Ok, je sais, c’est méchant : j’utilise pour mon titre un type qui, finalement, subit une hérédité assez lourde. Mais l’actualité est parfois tendue, on sent que tout n’est pas rose dans ce bas monde, et une petite pinte de rigolade ne doit pas être écartée. Cette fois-ci, nous allons nous intéresser à l’année 2008, dans les Hauts-de-Seine…
Mes lecteurs s’en souviendront facilement : quand on fouille les placards poussiéreux de la République, ceux dans lesquels sont planqués les rapports d’audit, les résumés comptables des finances publiques, les résultats de commissions d’enquête, et qu’on prend le temps de les éplucher un peu, on tombe sur des petites pépites.
Là encore, c’est le tenancier du blog Mondodingo qui continue ses fouilles spéléologiques dans les documents généreusement fournis par les départements, comme la loi les y oblige. Il m’a ainsi fait parvenir un passionnant PDF produit par le département des Hauts-De-Seine.
Passionnant, en fait, n’est pas vraiment le mot : il s’agit d’un récapitulatif pas franchement palpitant des dépenses du département pour l’année 2008, sans couleurs, sans logo, sans analyse, sans texte. Rien que du tableau, des totaux, des petits chiffres secs et agressifs comme un attaché parlementaire tout juste sorti de l’ENA.
Cependant, je vous encourage à en prendre connaissance ; il est ici.
Pourquoi ? Pour deux raisons.
La première raison est relativement générale, et je ne m’attarderai pas dessus : il s’agit de bien voir les montants qui sont en jeux, dans les différents postes de dépense. C’est très instructif de voir comment sont dépensés les impôts, taxes et ponctions diverses au niveau d’un département, de voir les montants qui sont impliqués, de lire l’ampleur des engagements financiers et de jauger par soi-même de la justesse de ces derniers.
Tout bon « père de famille » devrait se lancer dans cette lecture rapide, notamment lorsqu’il doit, ensuite, remplir sa feuille d’impôts pour la renvoyer par la Poste qui s’empressera de la perdre en route. C’est très éclairant.
Là encore, on retrouve toute l’habituelle brouettée de subventions (p 124 et suivantes), d’achat de biens immobiliers ou fonciers (p 68), etc., qui permettent d’ouvrir de croustillants débats sur l’opportunité, par exemple, d’aller donner telle ou telle somme à telle ou telle association dont les membres pourraient très bien supporter seuls leurs besoins, au lieu de reporter la charge correspondante à la subvention sur tous les autres contribuables.
Au final, les montants manipulés représentent des montagnes de fric, un niagara ininterrompu de larges quantités de pognon, un tsunami d’argent public arrosant largement ceux qui ont eu la grâce d’être assez proches des petits papiers de la République locale. Ce sont, littéralement, des centaines de millions d’euros qui sont en jeu, et qu’il a bien fallu prélever (ou qu’il faudra prélever, le département ayant là encore procédé comme l’état, avec de jolis paquets de dettes).
Ce qu’il y a d’éclairant, à lire ces documents ardus, c’est que les Français sont riches mais qu’on a bien pris soin de le leur cacher : tout ce pognon, ils l’ont (puisqu’on leur a pris) ou sont capable de l’avoir (puisqu’on accepte de le leur prêter). Vendant le principe que l’union fait la force, on a donc collectivisé de gros morceaux juteux de ces richesses que les Français produisent, en inversant le proverbe : de force, on fait l’union.
…
Mais la deuxième raison, ce sont ces petites pépites qui donnent un éclairage supplémentaire, un visage à ces secs montants d’argent froid. Pour cela, on se rendra à la page 121 du document, pour tomber sur les dépenses du département en matière de formations, pour les élus.
Oui, vous avez bien lu : il y a un poste de dépenses spécialement conçu pour nos élus, et je ne parle pas de leurs salaires ou de leur défraiement, mais bien de formation.
Ne nous méprenons pas : tout ceci est légal. La formation des élus, c’est un droizaki, c’est du quasi-indéboulonnable, ça fricote avec la DDH et les autres droizopposables à la vie en famille, au barbec’ du dimanche quand il fait beau en été, et tous piliers de la civilisation moderne en France que le monde nous envie.
