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Cendres et autres syndromes récents de la fragilité du monde… et de la précarité des individus

Publié le 03 juin 2010 par Martinez

Remi GuilletCet article a été écrit par Rémi GUILLET aujourd’hui retraité. Ingénieur de l’Ecole Centrale Nantes (ex ENSM promotion 1966) il est aussi Docteur en Mécanique et Energétique (Université H. Poincaré-Nancy 1-2002) et diplômé en Economie/Gestion (DEA Université Paris 13-2001).
Son activité professionnelle l’a amené à travailler essentiellement en recherche appliquée dans le domaine de la combustion. Il s’est fait notamment connaître pour ses travaux sur la « combustion humide », recevant un Prix « Montgolfier » des Arts chimiques en 2002 (Prix décerné par la Société d’Encouragement de l’Industrie Nationale).

Il a été en charge du secteur Energie/BTP au siège de OSEO entre 1995 et 1998

Ce sont des cendres volcaniques qui ont fait récemment vaciller le monde …. Mais les politiques - ayant malgré tout gardé un certain pouvoir décisionnel pour manifester la plus grande prudence en bloquant au sol les aéronefs - se sont vus, au bout de quelques jours, dans l’obligation de « revoir leur copie » et de relâcher la contrainte imposée par le très louable principe de précaution… sous la pression d’acteurs économiques agitant la perspective de très nombreuses faillites…

Ainsi, beaucoup plus fines qu’un grain de sable, les cendres volcaniques islandaises (quelques microns !) allaient, courant avril, figer pendant une semaine la vie économique internationale… Après une accalmie, le phénomène d’éruption et de rejet de laves et cendres a repris de la vigueur début mai, puis mi-mai, menaçant à nouveau le trafic aérien moyen et long courriers...

Mais ce syndrome nous donne surtout l’occasion de méditer sur la fragilité du modèle de développement du monde que l’Occident a su inventer puis appliquer : un modèle de développement que s’empressent d’imiter les pays émergents ou aspirant à l’être !

Il n’est donc plus besoin d’attendre que les dégâts du réchauffement climatique s’amplifient (si cela est encore nécessaire pour éveiller la conscience chez les plus sceptiques), pour prendre du recul sur cette « agitation » commerciale, ces échanges intercontinentaux de tout et de rien, tout ce « bling-bling » technologique, pensés comme nécessairement « bons pour tous »… et qui seraient la manifestation la plus tangible de l’intelligence humaine, des aptitude et capacité « supérieures » de notre espèce !

Plus d’avions et ce monde s’écroule !

D’abord ce sont des voyageurs aux ailes coupées tout surpris d’être condamnés à vivre, là où ils sont « piégés », quelques jours de plus que programmés, et qui prennent subitement conscience d’un nouveau risque … qu’ils ont du mal à assumer ! Risque qui, cumulé avec d’autres plus connus ou à venir pourraient un jour faire basculer les comportements vers davantage de sédentarité, vers des comportements plus enclins à vivre les vertus de la proximité… (En vérité, un enjeu économique très important, car le trafic « voyageurs » représente des centaines de milliards de km par passagers annuels et donc un business colossal !).

Durant la première séquence des « perturbations cendrées », et pour la seule France, la perte a été estimée à 260 millions d’euros pour les compagnies aériennes et les voyagistes.

Puis c’est un fret tous azimuts soudainement interrompu qui très vite menace des filières industrielles devenues internationalement dépendantes (qu’il s’agisse de production de pièces détachées low cost, de yaourts, de Jean’s… autant de filières qui voient apparaître avec les cendres islandaises une nouvelle limitation à la « pertinence » de stratégies assujetties à la fiabilité du trafic aérien européen ou intercontinental.

A noter que si le fret aérien ne représente que 5 % du trafic marchandises en volume, en valeur, il pèse à hauteur de 40 % du trafic mondial, selon D. Mirza, professeur d'économie et chercheur au Centre d'études prospectives et d'informations internationales…

Et c’est le cri d’alarme d’entreprises du transport aérien qui annoncent leur faillite à très court terme, ne pouvant accepter un « blocage au sol » supérieur ici à 3 jours, là à un mois. Avec des sous traitants et sous traitants de sous traitants encore plus vulnérables… et des milliards qui s’envolent (les seuls à voler en la circonstance !). En fait des milliards qui ne changent plus de main, ne générant plus de valeur ajoutée, car encalminés comme peut l’être la marine à voile au passage de certains pots au noir !

Alors les décisions politiques à la faveur de la précaution sont mises à l’épreuve par des acteurs économiques exerçant une pression de plus en plus forte sur des décisions manquant d’antécédents et sans doute de justifications solides.

Grâce à Dieu, la satanée éruption islandaise a alors bien voulu s’apaiser puis se faire oublier… permettant à chacun de sauver la face... avant de reprendre, plus ou moins adoucie… mais toujours perturbante pour le trafic aérien…

Globalement, le secteur aérien a évalué à 2,5 milliards d'euros les pertes subies pour la première et plus forte perturbation « volcanique ». Mais d’autres estimations n’ont pas manqué pour dire que ce qui est perdu ici est gagné là (pour les moyens courriers, moins d’avions c’est plus de trains et de trafic autoroutier !)…

Et une économie de proximité s’est révélée prête à relayer l’économie
« mondialisée » !

