A propos de Rabia de Sebastian Cordero 4 out of 5 stars
A Madrid, José-Maria et Rosa, deux immigrés colombiens, sont follement amoureux. Mais à la suite d’une dispute avec son maitre de chantier, José-Maria tue accidentellement ce dernier et part se réfugier dans l’immense demeure de la richissime famille Torres, où Rosa travaille comme servante…
Adaptation du roman éponyme de Sergio Bizzio, Rabia (la rage en espagnol) a néanmoins vu le lieu de son action déplacé de l’Argentine à l’Espagne. A la base, l’intrigue tournait autour d’un conflit entre deux pays d’Amérique du Sud aux fortunes diverses : la prospère Argentine des années 1990 « contre » la beaucoup plus pauvre et désoeuvrée Colombie.
Le débat du film a gagné en universalité en ne confrontant plus seulement deux pays d’un même continent (Sud-Sud) mais deux continents tout court (Nord-Sud). La famille Torres fait partie de cette bourgeoisie déchue symbolisée par le fils Torres, « bon à rien » vivant des rentes de ses parents et qui s’intéresse de (trop) près à Rosa (qu’il violera). Mais le rejeton indigne connaitra une fin à la hauteur de sa réputation et de sa médiocrité…
Toute l’action de Rabia se passe dans une demeure aux allures de palais désert. José-Maria, habité dès le début du film par la haine et une violence nées du mépris avec lequel on le traite, s’y est caché. Pendant plus d’un an, pour protéger Rosa, José-Maria téléphonera secrètement à celle qu’il aime depuis une seconde ligne dans la maison. Sans jamais lui avouer qu’il est à ses côtés, qu’il l’espionne et vit sous le même toit.
De quoi parle Rabia ? Du drame et de la misère des immigrés d’Amérique du Sud et des immigrés en général qui, après avoir eu toutes les peines du monde à rejoindre un pays plus riche et, ils l’espéraient, plus prospère que le leur, connaissent la déception. Survivant dans des conditions indignes voire misérables et dans l’indifférence générale. Rosa fait penser au personnage de Fausta dans le film éponyme de Claudia Llosa. On ne sait pas si José-Maria a ou non des papiers, mais le drame qu’il vit est le même que celui d’un clandestin. Condamné à une errance de fantôme. Exclu d’avance par la société, symbolisée par la famille Torres mais surtout le tyrannique patron.
José-Maria n’existe pas. Comme dans Padre Nuestro, José-Maria est condamné à l’errance et à vivre comme un ermite, un Robinson, un animal traqué. Ne se fiant qu’à son instinct pour survivre. Mais ce sont les autres qui sont d’impitoyables loups.
Et le visage de José-Maria (Gustavo Sanchez Parra), dans sa souffrance infinie, prend peu à peu les stigmates du Christ. Comme s’il portait la misère de tout un peuple. Comme une Pietà. Vierge de souffrance.
Au-delà de l’amour sans faille et infiniment fidèle de José-Maria à Rosa, ce qui frappe dans ce film, très dense dramatiquement et très prenant, c’est la déchéance physique du personnage. Moralement, José-Maria a des nerfs d’acier. Jamais il ne craque. Mais c’est son corps qui va lâcher. Décharné, sale, José-Maria a les cheveux longs et hirsutes.
Les traits de son visage se creusent. Et tout n’est plus qu’amour et souffrance en lui. Renoncement à la chair aussi. C’est cette dimension religieuse qu’il faut aborder et qui existe bien dans le film. Comment José-Maria devient un saint. Roméo pleurant à mort sa Rosa. Tristan inconsolable…
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