Journaliste colombien proche des milieux uribistes et auteur d’un livre sur les Farc, Eduardo Mackenzie analyse sans complaisance les résultats du premier tour de l’élection présidentielle et les perspectives du second qui aura lieu le 20 juin prochain.
- Comment voyez-vous le second tour ?
Edouardo Mackenzie : ce sera une bataille électorale plus claire car les électeurs ont dit au premier tour ce qu’ils voulaient pour la Colombie des quatre prochaines années et montré quelle était la force réelle des deux candidats. Ils ont mis une grande distance entre le premier et le second pour indiquer qu’ils refusent un projet contre le sécurité démocratique. Les Colombiens ne veulent pas des confuses expérimentations d’Antanas Mockus.
- Pourquoi Juan Manuel Santos n’est pas parvenu à gagner dès le premier tour ?
E. M : parce qu’avant le premier tour, il y a eu une division formelle de l’uribisme. Le Parti conservateur a menacé d’expulsion ceux qui soutiendraient ou adhéreraient à la candidature de Santos au premier tour, ce qui a fait peur à beaucoup d’entre eux sauf aux 53 leaders de ce parti qui s’en sont allé à partir de ce moment chez Juan Manuel Santos. Cet empêchement n’existe plus maintenant et Santos sera, enfin, soutenu par tous les uribistes des autres partis : conservateur, libéral, Cambio radical et les autres sans partis. Jusqu’aux mockusiens désenchantés voteront pour lui…
“ "Les enquêtes sont devenues folles. Les sondeurs ont-ils joué à gonfler le candidat de Mockus ?“ "
- Le phénomène Mockus a-t-il été uniquement médiatique ?
E. M : le courant de Mockus a démontré, aux élections législatives de mars, qu’il était minoritaire : il a obtenu seulement 4,3% des votes. Il l’est resté jusqu’à ce qu’il s’unisse à Sergio Fajardo [ex maire de Medellin] . Le 9 avril, deux instituts de sondages ont annoncé qu’il atteignait 20%, après avoir toujours été autour des 9%, loin de Noemí Sanín (17%) et de Santos avec 36%. Une semaine auparavant, le politologue Fernando Giraldo avait prophétisé que Mockus, grâce à son alliance avec l’ex maire de Medellín, dépasserait Sanín. Les enquêtes sont devenues folle à partir de ce moment. On a parlé de « vague verte », d’une ascension irrésistible. Se sont-ils trompés ? Sans doute. Ont-ils joué à gonfler cette figure ? On ne le sait toujours pas et une enquête indépendante à ce sujet serait une bonne chose. Maintenant les sondeurs essayent de sortir de cette mauvaise passe en disant qu’ils savaient à la dernière heure que Santos gagnerait le premier tour, mais qu’ils ne pouvaient pas le dire. Cette explication est peu convaincante.
- La Colombie doit-elle compter avec une nouvelle opposition ?
E. M : pourquoi pas ? Cela fait partie de tout système démocratique. Les gouvernements colombiens ont toujours accepté, et étaient même à l’écoute, de l‘opposition. Mais il y a opposition et opposition. Il existe un type d’opposition, inacceptable, qui se fait depuis l’étranger, et qui cherche à démolir la Constitution et la démocratie. Elle utilise la tromperie et la violence pour imposer son programme suicidaire. Cette opposition fait du mal à la Colombie et ne peut être tolérée, ni une seule minute.
“ "Le bipartisme vit une crise profonde mais n’est pas mort. Le Parti conservateur reste un parti fort et populaire.” "
Le bipartisme traditionnel (Parti liberal/Parti conservateur) est-il fini en Colombie ?
E. M : le bipartisme vit une crise profonde mais n’est pas mort. Il pourra s’ériger de nouveau un jour comme soutien solide du système démocratique, comme il le fut par le passé. Le Parti conservateur reste un parti fort, populaire, multiclasse, avec une idéologie et leadership très clair. Le Parti libéral a perdu sa boussole en adhérant à l’Internationale socialiste. C’est pourquoi l’uribisme regroupe aujourd’hui les secteurs les plus sains et lucides de cette organisation. Le reste est traversé par des tendances indéfinies dont certaines pro-Farc, comme celle de Piedad Córdoba. C’est ce qui explique l’échec dans ces élections de la fraction dirigée par Rafael Pardo [chef du parti et candidat présidentiel].
- L’abstention demeure, elle, très élevée (51 %). Cette désaffection est-elle l’échec majeur de la démocratie colombienne ?
E. M : l’abstention en Colombie n’est pas du tout structurelle. Elle est encouragée par un sentiment de scepticisme de certains envers le système politique. Ce sentiment est souvent alimenté par des groupes extrémistes. Joue aussi le peu d’éducation civique des formations politiques, et du système scolaire et universitaire où campent les idéologies anti-système. Il y a enfin une raison logistique à l’abtensionnisme : la journée électorale est très courte et très concentrée géographiquement – pour des raison de sécurité. Pour vaincre ce phénomène il faudrait allonger la journée électorale, l’effectuer, pourquoi pas, en deux jours. Mias cela augmenterait les dépenses de l’Etat et exposerait encore plus les électeurs à l’action des terroristes, facteur qui a toujours joué pour empêcher les citoyens de s’exprimer par le vote.
“ "La sécurité démocratique n’est pas une mode passagère. C’est un trésor qu’il faut préserver.” "
- Quel sera le défi de Juan Manuel Santos – s‘il gagne – pour les quatre années à venir ? Va-t-il rester uribiste ou, avec son appel à « l’unité nationale », changer de cap politique ?
E. M : l’appel de Juan Manuel Santos à l’unité nationale a une raison de fond évidente : la continuité et le perfectionnement de l’héritage uribiste. L’unité se fera sur cette base. L’unité ne signifie pas ajouter les programmes différents et dissonants et en faire une synthèse. Ce sera une erreur Je ne crois pas que Juan Manuel Santos, ni ceux qui vont le soutenir, voient les choses ainsi. Ceux qui accepteront son appel le feront sur la base d’une continuité de la sécurité démocratique comme politique d’Etat. Cette doctrine n’est ni un caprice, ni une mode passagère. C’est un trésor qu’il faut préserver. Voilà ce que viennent de dire les Colombiens par leur vote du 30 mai.