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Politiques sociales: décentraliser, une nécessité

Publié le 03 juin 2010 par Objectifliberte
J'ai publié il y a quelques temps un article défendant une décentralisation totale des prérogatives non régaliennes au niveau le plus local possible, et notamment des politiques sociales, à condition que le système fiscal qui accompagne une telle réforme soit lisible. Mais je n'avais pas détaillé tous les avantages d'une telle proposition.
Le très libéral député européen Daniel Hannan publie dans le Telegraph une remarquable synthèse de tous les avantages que l'on peut attendre d'une décentralisation aussi poussée que possible des politiques sociales.
Dans une première partie, il revient chiffres à l'appui sur les progrès exceptionnels qu'ont permis la réforme de l'aide sociale aux USA en 1996, en termes de réduction de la pauvreté*. J'avais déjà évoqué cette réforme bi-partisanne il y a quelques temps déjà, en mettant l'emphase sur l'évolution philosophique qu'elle avait induit, de l'état "assistant" à l'état "encourageant la reprise d'emploi" - from Welfare state to Workfare state.
Mais selon Hannan, la clé du succès de cette réforme n'est pas uniquement à chercher dans cette évolution, mais aussi et surtout dans la très grande décentralisation des politiques sociales qu'elle a permise. Hannan résume ainsi les avantages observés (traduction dilettante personnelle) de la réforme

1, les grandes bureaucraties engendrent des conséquences inattendues. Là où les collectivités locales peuvent calibrer leurs politiques pour coller aux réalités locales (Paris n'est pas Lavelanet, Nice ou Romorantin), un système uniforme couvrant 60 millions de personnes est condamné à contenir des failles, qui attireront des personnes qui n'auraient pas dû se sentir concernées... 

Un exemple rapide pour illustrer ce premier point: Un chômeur pauvre à Paris aura comme principal problème de ne pas pouvoir s'offrir un logement simplement décent, mais n'aura pas de grandes difficultés à atteindre un bassin d'emploi large du fait du maillage de transports en commun. Cela explique que le mal-logement en Ile de France touche beaucoup de salariés, et en revanche un taux de chômage toujours nettement moindre que la moyenne nationale. Un chômeur à Villepot (#1000 hab, Loire Atlantique très rurale loin de Nantes) aura comme principale difficulté de pouvoir financer sa mobilité pour pouvoir toucher des emplois parfois très éloignés de son domicile, par contre le coût du logement ne devrait pas trop lui poser de souci, sauf situation d'indigence extrême. Les politiques censées répondre à ces deux types de situations ne peuvent pas être les mêmes.

2, La proximité favorise le discernement. Une personne (réclamant une aide sociale) peut être une veuve méritante réellement malchanceuse à un moment de sa vie, ou un fumiste notoire. Les services locaux peuvent le savoir, mais les grands dispositifs nationaux ne savent pas distinguer entre ces deux types de comportement et tendent à les traiter identiquement.

3, La diversité répend les meilleures pratiques. La liberté d'innover signifie que les autorités locales peuvent expérimenter des idées que des bureaucrates d'un lointain ministère n'auraient jamais envisagées.

4, Les privés (églises, associations caritatives, entreprises) sont plus à même de s'associer à des projets locaux que dans des plans nationaux, et de telles organisations ont largement prouvé qu'elles étaient meilleures que les agences gouvernementales pour tirer les personnes de la grande pauvreté. 

5, Le "localisme" (ou "communalisme") transforme les attitudes. Les gens auraient une autre perception du voisin dont ils savent qu'il touche des allocations de handicap ou de chômage tout en travaillant au black, s'ils pouvaient mesurer l'impact de tels comportements sur leur feuilles d'impôts... 

Les fraudes caractérisées aux systèmes sociaux seront bien plus difficiles à mener à grande échelle avec des politiques sociales gérées localement.


6, Peut être le plus important, la "localisation" renforce notre perception de notre responsabilité morale: celle de ne pas dépendre d'autrui si nous le pouvons, et notre responsabilité de venir en aide non pas à des catégories abstraites de "personnes modestes" mais à des voisins dans la difficulté, pour quelques raisons que ce soit. Nous sommes moins enclins à nous en laver les mains sous prétexte que nous avons payé nos impôts. 

