Je mettrai donc cette hypothétique suppression des notes en perspective avec les enjeux d’un recrutement. Je crois d’ailleurs que je vais arrêter de demander des CV. Ils vont suivre le même chemin que les lettres de motivation, pathétique exercice de mise en scène où l’on flatte l’égo du recruteur en masquant des défauts qu’un simple entretien téléphonique pourrait trahir. Qu’est-ce donc qu’un CV sinon une photographie du parcours scolaire d’un jeune candidat, ou du parcours professionnel chaotique d’un plus ancien ? Alors, pourquoi recruter sur le passé ? Recruter, c’est un acte ambitieux, c’est un projet. Mais il faut bien un repère. La valeur de la personne, mesurée à l’aune du projet de l’entreprise et de sa capacité à s’y engager ? C’est tellement plus simple de prendre un CV, d’écarter ceux qui n’ont pas d’expérience, de privilégier telle formation reçue dans telle école, …
Lorsque Antibi dans ‘La constante macabre’ avait révolté le bon peuple en expliquant que le système de notation était faussé par des facteurs extérieurs (parents, équipe enseignante, …) qui rendait nécessaire l’instauration de 3 grandes masses dans la classe : les bons, les moyens et les mauvais. Si tous réussissent, c’est que le contrôle est trop facile, ou que l’enseignant n’est pas assez exigeant, ce qui a pour conséquence de le disqualifier, et ses élèves avec. A l’opposé, dans ‘La fabrique du crétin’, Brighelli dénonçait cette vision démagogique de la notation (« avoir zéro, ce n'est pas être un zéro »), la défendant comme une incitation à faire mieux, un ‘flash’ lui permettant de se situer. Oui, mais se situer où ? Dès lors, la suppression de la notation au profit de nouvelles méthodes d’évaluation pourrait alors devenir un moyen de briser certains modèles et de donner une chance aux élèves d’exister autrement que par l’équation savante des moyennes de leur livret scolaire. Mais l’obtention des diplômes serait sans doute plus difficile, sauf à conserver la notion de moyenne, une vision de la vie qui n’existe qu’à l’école. Dans la vie professionnelle, on est capable ou on ne l’est pas. Il n’y a pas d’entre deux.
Restera la question du rôle de l’envie d’être le meilleur comme moteur de développement humain et social. On en reparle ?
Pour aller plus loin :
J-P. Brighelli, Macabre
A. Antibi, Mouvement contre la constante macabre
Veille-éducation : Et maintenant ils veulent supprimer les notes à l'école!