Comment ne pas profiter de mon passage en Sicile pour rendre visite au plus grand des théâtres italiens, le Teatro Massimo de Palerme ? Un extérieur massif et baroque, un peu chargé mais extrêmement imposant sur la place Garibaldi de Palerme, une salle majestueuse, dans le plus pur style l’italienne, avec comme signe distinctif une galerie si élevée qu’elle domine même le plafond, offrant quelques ouvertures vers les charpentes, qui sont un plaisir esthétique mais une gêne pour les spectateurs, dans la mesure où elles laissent passer la lumière du jour pendant le spectacle.
Le hasard a voulu que ce soir-là, le Teatro Massimo présente une coproduction avec la Fenice de Venise et le Teatro Verdi de Trieste du rare Maria Stuarda de Donizetti. Une œuvre méconnue, d’un compositeur qui en a produit de si nombreuses, qu’on se demande souvent pourquoi les unes sont restées parmi les plus populaires du répertoire tandis que d’autres ont non moins étrangement sombré dans l’oubli. Il faut dire que Donizetti a sous-exploité le potentiel que lui offrait l’opposition inspirée de Schiller entre les deux personnages de reines de Marie Stuart et Elisabeth I. L’œuvre entière se déroule dans l’attente d’une confrontation de caractères, de fiertés et de voix, qui ne vient jamais complètement. Dommage car le livret offrait en particulier à la fin du premier acte un fort potentiel dramatique. Ce qui n’empêche pas quelques très jolis passages, en particulier dans les ensembles, où Donizetti joue plus de son grand savoir-faire que des subtilités du livret.
Si la distribution du Teatro Massimo a quelques carences du côté masculin, les deux reines en sont indéniablement le point fort. Tout les oppose, de la couleur de leur costume, jaune pour l’une et vert pour l’autre, là où tous les autres revêtaient des habits sombres, jusqu’à la couleur de la voix, chaleureuse et ambrée pour l’Anna de Veronika Dzhioeva, glaciale et virtuose pour l’Elisabeth de Francesca Provvisionato. Les hommes paraissent moins à leur avantage dans cet opéra très féminin : Robert Nagy est un Roberto di Leicester un peu pataud et guère séduisant, dont la voix passe-partout se fond bien dans les ensembles mais ne tient pas la distance dans les solos. Ugo Guagliardo a plus de noblesse en Talbot, mais il n’est pas toujours d’une justesse infaillible.
La mise en scène manque assez nettement d’imagination dans un décor labyrinthique qu’on a quelque peine à interpréter. Quant à l’orchestre du Teatro Massimo, il fait plutôt honneur à la tradition de ce grand théâtre, sans toutefois que les conditions d’acoustique lui rendent pleinement justice.
Le contexte n’était en effet pas vraiment favorable, le public du jour (mais était-ce si exceptionnel ?) était particulièrement dissipé, ce qui ne pardonne pas dans une salle de cette dimension. Entre les nombreux touristes, transportés sans doute à l’idée de voir du folklore dans son cadre naturel, et qui ne peuvent retenir le crépitement de leurs flashs. Quant aux locaux, ils n’ont pas davantage la culture du silence qui accompagne habituellement les représentations d’opéra, et on ne compte plus les téléphones allumés, les mots échangés, jusqu’à une première du genre : une conversation complète au téléphone au milieu du spectacle. L’image de cet opéra historique, pris entre les touristes en quête d’une authenticité folklorisée et figée par les photos, et de jeunes désinvoltes, manifestement contraints d’être là, n’avait pas de quoi rassurer sur l’avenir de l’opéra.
Maria Stuarda de Gaetano Donizetti, au Teatro Massimo de Palerm, jusqu’au 28 mai 2010.