La conférence internationale de Punta Cana, en plus d’une rencontre de solidarité avec Haïti, a surtout été un grand show dominicain. Il a montré le pouvoir de convocation du président Fernandez qui entend maintenir à flot le dossier d’Haïti et du même coup la visibilité diplomatique de son propre pays qui cherche à se positionner comme la marraine de la « refondation » de la république sœur infortunée.
La république Dominicaine se veut donc un pays en voie « d’émergence » et est bien décidée à ajouter à son arsenal diplomatique un certain « soft power ». Une influence douce mais de plus en plus incontestable dans les affaires de l’ile Quisqueya ! Il faut dire que le président Lula doit quitter bientôt le pouvoir à Brasilia et rien ne dit encore que son successeur a la même présence de scène que l’ex militant syndicaliste. Quant à Barack Obama, il est pour le moment englué jusqu’au coup dans une affaire aux conséquences visqueuses. Le pétrole qui se déverse par 5000pieds de profondeur et qui menace les c6tes de la Louisiane empoisonne douloureusement les entrailles de l’Amérique.
Le président Fernandez peut donc prétendre pour quelque temps au leadership intérimaire des Amériques et le dossier haïtien en raison de ses implications hautement humanitaires est une excellente porte d’entrée. Punta Cana a donc été la vitrine de la nouvelle diplomatie dominicaine et le ballet diplomatique correctement chorégraphié a fait la démonstration des ambitions légitimes des dominicains qui ont su ces trente dernières années mettre leur pays sur l’orbite d’une certaine croissance.
Le président Fernandez qui jusqu’ici apparait, du moins dans la grande presse, comme le président dominicain ayant le plus contribué à apaiser les tensions entre nos deux pays a mentionné dans son intervention, par ailleurs excellente, l’histoire « néfaste » d’Haïti. Ce mot quelque peu sommaire ne rend pas justice à l’ensemble de l’Histoire de notre pays. Les Haïtiens sont les premiers à reconnaitre les « ombres d’une politique néfaste » et les désastreuses conséquences du « temps des baïonnettes », mais à parler d’histoire « néfaste » : c’est nier la contribution historique de ce pays au progrès des droits de l’homme, aux luttes pour la liberté dans notre sous-région et dans le monde saluées récemment encore par les présidents Chavez et Obama.
Haïti s’est beaucoup battu contre les menées annexionnistes de certaines puissances vis-à-vis de la république voisine à l’époque de la présidence du sieur Ulysse Grant aux Etats-Unis. Et nos « combattants de la liberté » ont même fait le coup de feu contre des troupes espagnoles du temps des grands impérialismes.
Haïti a aussi été aux cotés du peuple dominicain à chaque fois qu’elle était victime de catastrophes naturelles. Comme lors du fameux cyclone du 2 Septembre 1930 qui ravagea Santo-Domingo et qui vit un véritable pont aérien entre Port-au-Prince et Santo-Domingo, c’était sous l’administration de Louis Eugène Roy. Son histoire n’a donc pas toujours été néfaste, surtout pour ses voisins proches et lointains. L’un de ses leaders a même été appelé le « pan américaniste ». Elle a payé le prix fort pour avoir été dans la région « la mère de toutes les libertés ». Un aspect souligné fort à propos dans la série télévisée « tropiques amères » diffusée il y à deux ans sur France Télévision.
Mais ce mot d’Histoire « néfaste » qui est sorti comme une fausse note dans la symphonie savamment orchestrée de la diplomatie dominicaine et des lèvres du charismatique leader dominicain doit faire réfléchir nos élites. Toutes nos élites, à propos des tumultes de notre vie de peuple. Au-delà des moments conjoncturels et des intérêts immédiats qui polarisent. Une réflexion sereine et profonde doit être entreprise. Loin du bruit sourd de nos perpétuelles batailles, pourqu’enfin nous sachions résoudre dans le dialogue contradictoire mais constructif nos différends séculaires.
Si les Dominicains, par leur solidarité agissante et dans le sens historique de leurs intérêts méritent une place au sein de cette Commission de la reconstruction, comme on le laisse entendre au gouvernement. Les Haïtiens ne doivent pas ignorer les défis de l’heure : Repenser une ville « atomisée » par le séisme et déjà « irradiée » bien avant par nos sept misères. Favoriser le décollage de nos régions trop longtemps handicapées par le boulet port-au-princien. Mettre de l’ordre dans nos conflits politiques et faire des vrais problèmes de ce pays la substance de nos débats.
C’est alors seulement que nous redeviendrons un « Centre », pour reprendre un mot cher à la romancière Yanick Lahens, à la hauteur du combat épique de nos origines. Notre résilience est reconnue dans le monde entier, notre ardeur au combat fait notre force.
Mais à force de nous battre…serions-nous restés avec « le couteau entre les dents » ?
Roody Edmé
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