Ayant beaucoup abordé la notion de négationnisme climatique (ou climato-scepticisme) sur ce blog, il convenait de s’interroger sur les racines de cette « hérésie ». Précisons-le immédiatement : il faut abandonner toute interprétation religieuse de ce dernier terme, la croyance au réchauffement climatique n’étant pas de l’ordre de la foi, mais de la croyance scientifique.
Pour rappel (je ne les compte plus !) pour les nouveaux lecteurs, le négationnisme climatique consiste à nier que le réchauffement climatique actuel est d’origine humaine (ou « anthropique »), voire à nier purement et simplement un phénomène général de réchauffement climatique. En ce sens, on peut parler de climato-scépticisme puisque les négationnistes climatiques doutent qu’il y ait un réchauffement climatique d’origine anthropique.
Bien évidemment, plusieurs thèses peuvent être avancées pour mettre en avant l’origine de ce négationnisme. J’en mettrai cependant une seule en avant dans ce court article : le refoulement.
Qu’est-ce que le refoulement ? J’emprunte ici le concept à Freud, qui a inventé ce concept dans la sphère psychanalytique. Pour le célèbre praticien et théoricien autrichien, le refoulement est un mécanisme de défense du psychisme. Par ce mécanisme le psychisme permet de maintenir à l’écart de la conscience des pensées désagréables. Rappelons ici que Freud considère que le psychisme est, pour simplifier les choses, divisé en conscience et inconscient, les deux étant séparés par le processus de refoulement. Le Moi peut ainsi refouler, mettre de côté, des représentations désagréables dans l’inconscient.Le Moi, façonné de toutes parts par la société, est devenu un Moi aux pulsions de plus en plus exacerbées : consommer, se protéger, plaire, changer, imiter… Autant de commandements qu’imposent à un rythme de plus en plus élevé notre société, pour alimenter et faire prospérer son économie. Notre Moi est un moi consommant.
Imaginons que vous ayez toujours écouté la société et ses publicités, que ses commandements soient tellement entrés en vous que vous ne fassiez plus qu’un avec cette pulsion dévorante de consommation, que toutes vos représentations gravitent autour d’elle et la justifie pleinement : comment réagira votre Moi lorsqu’on lui parlera de dangers liés à cette pulsion, à lui-même !, de la nécessité de ralentir la consommation et de rentrer dans une phase de privation pour tenir compte des ressources finies de notre planète ? Pensez-vous vraiment qu’il écoutera la voix de la raison et les nouvelles lois qui doivent le limiter ?
Le Moi aura tendance à refouler les avertissements climatiques et à s’en défendre par une opinions opposées. Car une résistance forte sera opposée au paradigme scientifique actuel. Cette résistance se parera d’une apparence de fondement intellectuel (le négationnisme climatique serait une thèse légitime face à une autre thèse qu’est celle du réchauffement climatique d’origine anthropique). Mais il s’agit bien d’un mécanisme inconscient : le climato-sceptique ignore en toute bonne foi le fondement de ses idées. Il choisit les thèses négationnistes car elles lui permettent de garder son Moi en sécurité et de faire perdurer son équilibre.
Le négationnisme climatique est un symptôme. Que signifie-t-il ? Tout simplement que le Moi est profondément touché par les changements qu’imposent les conséquences écologiques de notre mode de vie actuel ! Adopter le développement durable implique peine, privation et frustration : autant de choses que le Moi peut difficilement accepter, lui qui se complaît dans la conquête et l’affirmation.Que le négationnisme soit actuellement en recrudescence est tout à fait symptomatique : les dégâts écologiques de l’ultra-libéralisme étant de plus en plus flagrants et inquiétants, voire angoissants, le négationniste est intérieurement poussé à nier l’évidence, à se détacher du réel et à développer une vision du monde qui l’arrange, dans lequel son Moi socialement construit, peut continuer à garder son identité et ses repères multi-séculaires.
En conclusion, le négationnisme climatique a pour mérite d’attirer notre attention sur l’immense résistance en l’homme que le psychisme déploie face au changement et à l’horizon de privations. C’est bel et bien le défi du développement durable et des politiques du XXIème siècle : composer avec cette résistance viscérale tout en imposant un fort fléchissement à nos pulsions de consommation. Freud peut venir à notre aide grâce à la notion de sublimation du désir : tout comme la pulsion sexuelle peut devenir amitié, la consommation matérielle peut s’orienter vers l’univers spirituel. Reste à savoir si le troupeau peut s’élever après avoir été abêti à dessein par les bergers…
En compléments et vers d’autres directions :
http://yannickrumpala.wordpress.com/2008/11/19/les-sources-du-scepticisme-environnemental/
http://blogs.lexpress.fr/nouvelleformule/2009/11/les-legions-du-climatosceptici.php