Anthologie permanente : Shoshana Rappaport

Par Florence Trocmé


(A l'expiration de l'enfance, éviter de s'enliser.) Résolument à prendre a posteriori. Notre imagination est incapable de venir à bout du mystère d'un ciel inédit, d'une chambre étrangère. Soit. Impuissante à vivre. À mesurer l'ampleur, comme l'emprise du vide laissé. Figuration. Recommencement d'une vie passée. N'attendre ni le salut, ni la grâce. Circonstance fortuite. (Se donner rendez-vous dans un square enclavé de buissons. Pas une place. Un square, un petit dédale sans pelouses.) Trouver un hêtre pourpre, immense, luisant. Qu'en faire ensuite ? Poursuivre son chemin, accompagné. Florissante découverte. Belle perspective. (" L'espace et le temps rendus sensibles au cœur. ") Mystère de la hauteur.
Le repli. L'arrêt tranquille. La satiété. Journal de l'absence. Ou plutôt le transitoire, le fugitif, l'intègre. Si j'avais su parler des choses. (L'histoire du présent, des souvenirs, du déchirement.) Caractère inéluctablement privé. Trouver une explication raisonnable. Bloc tourmenté, dialectique, fragments rassemblés. Quels confins, quelle résistance, quel remord ? Ne plus être spectateur. Lire un roman. Payer comptant. Garder toujours un visage intrépide. Subsister, simplement, renouvelé. Travailler.
Rêver.
Ignorer l'âpreté. Oublier. Brutalité sauvage, féroce, innocente. Un sang calme, lucide. Est-on au fait des calculs intérieurs ? (Regard malicieux. Ne rien attendre. Être libre). Éviter la ruine de ses rêves. Recomposer l'instant. Saisir l'intensité dans la syntaxe des jours. L'haleine amicale, la voix limpide. Qu'est-ce qu'un sourire ? La fantaisie, l'intelligence discrète qui construit. (Aller et venir.). Fructueuse perspective. Ne pas s'en laisser compter par la fenêtre vide.
Shoshana Rappaport, Brefs impératifs, L'Act Mem, 2010 pp. 66 et 67.
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[...] La seule fête de sa vie ce sont ses vers. Un froid cruel, presque abstrait, s'est abattu. La neige tombe par rafales. Irina sa fille est morte de faim dans un asile. Elle avait trois ans. Ne parlait pas et chantait sans cesse en se balançant. Elle n'est pas allée à son enterrement. " On n'a jamais eu un enfant, on l'a toujours. " Elle a sauvé Alia. Qu'est-ce que l'oiseau d'or du destin ? " J'aimerais que tu connusses toutes les étendues de son divers paysage depuis sa côte bleue jusqu'à ses plaines russes... " lui écrivait Rilke. Un cœur est-ce que cela s'essouffle. Il fait presque jour. Elle cuit des haricots et boit du café très noir. Elle a depuis longtemps abandonné toute tâche ménagère. Elle n'a pas versé une seule larme. Ni le temps, ni la place. Pleurer, c'est admettre. Elle étouffe. Elle aimerait être seule et écrire toute la journée. Elle aurait voulu que quelqu'un lui en fasse cadeau. Elle aurait dû vivre il y a cent ans. Peut-être est-elle née trop tard. Elle a oublié comment sourire. Elle a oublié Londres, Berlin et l'Italie. Elle ne sait plus rien ou si peu. Qu'est ce qui s'est accompli ? Elle ne reconnaît Dieu qu'à travers le non - advenu. Sa mémoire s'est barricadée. Où retrouvera-t-elle le pas ailé d'antan ? Mour marche, en cercles comme un astre.
Shoshana Rappaport, Léger mieux, " Marina Tsvétaïeva ", L'Act Mem, 2010 pp. 98.
Bio-bibliographie de Shoshana Rappaport
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