J'ai un ami qui s'appelle Bilodeau.
Bilodeau et moi on a étudié en cinéma ensemble. Moi au scénario, lui à la production.
Son travail, admirable, consistait souvent à faire le lien entre le réalisateur et le scénariste afin que le château de cartes de deux rêveurs soient tissé solide et avec réalisme de production. Bien souvent, ses interventions venaient casser le party de deux jeunes excités qui voulaient changer le monde, mais le travail du producteur est capital. C'est lui le chef en quelque sorte.
Dans son travail, il arrivait, qu'afin de maximiser nos sessions de brainstorming, Bilodeau nous pousse dans nos derniers retranchements de pensée. Il disait volontairement des choses grossières et éhontées afin de nous faire réagir ou de nous faire réaliser quelque chose que nous ne voyions pas dans nos délires cinématographiques.
Exemple:
"Oui parce que toutes les filles sont des putes!" disait-il
"Hein?" coupions nous après l'extase d'une idée commune entre scénariste et réalisateur.
"L'idée que vous venez de lancer voudrais dire que toutes les filles sont des putes"
"Nooooooooooooooooon. Cette fille-là a peut-être un côté "facile" mais..." et là commencait un débat sain et souvent justifié.
Ce qui me fascinait chez Bilodeau c'étais cette capacité de dire parfois des choses que je savais auxquelles il ne croyait pas afin de simplement explorer toutes les avenues d'une pensée.
Toutefois, avec le temps cette qualité que je lui trouvais s'est tranformée en sabotage. En pulsions de sabotage. Je me suis rendu compte au cours des années que Bilodeau était incapable de garder ses jobs. Simplement parce qu'à un certain moment, il se sentait isolé comme producteur, qu'il voulait au fond tourner ou scénariser ou les deux, et que son métier de producteur, qu'il finissait par trouver réducteur sans les deux fonctions préalablement énumérées, l'emmerdait au bout du compte.
Il y allait donc de petits éléments d'auto-sabotage ici et là qui lui coutait son poste au bout du compte tout en ramenant l'attention sur lui. D'une manière malhabile et déshonorante mais la lumière était tout de même sur lui.
Encore récemment il me disait qu'il avait besoin de ce type d'attention pour se sentir exister et que ça lui faisait peur. Pouvait-il un jour commettre un crime afin que l'on parle de lui? (Don't worry Bilo, t'es trop pur anyway).
C'est souvent un comportement que l'on retrouve chez les arbitres du sport. Des athlètes du sport en question eux-même, dont la vocation est d'être la bête noire des superstars qu'ils côtoient mais surtout la bête noire des fans. Vous connaissez beaucoup de métier où vous êtes accueillis en se faisant huer tous les jours?
Cette semaine un évènement étrange s'est produit dans le monde du baseball majeur. Lancer un match parfait, affronter 27 frappeurs pendant 9 manches en les retirant tous sans accorder ni de point ni de coup surs est un phénomène si rare que même pas 27 personnes (20) l'ont réussi dans l'histoire de ce sport. Il s'agit du plus grand exploit qu'un lanceur professionnel peut vivre.
Armando Galarraga des Tigers de Détroit s'est fait voler ce rêve qu'il a pourtant réussi lors du dernier retrait du match contre les Indians de Cleveland. Jim Joyce, l'arbitre qui a assassiné son exploit, a rendu une décision fatale pour sa propre carrière mais difficile à rationaliser.
Le jeu n'étais même pas serré.
Être le joueur de Cleveland, je suis trop humain, je pense que j'aurais retraité au banc par respect pour l'exploit du lanceur.
Bon, Joyce a pleuré en revoyant les images et est allé s'excuser à Galarraga mais le mal reste. Le nom de Galarraga n'apparaitra pas aux côtés des Cy Young, Don Larsen et Sandy Koufax qui ont réussi l'incroyable performance.
Dificile de ne pas penser qu'il avait pris sa décision avant même que le jeu ne soit terminé.
La lumière est toute sur Joyce en ce moment.
En voilà un qui devra rayer une ville de ses destinations.
Et s'habituer aux huées à temps plein.
Légèrement gênant.