Que l’on excuse ma vulgarité mais elle est à l’aune de ma colère et comme Nicolas Boileau je préfère appeler «un chat, un chat» et… Eric Woerth, «un fripon» ! C’était au demeurant cousu de fil blanc… Je le subodorai en lisant un article récent du Nouvel Obs Eric Woerth réfléchit à une prise en compte individuelle de la pénibilité que j’avais au demeurant signalé dans un article du 31 mai 2010 L’UM/Posture monte au créneau contre Martine Aubry coupable de crime de lèse-majesté.
Je rappelle pour mémoire que les «carrières longues» devaient faire l’objet d’un traitement spécifique aux termes de la loi Fillon de 2003 sur les retraites, et que ce fut même la condition qui fit avaler la couleuvre à François Chérèque… qui s’en étrangle de rage aujourd’hui. Il s’est fait bien couillonner dans les plus grandes largeurs. Mais à l’instar de Nicole Notat – benêt ! - il en a déjà tellement avalé et c’est bien le moment de pleurnicher… C’est dire aussi ce que l’on doit penser de François Fillon, ses promesses et tout le toutim : le dispositif fut remis en cause en 2008, les conditions d’obtention déjà durcies.
Je ne sais quelle idée saugrenue poussait certains journalistes à présenter François Fillon comme appartenant à «l’aile gauche» du RPR et aujourd’hui de l’UMP. Je le situe bien plutôt dans la mouvance crypto-facho. Je l’ai déjà écrit et me suis fait proprement étriller mais peu m’en chaut : je persiste et signe. Il fait partie de la droite la plus dure : totalement «décomplexée» qui n’a qu’une idée : “les pauvres doivent payer” !
C’est dire aussi le peu de crédit que l’on peut accorder aux promesses de François Fillon. Si ma mémoire est bonne, ne disait-il pas à l’époque – l’on a augmenté la durée de cotisation nécessaire – que ce serait la «der des der». La crise a bon dos ! C’est juste une tranche de plus des travaux des chantiers de la démolition sociale : demain, il est probable que nous n’aurons plus du tout de retraite par répartition et que les retraités actuels – dont moi – qui avons cotisé ! ne percevrons plus que l’équi-valent du minimum vieillesse. Faute d’avoir les moyens de financer une épargne-retraite quelconque.
C’est d’ailleurs en bonne voie puisque contrairement à la lettre même de la réforme Fillon de 2003 qui disposait que les retraites devaient être revalorisées périodi-quement en fonction de l’inflation, les retraites du régime général (idem pour les complémentaires) sont toujours revalorisées bien en de-ça : 1,1 % début 2008 quand l’inflation – relevée par l’Insee - était supérieure à 3 %. Idem depuis.
Or, parcourant la Une de Libération, je tombe sur un article tout à fait édifiant Pour la retraite anticipée, un salarié devra prouver qu’il est «usé». Inversion de la charge de la preuve ! «Le ministre du Travail, Eric Woerth, a confirmé la volonté du gouvernement de privilégier la logique individuelle et médicalisée de la pénibilité en annonçant que les salariés «usés physi-quement et qui peuvent le prouver» pourront partir plus tôt à la retraite.
Comment peut-on tomber si bas dans l’ignoble ? «Quand vous avez eu des difficultés dans votre boulot, que vous êtes abîmés physiquement, usés physiquement, et qu’on peut le prouver évidemment, alors il faut en tenir compte aussi» dit-il, indiquant envisager «une logique d’individualisation» car la pénibilité «peut avoir des effets différents sur différentes personnes» et qu’il faut «en vérifier les effets». Je traduis : ceux qui n’auront pas encore quasi un pied dans la tombe sont priés d’attendre d’y mettre les deux !
J’en profiterais pour signaler notamment à l’attention des jeunes trentenaires qui nous ressortent en veux tu en voilà la fable selon laquelle la génération du Baby-boom ou comme ils disent parfois «génération Johnny» aurait amplement profité d’une foule d’avantages et seraient des riches, propriétaires de leurs logements et jouissant d’une bonne retraite qu’ils feraient bien de se renseigner avant d’ânonner pareille connerie toute droit sortie de la vulgate ultra-libérale - “diviser pour régner”, n’est-il pas ? – et que la plus grande masse des retraités de ma génération ou ceux qui sont proches de la retraite n’ont jamais été de tels privilégiés. Il s’en faudrait même de beaucoup. Est-on riche avec une retraite de 900 euros ? La plus grande majorité ne dépassant pas 1200 à 1500 euros.