Un monde de plus en plus fragile !

Ainsi, des phénomènes qui autrefois n’avaient de conséquences que « régionales » ont dans ce monde « globalisé » des retentissements et de lourdes conséquences économiques au plan international et intercontinental…

Pour une grande part, la fragilisation grandissante de l’économie est donc liée à une mondialisation / globalisation des échanges rendue réalisable grâce à des développements technologiques qui ont permis de « fonctionner » suivant des théories favorables à un capitalisme débridé, attendant du libre échange mondial des coûts toujours plus bas et des marges de profits toujours plus hautes, à tous les niveaux et pour toutes les filières, depuis la matière première jusqu’à la commercialisation des produits ou services finaux ( mais faisant toujours l’impasse sur la génération d’externalités sociétales et environnementales pratiquement toujours négatives… sur le gaspillage du patrimoine naturel, en énergie notamment !).

Ainsi, aujourd’hui, une très grande majorité des pays développés vit dans la dépendance et s’en trouve fragilisée… Qui par un moteur d’avion nécessairement à importer, car ici on ne construit plus que la carcasse des aéronefs (ce qui n’est déjà pas si mal !), qui par des écrans plats, car là on ne fabrique que les circuits imprimés, qui par des manches de balais car seule la paille de riz (synthétique !) est produite de façon rentable et compétitive dans ce pays. Pour être plus explicite, on peut évoquer les difficultés rencontrées par les industries des pays de l’ex-URSS au lendemain de l’éclatement du bloc soviétique, car industries très souvent brutalement fragilisées puisque devenues dépendantes de fournisseurs « étrangers » avec des stratégies propres …

Dans d’autres cas, plus extrêmes, des addictions technologiques sont nées, créant des dépendances totales donc encore plus grandes envers des pays exportateurs. On pense par exemple à l’agriculture, à la téléphonie mobile qui, soit par sous capacité industrielle, soit par manque d’investissement dans les outils industriels nécessaires, soit par perte des savoir-faire et compétences humaines, soit par choix stratégique délibéré, … conduisent les pays importateurs vers des développements de pointe en même temps qu’elles les fragilisent un peu plus…

Dans ce texte, nous mettons l’accent sur la fragilité induite par un nuage de cendres volcaniques qui cloue au sol le transport aérien. Mais demain on pourra « reprendre la copie » et disserter sur la fragilité des communications électroniques, la fragilité du développement de l’informatique dématérialisée, délocalisée, la fragilité du « Cloud Computing » (encore une affaire de nuage !) avec toutes les conséquences potentielles sur les sécurités, civile, militaire, financière (un risque de plus pour cette dernière !).

Le monde réel a désormais son clone électronique (informatique) dans tous les domaines. Les décisions se prennent à l’issue de travaux sur le clone. L’activité professionnelle se développe souvent face à un écran, singeant le jeu vidéo (avec des risques spécifiques de confusion chez les individus eux-mêmes fragiles). Mais les décisions prises « impactent » sur le monde réel avec sa sensibilité, sa réactivité propre… que le clone n’a su avoir ! Et on peut attendre de tels protocoles qu’apparaissent de nouvelles sources de risques et de nouvelles désillusions…

Ainsi, on va de surprises en surprises, on voit poindre le chaos là où on pensait avoir prévu (la science des probabilités a ses limites !) On voit des fonds de pensions qui ruinent leurs souscripteurs plus qu’ils ne produisent la rente attendue ! Un phénomène qui risque de s’accentuer avec la finance virtuelle qui, voyageant à la vitesse de la lumière, accélère dangereusement le rythme du jeu et le trafic de spéculateurs de tout poil !

De leur côté, des professions bien réelles et « terre-à-terre », par exemple celles des producteurs de lait et autres agriculteurs, victimes de la globalisation d’échanges non régulés, voient leurs ressources diminuer de façon catastrophique (par exemple et très récemment de -20% en moyenne en France et en un an).

Faut-il pour autant passer sous silence les marées noires – catastrophes récurrentes et bien réelles, elles aussi – qui fragilisent ou même détruisent les écosystèmes et sont un des grands symboles du développement technologique et de la croissance économique de feu le XXième siècle…

Bien sûr, pour exporter un TGV, un Airbus ici où là, il faut accepter toutes les infortunes de l’échange planétaire… Mais le faut-il « à tout prix » ? Y compris lorsque le jeu de la concurrence est biaisé ! Y compris lorsque pour vendre un train, il faut « livrer » le savoir- faire qui va avec… Qui se souvient de l’époque « pompidolienne » (fin des années 60, début 70) où on se gaussait de vendre aux pays déjà émergents des usines « clés en main » ! « Si on ne le fait pas, d’autres le feront à notre place » disait-on pour tout justificatif ! Sans doute vrai ! Et rien n’a véritablement changé même si on sait le côté sombre de ce genre de business !