J'ajouterai pour ma part un septième point: les politiques locales sont par nature plus flexibles, et moins politisées que les grands dispositifs nationaux. Il est bien plus facile d'en évaluer les effets et d'en modifier les modalités si nécessaire. Et cet examen peut se faire de façon bien plus pragmatique que lors des grands débats nationaux où les partis sont prisonniers de leurs logiques idéologiques, démagogiques et politiciennes. Je puis constater presque quotidiennement combien des politiques, membre de partis contraints d'afficher des postures préfabriquées au plan national, sont capables de pragmatisme dès qu'ils redeviennent maires de leur commune, surtout s'il s'agit d'une petite commune.

Sous réserve que les communes disposent d'une autonomie fiscale importante, basée sur un système fiscal ultra-lisible - d'où ma préférence pour une flat tax locale par rapport à l'embrouillamini d'impôts locaux actuels -, alors les citoyens électeurs-contribuables seront mieux à même d'évaluer le rapport coût-avantages des politiques sociales promues dans leur aire géographique.

Naturellement, au delà du principe de base, "Dieu est dans les détails", et le diable aussi. Il n'est pas question d'affirmer que la situation nouvellement créée serait parfaite, mais simplement que ses effets pervers seraient bien moins problématiques que ceux engendrés par les grandes politiques sociales nationales, à condition que certains écueils soient limités.

Ainsi par exemple, une personne doit pouvoir être mobile géographiquement sans être soumise à chaque fois à un système de retraite radicalement différent. Certaines règles nationales, pourvu qu'elles ne constituent qu'un cadre général souple, doivent être maintenues. Mais elles ne doivent pas être trop contraignantes pour ne pas brider l'innovation des sociétés civiles et institutions locales.

Se poserait également le problème du passager clandestin: certaines communes pourraient être tentées de laisser tomber totalement leurs démunis et de les faire prendre en charge par la collectivité voisine. Cet écueil pourrait être contourné par le regroupement volontaire de communes dans des structures inter-communales s'accordant sur des programmes communs. Mais le caractère volontaire de ces associations communales nous prémunirait contre leur trop grand agrandissement, et donc la résurgence de mini-états, comme le seront les régions dans la réforme territoriale actuellement promue par le gouvernement.

Politiquement, l'appareil de l'état refusera toujours une telle réforme, brandissant l'épouvantail de la "rupture de l'égalité républicaine". Cette égalité est un leurre et un handicap. Leurre parce que partout où l'état entend l'imposer (carte scolaire, logement social, etc...), elle ne fait qu'engendrer ségrégation et effets pervers. Handicap parce que vouloir imposer des dispositifs identiques à Paris et Villepôt est le plus sûr moyen d'accoucher de dispositifs bâtards et absolument pas ciblés sur les problèmes réels des gens.

L'un des quelques rares héritages positifs de la période Mitterrand est d'avoir fissuré le dogme jacobin hyper-centralisateur qui prévalait depuis la France des rois, et plus encore depuis les empires. Mais, prisonnier de la contradiction entre socialisme étatiste et conviction décentralisatrice, le projet socialiste de l'époque n'avait fait qu'accoucher d'un compromis bâtard créant des bureaucraties budgétivores aux compétences mal définies et redondantes.

La crise, en mettant l'état central face à ses contradictions et son impasse financière, pourrait être le détonateur d'un très grand mouvement d'une véritable décentralisation, sur le modèle helvétique des deux premiers tiers du XXème siècle. Et s'il fallait commencer par un chantier, celui de la décentralisation des politiques sociales serait sans aucun doute le plus prometteur en terme de résultats potentiels.

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Article de D.Hannan trouvé via contrepoints.org

* Certains diront que la crise actuelle invalide le propos. Ce serait une erreur. Ce n'est pas parce que la politique B ruine les apports positifs de la politique A que cette dernière est à jeter. Les effets positifs de la localisation des politiques sociales rendent sans doute moins catastrophique la crise américaine que ce qu'elle aurait été si les dispositifs sociaux hérités de l'ère Johnson étaient encore tous en vigueur.

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