La plupart de mes copines d’école qui ont passé comme moi le certificat d’études en 1961 sont entrées en apprentissage à 14 ans (idem pour leurs frangins de l’école de garçons) et si j’y ai échappé c’est que mes parents m’ont payé des études pour un CAP d’aide-comptable. Je n’ai donc travaillé qu’à partir de 18 ans. Qu’ils se renseignent aussi sur les “avantages” dont les jeunes des générations suivantes ont pu bénéficier, cartes jeunes pour le train ou allocation logement… Nous, c’était balpeau, en dehors du billet annuel de congés payés de la SNCF et je payais plein pot ma chambre et ma pension en foyer, la moitié de mon salaire y passait. APL inconnue au bataillon.
Je ne connais pas la proportion actuelle de personnes qui ont commencé à travailler entre 14 ans et 16 ans. Mais elle est loin d’être négligeable. Il faut se souvenir en effet que l’industrie et l’artisanat – dont tout ce qui est liée à la construction, gros œuvre ou non – de même que la paysannerie représentaient jusqu’au milieu des années 70 une part non négligeable de l’activité économique et des effectifs salariés. Sans oublier le commerce. Travailler debout toute la journée. Même si maintenant les caissières des grandes surfaces sont assises, leur métier n’en reste pas moins pénible. Les coiffeur/euses, idem, plus tous les produits chimiques. En outre, la longueur des carrières se double le plus souvent de la pénibilité des emplois : travail en équipe voire de nuit, contacts avec des produits chimiques fort toxiques, manipulation et transport de pièces très lourdes, mouvements répétitifs générateurs de troubles dits «musculo-squelettiques»…
Je lisais précisément il y a deux jours avant de m’endormir un fort intéressant article de Georges Dupuy sur Marianne (n° 682 du 15 au 21 mai 2010) «EUX ne profiteront pas de la retraite»… Et pour cause ! Le sous-titre vous en résume déjà les raisons : «Ils sont ouvrier ou paysans, infirmières ou caissières, éboueurs ou marins-pêcheurs… Et, en 2010, vivent six ans de moins qu’un cadre supérieur. Alors, allez donc leur parler de travailler plus longtemps !».
Nous savons depuis longtemps que les personnes qui ont travaillé le plus longtemps dans les emplois les plus pénibles ont une espérance de vie bien inférieure à la plupart de celles de leur génération. Au point que l’on a pu dire sans aucune exagération que les ouvrier(e)s morts prématurément finançaient la retraite des cadres. Relevé, toujours sur Marianne : «Travailler plus pour souffrir plus longtemps… Leur retraite est moins longue, mais aussi plus pénible en raison de leur santé précaire».
C’est bien pour cela que l’argument imparable que l’on nous assène pour démontrer que le recul de l’âge de la retraite est statistiquement inéluctable : l’espérance de vie augmenterait chaque année d’un trimestre – à supposer encore que ce soit vrai ? je n’ai pas le temps de faire de recherches sur les données démographiques récentes et scientifiquement rigoureuses – ne vaut pas tripette puisqu’il ne s’agit que d’une statistique par nature oublieuse des extrêmes : les vies les plus courtes et les plus longues.
C’est donc tout à fait à raison que syndicats et salariés concernés par le recul de l’âge de la retraite parlent de «double peine» pour ces salariés selon un titre de Libé-Strasbourg du 27 mai 2010.
Mes anciennes collègues infirmières sont mises devant un marché de dupe : soit elles restent en catégorie B, n’auront pas d’augmentation de salaire mais pourront continuer à partir en retraite à 60 ans – voire à 55 ans dans certains cas – soit elles acceptent la reconnais-sance du D.E comme diplôme de l’enseignement supérieur – bac + 3 – qui leur permettra d’intégrer – enfin ! - la catégorie A mais la bien maigre revalorisation salariale - 100 euros ! – les contraindra à partir plus tard en retraite. 62 ans voire 65 ans.