La précarité des individus accrue…

La « nouvelle » précarité des individus est aussi très souvent la conséquence inéluctable de la fragilisation croissante de ce monde et de la globalisation des échanges.

Si la précarité se voit de l’extérieur… elle se vit « intérieurement » pour être d’abord une grande détresse. A l’état potentiel ou de prémices, elle annihile les projets qui donnent un sens à la vie…

Certes, le monde occidental a mis en place des structures sociales sécurisantes (assurances, sécurité sociale obligatoire, mutuelles complémentaires …) qui sont autant de protection contre la maladie, la vieillesse, les accidents de la vie. Mais, assez naturellement, ces structures ont peu à peu relayé et donc inhibé l’instinct de solidarité (familial, clanique, communautaire, tribale…) qui existe encore dans les sociétés moins développées.

Nous voulons dire que de façon ordinaire la pratique de la solidarité « coutumière » s’estompe avec le développement de l’organisation des sociétés, une pratique qui disparaît un peu plus quand le « chacun pour soi », le culte de la réussite individuelle deviennent le paradigme encensé par le corps social.

Or, dans le même temps, l’accès à ces infrastructures chargées d’exercer la solidarité officielle, administrée, exige des présupposés qui font référence à un statut social (papiers signifiant l’appartenance au pays ou officialisant un accueil dans les règles, domicile, emploi…) rendant lesdites infrastructures inaccessibles aux plus démunis, SDF et autres marginaux… Pour les « exclus » ne restent alors plus que les mouvements associatifs auxquels nous rendrons ici un vif hommage.

Alors on doit répéter que la précarité a trop souvent ses racines dans la mondialisation/globalisation des échanges. Est-il nécessaire de préciser combien, dans un monde d’échanges globalisés, les défis de la réussite économique des entreprises, qui se mesure à l’aune du profit, de la productivité du travail, sont responsables de précarités individuelles, d’exclusions ? On sait aussi qu’aujourd’hui, la compétition internationale, la mondialisation des affaires, la croissance, sont élitistes et que les chances d’emploi sont de plus en plus compromises pour les salariés les plus humbles.

Ensuite il y a la précarité entretenue, voire amplifiée, par la survie à « crédit ». A côté des précarités individuelles, on peut aussi penser aux Etats et à leur dette qui, s’accroissant avec le temps, accroît leur propre précarité ! Dans les deux cas, l’histoire montre qu’on ne peut s’endetter impunément indéfiniment !

Ainsi le monde édifié par deux siècles d’aventures scientifiques, technologiques, philosophiques occidentales, monde généralement appréhendé comme de plus en plus performant… a-t-il été marqué par un manque de plus en plus flagrant de sagesse, de partage…pour finalement se révéler comme de plus en plus fragile et générateur de précarité.

Alors les pauvres de maintenant seraient-ils plus pauvres, plus heureux en Afrique qu’en Europe ? En Inde qu’au Brésil ? Nous n’aurons pas l’impudence de répondre à de telles questions qui recouvrent trop de souffrances dans tous les cas (2).

A coup sûr, tous les pays, quel que soit leur degré de développement, doivent rester avant tout préoccupés de « l’harmonie » de leur développement, sauf à prendre de grands risques de « fracture sociale aggravée » et de voir sourdre de lourds désordres sociaux.

Et rien ne peut justifier que la « machine » du développement économique mise en place soit ou devienne une « centrifugeuse » ou un « broyeur social ». Aux économistes politiciens et autres politiciens économistes d’y veiller !

Pour conclure, revenons sur les cendres islandaises pour y voir également un symbole de « futurible » désastreux… si on ne sait réagir à temps, en terme de partage de l’emploi, en terme de partage des richesses produites, en terme de respect de l’environnement et plus généralement en terme de respect du patrimoine naturel.

Mais ce nuage souligne aussi – après d’autres observations mentionnées dans les articles que nous avons publiés sur ce site (3) - combien l’Occident aura de difficultés à passer du modèle actuel à un nouveau modèle de développement qui sera d’abord et nécessairement une menace pour de nombreuses activités économiques bien en place, bien ancrées dans leurs habitudes, dans la certitude de leur indispensable « utilité » (On aura compris que les compagnies de transport aérien ne sont ici ni spécialement ni exclusivement visées !)…

Alors (et au cas où !)… accordons également notre confiance au Phénix qui, si on croît la mythologie grecque, a su (et saura toujours ?) renaître de ses cendres … Reste à trouver derrière quoi, derrière qui se cache aujourd’hui cet « oiseau rare »…

(1) Voir Livre « Pour plus de solidarité entre le capital et le travail… » par Rémi Guillet (paru chez l’Harmattan : versions 2004 et 2009, ainsi que les articles associés du même auteur (dont certains parus également sur ce site)

(2) C. Aznavour ne chante-t-il pas que « la misère est plus facile à vivre au soleil… » !

(3) Voir par exemple l’article « Retour laconique sur… Copenhague » (site cfo news)

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