gamine fasse la loi ? Vous allez lui céder ? Qu’allez-vous faire ? J’attends, je l’observe. Nos enfants ne nous ont jamais mis dans un tel embarras. Une parole trop haute et c’était la punition, les lignes à copier et plus s’il le fallait. Une bonne fessée ou une bonne gifle et tout rentrait dans l’ordre En tant que militaire, je les ai élevés avec droiture.
La fillette continue de plus belle :
-Non, je veux rester sur les tabourets ! Je veux retourner là bas !
Tout le monde semble attendre. D’ailleurs des soupirs d’agacement s’élèvent dans le wagon. La mère est une faible, je le devine rien qu’à son attitude.
La mère, déséquilibrée par un mouvement du train, est sur le point de tomber. Nos regards se croisent. Dans ses yeux, je sens la gêne, le mal-être. Ca me rappelle les trouffions que je commandais. La peur se lisait dans leurs yeux. Je n’ai jamais toléré un salut mal effectué ou un pas de travers.
La mère exaspérée finit par gifler la fillette. Pendant quelques secondes, le wagon se fige, son garçon arrête de jouer aves jeu stupide et la fillette arrête d’hurler. Les voyageurs retiennent leur souffle et on entendrait presque une mouche voler.
-Mais Madame, c’est une honte de gifler un enfant ! Quel exemple vous faites !
Au bord des larmes, elle se dépêche de quitter le wagon avec sa marmaille.
Georges opine de la tête et sa femme me dit :
-Merci monsieur d’être intervenu, vous avez bien eu raison.
Clothilde au lieu de me féliciter continue de regarder par la fenêtre.