Robert Badinter a renoué avec les colères qui ont fait sa réputation. Le coup de théâtre survenu au Sénat jeudi soir a suscité l’ire de l’ancien Garde des Sceaux qui dénonce le fait du Prince et un mauvais coup porté à la condition des enfants. Sur demande de l’Elysée, les sénateurs de la majorité sont revenus sur deux amendements votés mercredi qui prévoyaient, contrairement au projet de loi initial, de maintenir l’indépendance du Défenseur des enfants.
L’argument du gouvernement et des sénateurs de droite selon lequel que le poste demeure mais est simplement placé sous l’autorité du futur Défenseur des droits tout comme la Halde, la Commission nationale de déontologie et de sécurité (CNDS) et le médiateur de la République, ne convainc pas Robert Badinter.
Pour l’ancien avocat, la manœuvre consiste “à dissoudre un véritable contrepouvoir dans un magma technocratique“. Un avis partagé par Dominique Versini , ancien membre du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin et actuelle Défenseur des enfants, “le Défenseur des droits fera exactement ce qu’on lui dira (…), ne sera pas une autorité indépendante et ne dira pas les choses qui fâchent“.
Lionel Jospin dans les colonnes du Monde en date du 1er juin évoque à propos de la perte d’indépendance des structures de contrôle une inacceptable régression des libertés.
“Tout ça n’est pas sain pour la démocratie” vitupère le parlementaire des Hauts-de-Seine qui requalifie la situation actuelle en “monocratie“. “Au premier chef, c’est une forme d’humiliation pour le Sénat, qui a voté hier, clairement, après des échanges complets d’arguments” a lancé l’ancien ministre de la justice de François Mitterrand.
Robert Badinter regrette bien plus que les politiques politiciennes : “Celui qui est le véritable vaincu et c’est ce qui me chagrine tant, c’est la défense des intérêts des enfants. Elle est une exigence première“, “Si une cause parmi toutes devrait nous rassembler, c’est celle-là !” a-t-il ajouté.
Les amendements de l’UMP Hugues Portelli et du Nouveau Centre Nicolas About adoptés mercredi excluait du périmètre du Défenseur des droits le Défenseur des enfants. En demandant et en obtenant une nouveau vote , le gouvernement a obtenu jeudi de facto la mise sous tutelle du Défenseur des enfants.
Au moment où Nicolas About et Gérard Longuet patron des sénateurs UMP se félicitaient d’un texte de compromis fruit du rapprochement des vues sénatoriales et gouvernementales Hugues Portelli évoquait une régression très forte et un épisode pas très glorieux pour le parlement. De leur côté, après avoir multiplié les protestations, les sénateurs de gauche ont refusé de prendre part au vote et manifesté leur réprobation en quittant l’hémicycle.
L’épisode témoigne selon Robert Badinter de l’illusion et de l’inutilité de la réforme constitutionnelle adoptée en 2008 qui était censée selon Nicolas Sarkozy renforcer les pouvoirs du parlement. Les faits confirment la vision de l’ancien Président du Conseil Constitutionnel exprimée dans une tribune publiée dans les colonnes du Monde le 20 juillet 2008 et partiellement reproduite ci-dessous :
“Certains se demandent si, en refusant de voter la révision constitutionnelle, les socialistes ne sont pas en train de passer à côté d’une opportunité : rééquilibrer les institutions. La réponse est non. Cette révision est une occasion perdue, non pour les socialistes, mais pour la République. Nos institutions souffrent d’un mal profond : l’hyperpuissance du président. Il est le véritable chef du gouvernement, pour ne pas dire le gouvernement à lui seul, dans la pratique actuelle de l’Elysée. Et, depuis le quinquennat et la succession des élections présidentielle et législatives, il est le chef réel de la majorité présidentielle à l’Assemblée.
La séparation des pouvoirs n’est plus qu’apparence. De surcroît, ce pouvoir sans pareil n’est assorti d’aucune responsabilité. J’appelle ce régime la monocratie : le pouvoir d’un seul dans la République. Or le projet de révision ne réduit pas les pouvoirs du président. Il les accroît en lui permettant de s’adresser directement aux parlementaires réunis en Congrès. Le président présentera un bilan flatteur de son action et fera acclamer par sa majorité son programme de gouvernement. Le premier ministre comme chef de la majorité parlementaire disparaît. Le renforcement des prérogatives du Parlement, premier objectif de la révision selon le président, est un leurre en termes de pouvoir réel. Tant que le président sera le chef incontesté de la majorité à l’Assemblée, le Palais-Bourbon demeurera une annexe du palais de l’Elysée. “Cy veut le Roi, cy fait la loi”, l’axiome de l’Ancien Régime demeure la règle sous la Ve République.
Quant aux pouvoirs de nomination du président aux grandes fonctions (Conseil constitutionnel, CSA, etc.), on annonce “un changement considérable” : le choix du président pourra être refusé par un vote des trois cinquièmes des membres d’une commission parlementaire. Mais un tel vote requiert le concours de la majorité présidentielle, qui ne sera jamais donné contre la volonté du président. Si on voulait rendre ces nominations consensuelles, il faudrait une majorité positive des trois cinquièmes nécessitant l’accord de l’opposition. On est loin du compte.
D’autres font valoir que la réforme accorde à l’opposition parlementaire des droits nouveaux. Mais il faut regarder la portée des textes et non pas seulement l’étiquette. On nous dit : le Parlement aura la maîtrise de la moitié de l’ordre du jour, “un progrès immense”. Mais qu’en est-il pour l’opposition ? Le projet lui réserve un jour pour trois semaines, à partager avec les centristes. Belle avancée démocratique ! (…)