La formation est un droit, patati patata ; regardons donc à présent quels élus bénéficient de quelle formation !
Les moutontribuables des Hauts-de-Seine seront heureux d’apprendre que leurs élus ont joyeusement claqué quelques thunes dans les formations aux intitulés alléchants suivants :
- « Prise de parole en public » (rappelons qu’il s’agit de formation pour des gens élus, qui ont donc du, en théorie, déjà prendre la parole en public). 5200 euros. Il y a aussi du « Coaching expression orale » qui doit probablement rentrer dans la même catégorie (7600 euros). Et « Optimiser sa communication orale » (2700 euros). On est à plus de 15.000 euros pour former à parler des gens élus grâce à leur faculté à parler.
- « Après les élections locales, comprendre pour agir au présent« , qui rassure tout de suite le contribuable : on va peut-être arrêter d’agir dans le passé. Ou dans le futur. Ou enfin y comprendre quelque chose. Chouette. 3400 euros tout de même.
- « Boîte à outils de l’élu-e local-e » : 1200 euros y ont été consacrés pour un unique élu. Espérons que la boîte à outils contenait au moins un décapsuleur et un ouvre-boîte. Ça peut servir dans les soirées petits-fours.
- « Réabonnement à Elunet pour un an » : 1900 euros. Je vous encourage à chercher ce que c’est (ici, peut-être). C’est neutre politiquement, de bon goût, payé avec vos impôts. Et c’est dans le budget formation pour les élus communistes du département des Hauts-De-Seine. Souriez.
- « Formation : Un droit à mieux utiliser pour les nouveaux et les anciens élus » : oui, il s’agit bien d’une formation pour expliquer qu’on peut avoir des formations. 856 euros. Le rire, ça vaut autant qu’un steak… Ou disons qu’un boeuf entier à ce prix là.
- Dans la catégorie « Les Formations Qui Posent des Vraies Questions De Formation », on trouve, toujours pour les élus communistes, des … trucs aussi bigarrés que « Après les cantonales, quelle action concrète et quel avenir des départements« , « Femmes en Europe et engagement politique : quelles réalités ? Comment avancer ?« , « Faire du droit au logement pour tous une réalité » , « Comprendre les enjeux du grand Paris » …
- Tiens, quelque chose qui se rapproche d’une vraie formation qui pourrait servir à l’élu : « Actualité du droit des collectivités » ! C’est pratique, le droit, ça permet de savoir ce qu’on doit
contourner pour éviter de se faire choperconnaître pour éviter les bévues légales, si embarrassantes pour l’élu responsable et honnête.
Et la pépite, c’est les formations en fin de liste : »Formation par internet des élus locaux » et « Fonctionnement et Objectifs de l’Union Européenne« . Pas tellement dans l’intitulé, qui ne surprend plus quand on a lu les autres, mais dans les élus qui ont suivi les formations en question : Jean Sarkozy en fait partie.
Certes, il a le droit (droizaki, vous dis-je) d’aller se cogner une formation pour savoir utiliser internet en tant qu’élu local. Il a le droizaki de se rencarder sur l’U.E. aux frais du contribuable. C’est ça, la force des droizakis : tout le monde en profite. Même les riches. Surtout les riches.
Mais, pour lui comme pour tous les autres, pensez-vous vraiment que c’est le rôle du département de former les élus à bien parler, bien se connecter sur l’interweb, bien comprendre les solutions concrètes de l’avenir de plus tard de dans maintenant ?
Comment diable faisaient les élus, il y a 20 ans, il y a 50 ans, sans ces formations (total : 51 000 euros tout de même) ?
Ne vous y trompez pas : les montants semblent modestes, les intitulés rigolos et la boutade facile. Mais ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières. Ce sont les milliers de petites subventions qui font les gros dérapages budgétaires.
Ces élus vous doivent des comptes.
Ça recouvre aussi le temps qu’ils passent à se pomponner à vos frais.