C’est vendredi, il fait beau, c’est bientôt le week-end, et pourtant, l’impitoyable actualité m’a pris par surprise : nausée insupportable, ce mélange à la fois de rage devant l’impuissance de ce monde cruel et d’une méchanceté sans borne, et de tristesse profonde en face de toute cette adversité vilaine qui fait pleurer les yeux. En effet, on apprend par la « presse », aussi consternée que moi, que les postiers sont à bout de nerfs.
Il faut se rendre à l’évidence : si « ça bouge avec La Poste », ce n’est manifestement pas dans la bonne direction. A lire l’édifiant rapport établi en toute objectivité par le Syndicat syndicalisé des médecins syndicalistes du Travail de La Poste (ou les médecins du travail syndicaliste, comme vous voulez), la situation est au-delà du désespéré : « La Poste crée des inaptes physiques et psychologiques« .
Je vous encourage à lire cette lettre poignante, à mi-chemin entre Qui A Volé Le Goûter de Oui-Oui ? et Saw IV, qui met bien en exergue les maux dont est affublée l’institution. On y retrouve bien sûr le « manque de moyens matériel et humain« , une nécessaire « reconstruction du dialogue » entre les salariés et la direction, le besoin de règles éthiques et déontologiques, de la souffrance au travail par containers entiers, et une catastrophe sanitaire inévitable.
Ainsi, il n’y a plus de reclassements effectifs et durables, il y a du dépassement horaire fouyaya de tous les côtés, de la pression commerciale à tous les étages (et on ne parle pas de bière), des congés impossibles à prendre quand on veut, etc… Bref : l’entreprise publique se comporte comme le dernier des voyous. Pire : on dirait France Télécom !
Sur internet, les témoignages commencent à fleurir, les langues se délient, la torpeur s’évanouit : les angoisses, les douleurs, les abominations ressortent d’un coup, sous le flot de larmes mal contrôlées :
Les employés de distribution souffrent de douleurs physiques et de troubles psychologiques. Les autres employés comme les guichetiers sont, eux, confrontés à un problème différent. Comme La Poste s’éloigne de sa mission de service public et diversifie son offre, ils sont face à des clients de plus en plus exigeants auxquels il faut vendre tout et n’importe quoi.
Car il y a une raison et un coupable à toute cette misère : c’est la méchantelibéralization pour la cause, et c’est la direction pour la culpabilité. Cette dernière a commencé son offensive de méchanceté en éloignant La Poste de sa mission de service public.
Qui est, je vous le rappelle, de déplacer des plis de moins de 50g d’un point A de France vers un point B, dans le monde. Je préfère préciser, parce qu’actuellement, La Poste déplace assez mal les objets de plus de 50g, et on sent que ceux de moins de 50g vont subir les affres du mankdemoyen, des vagues de suicides, et de l’organisation efficace du travail dans l’institution publiquissime.
Pour mémoire, je vous linke un de mes précédents ronchonnement sur le (vaste) sujet postal. On constate qu’en trois ans, les choses n’ont pas évolué d’un cachou, et je me cite :
La constatation est sans appel : on est bien loin des années 60 où Gabin, dans « Le Cave Se Rebiffe », pouvait faire reposer la sécurité de ses typons d’imprimerie en les postant le vendredi pour les récupérer le lundi matin. De nos jours, la plaisanterie aurait tourné court : on imagine sans problème la tronche consternée du Dabe découvrant avec deux jours de retard, vers 12H30, le pli postal (marqué « Ne Pas Plier ») chiffonné, écorné et plié pour rentrer coûte que coûte dans une boîte à lettres « aux normes »…
Entendons-nous bien : il est plus que probable que les souffrances, exprimées dans le style inimitable des phalanges armées du syndicalisme de terrain, existent pour partie, et qu’effectivement, une certaine catégorie de personnel est plus proche de la dépression nerveuse et du claquage que d’une retraite quelconque.
Cependant, ce constat conciliant posé, force est de constater que, malgré ces déclarations alarmantes, il n’y a pas encore d’hémorragie sensible de personnel, ployant sous la misère et décidant de fuir son travail plutôt que de subir les avanies répétées d’une direction à la fois tentaculaire, vicieuse et paradoxalement décidée à faire rendre gorge à l’entreprise qui la nourrit. On pourra toujours me rétorquer que la crise aidant, les gens préfèrent souffrir à La Poste qu’en partir et ne pas trouver de job ailleurs.
Peut-être.
Mais il n’en reste pas moins vrai que ce que subissent ces pious-pious, c’est, grosso-modo, ce que subissent tous les employés du privé dans les boîtes ou les marges de manœuvre, notamment ces derniers mois, se sont retrouvés particulièrement réduites par la crise.
Il est aussi plus que probable qu’une grosse partie des problèmes organisationnels et structurels de l’entreprise (sur-effectifs par ici, sous-effectifs par là, compétences variables et floues des personnels) soient directement imputables à une rigidité des postes à côté de laquelle l’organisation hiérarchique du Parti Communiste Chinois offrirait une souplesse de ballerine prépubère.
Autrement dit, après avoir, pendant des décennies, absolument tout fait pour créer des rentes de situations et donner aux syndicats maisons des pouvoirs exorbitants, on se rend compte que l’immobilisme bétonné, les campagnes de publicité plan-plan, les horaires d’ouvertures pourraves, les petites habitudes contre-productives, cépakool et ça laisse de larges avenues pour la concurrence qui arrive, crocs affûtés.
Et évidemment, faire un effort, essayer de remettre un peu d’ordre dans le bazar alors qu’on a dans sa tête 50 ans d’avance sur tout le monde et 50 de retard dans son gros fauteuil mou, ça coûte trèèèèès cher et ça fait trèèèès très mal.
Muter un bulot en tigre demande des millions d’années d’évolution. C’est exactement le temps qu’il faudra laisser à cette vénérable institution pour qu’elle comprenne que tous ces gémissements, en pleine période de crise carabinée, sont particulièrement mal venus.
Bougez avec La Poste !