C’est pourtant un métier où tout au long d’une carrière l’on cumule nombre de facteurs de pénibilité. Travail en équipe, en 2-8 voire 3-8 avec des nuits à la clef, travail le dimanche et les jours fériés, malades à soulever, etc… sans oublier les fatigues morales, le stress permanent et la peur des erreurs qui peuvent être mortelles, le travail en sous-effectif chronique, et j’en passe. Si mon état de santé m’a contrainte à arrêter au bout de 20 ans de carrière, je n’en ai pas moins connu toutes les difficultés. Les nuits, les journées de 12 heures, etc. Il m’est même arrivé de travailler plus de 48 heures non stop. On finit la vacation comme un zombie, avec l’unique préoccupation de ne pas faire de connerie !
Ayant exercé 6 ans en tant qu’infirmière dans une usine je suis bien placée pour connaître le travail des ouvrier(e)s. Quand bien même aurais-je travaillé dans une des meilleures boîtes d’Orléans tant sur le plan des conditions de travail, des salaires et du dialogue social. L’âge légal du départ en retraite était à l’époque fixé à 65 ans et François Mitterrand a répondu à une aspiration quasi générale des salariés avec la retraite à 60 ans.
Il doit y avoir une vie après le travail et cela vaut aussi bien pour le temps de travail hebdomadaire que pour la retraite. Sarko, Fillon, Woerth & consorts ne se rendent même pas compte que même sur le plan strictement économique repousser l’âge de la retraite et/ou augmenter le nombre de trimestres – nous aurons sans doute les deux à terme – est une insigne connerie.
C’est considérer que les retraités sont des inutiles dès lors qu’ils ne participent plus directement par leur travail à la création de richesses. Sont-ils “inactifs” – c’est à dire inutiles - pour autant ? C’est faire peu de cas des divers engagements associatifs des retraités, des grands-parents qui se substituent aux crèches ou nourrices en nombre insuffisant. En outre, les retraités de 60 ans qui partent en vacances aux périodes dites creuses favorisent l’industrie touristique, les transports, l’hôtellerie-restauration. Il n’est pas dit que 5 ans plus tard ils lèveront aussi facilement le pied. 5 ans ce n’est sans doute rien à l’échelle d’une vie mais n’en constitue pas moins un effet de seuil non négligeable à partir d’un certain âge.
Autre argument tout aussi irrecevable : Eric Woerth et l’UMP ne voudraient pas de la sorte recréer des «régimes spéciaux» lesquels ont déjà été réformés en 2007 : ce qu’oublient tous ceux qui sont montés au créneau ces derniers temps en s’offusquant que les régimes spéciaux ne soient pas concernés cette fois-ci par le report de l’âge légal de la retraite… Une chose à la fois : la réforme, étalée dans le temps, n’a pas encore produit tous ses effets.
Eric Woerth développe une conception très “spéciale” de la justice sociale dont vous aurez compris qu’elle n’est pas la mienne. Surtout, il apporte la preuve qu’il est financier mais non point juriste. Sinon il saurait en effet faire la distinction entre un régime «spécial» - qui concerne une branche ou certaines entreprises spécifiques dans leur ensemble (SNCF, EDF-GDF par ex) et une dérogation à la règle générale. Dans toutes les branches du droit l’on rencontre constamment l’application de ce que l’on nomme «principes et exceptions», celles-ci étant fixées en règle générale par le législateur sinon la coutume ou la jurisprudence.
Permettre aux salariés qui sont entrés très jeunes dans le monde du travail et/ou ont occupé des emplois pénibles est une exception - socialement et humai-nement fondée - au régime général des retraites mais en aucun cas un “régime spécial”.
Il est d’autant plus inadmissible qu’Eric Woerth envisage les carrières longues et pénibles par le petit bout de sa lorgnette comptable que la question des carrières longues concernera à l’avenir de moins en moins de salariés, la moyenne de l’âge d’entrée dans la vie active étant actuellement à 21 ans. Quant aux métiers pénibles, il m’étonnerait qu’ils disparaissent de longtemps mais Eric Woerth témoigne surtout de son manque d’humanité : une calculette à la place du cerveau et un porte-feuille côté cœur.
Je trouve fort plaisant – antiphrase ! – que ceux qui veulent nous imposer le recul de l’âge de la retraite appartiennent à la catégorie de ceux qui non seulement ne connaissent rien au monde du travail mais bénéficient de conditions de retraites incomparablement meilleures que celles des salariés lambda. Pour ne pas encourir le reproche – certes souvent mérité – de faire des articles trop longs, je vous propose de continuer sur ce sujet dans deux articles à suivre :
.