Le rapport des Commissions de gestion des Chambres fédérales, sur la façon dont les autorités suisses ont opéré le sauvetage de l'UBS et conclu un accord avec les Etats-Unis sur la transmission de données clients, est paru le 30 mai dernier et a été rendu public le lendemain lors d'une conférence de presse ici .
Ce rapport de 363 pages ici a été rédigé dans le délai record de deux mois. Les 29 premières pages sont un résumé des suivantes. Ne disposant pas de beaucoup de temps, je me suis contenté de lire ce résumé, qui m'a paru amplement suffisant pour me rendre compte du travail accompli.
Il n'est pas nécessaire de souligner que tout le monde en prend pour son grade : notamment les trois ministres des finances, de la justice et des affaires étrangères, le Conseil fédéral dans son ensemble, la CFB, Commission fédérale des banques, devenue entre-temps FINMA, Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers, après avoir fusionné avec l'Office fédéral des assurances privées et l'Autorité de contrôle en matière de lutte contre le blanchiment d'argent.
A aucun moment il n'est question dans ce rapport de se demander s'il n'aurait pas mieux fallu que l'UBS fasse faillite. Non, il fallait, cela va de soi, éviter à tout prix à la grande banque cette issue fatale. Même encore aujourd'hui c'est l'opinion dominante telle qu'elle ressort du rapport. L'article de foi est le suivant :
"La Suisse est particulièrement sensible et dépendante de la santé des deux plus grands établissements bancaires du pays."
En conséquence il n'était pas question, et il n'est pas question, de les laisser tomber, bien qu'il s'agisse de deux banques privées. Too big to fail, en quelque sorte.
En admettant même qu'il ne fallait pas les laisser tomber, il est étrange que tout soit fait pour conserver maintenant aux deux banques leur dimension initiale, qui présenterait pourtant un risque systémique que tout le monde redoute. En effet cette disproportion de la taille du Crédit Suisse et de l'UBS est considérée comme un acquis sur lequel il n'est pas question de revenir, tout en le déplorant.
Puisqu'il en est ainsi et que rien ne doit être changé, il faut corriger les défauts de cette situation plutôt que d'y remédier. Dans le rapport les commissaires parlent donc de nouvelles interventions étatiques, sous forme de mesures concrètes qu'il faudrait prendre en matière de politique salariale et de bonus des grandes banques, en matière de surveillance de ces mêmes grandes banques, en matière de stabilité financière.
Ce faisant les conséquences seront catastrophiques à long terme pour la place financière suisse tout entière. Il a fallu en effet abandonner la distinction entre fraude et évasion fiscale, il a fallu adopter le modèle de l'OCDE de convention de double imposition, en fait contre les doubles impositions, il a fallu concéder aux Etats-Unis une entraide administrative élargie.
Tout cela ne serait pas arrivé s'il n'avait pas fallu sauver l'UBS. Cette menace a permis aux Etats-Unis et aux pays de l'OCDE d'exercer un chantage qui a été récompensé par ces abandons successifs qu'une meilleure préparation aux crises n'aurait, semble-t-il, pas évité, même si les commissaires sont convaincus du contraire. On a préféré satisfaire l'intérêt immédiat et céder à la peur que d'être ferme sur les principes et miser sur le long terme.
Il faut, selon le rapport, que les autorités helvétiques réagissent, à l'avenir, plus rapidement, plus efficacement, alors que l'on pourrait se demander si elles doivent simplement réagir. A aucun moment il n'est donc reproché aux autorités helvétiques d'être intervenues, mais de l'avoir fait avec retard, dans la précipitation, chaotiquement. C'est pourquoi les Commissions de gestion leur font des recommandations, dont on peut douter de l'efficacité.
Le sauvetage financier de l'UBS en octobre 2008 et la première transmission de données clients en février 2009 par l'UBS au fisc américain sont liés. Dans le premier cas il s'agissait d'empêcher que l'UBS ne succombe à un défaut de liquidités, dans le second qu'elle ne fasse l'objet d'une poursuite pénale, susceptible de lui retirer ses licences d'exercer aux Etats-Unis et, finalement, de succomber. Le sauvetage financier a conduit au sauvetage judiciaire. Dans les deux cas les autorités helvétiques n'ont pas voulu que les responsables soient les payeurs. Drôle de moralité.
Il est encore possible toutefois de s'opposer à l'accord entre la Suisse et les Etats-Unis sur la transmission de données de 4'450 clients, ce qui permettrait de revenir aux principes et de miser sur le long terme. Certes le Conseil des Etats l'a entériné aujourd'hui ici [d'où la photo ci-dessus provient] et a refusé que cet accord soit soumis au référendum facultatif, mais il pourrait en être autrement lundi puisque le texte sera examiné ce jour-là par le Conseil national. Il en va de la réputation de la Suisse et de son honneur, comme l'a rappelé l'avocat genevois, Michel Halpérin, dans l'édition du Temps du 31 mai 2010 ici.
Francis Richard
Voir aussi mon article Accord UBS : Blocher serait-il rusé comme Ulysse ?
Nous en sommes au
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dernier otage suisse en Libye