Nous sommes à deux ans des prochaines Présidentielles. A droite, Nicolas Sarkozy a laissé entendre qu’il allait se représenter tandis que les candidatures alternatives se préparent : Dominique de Villepin, Xavier Bertrand, François Bayrou. A gauche, des primaires doivent désigner le candidat (la candidate) à l’automne, Martine Aubry, François Hollande et peut-être Ségolène Royal se placent, alors que Dominique Strauss-Kahn reste le plus populaire pour tous les électeurs dans les sondages.
Les prétendants ne manquent pas mais quelle est la situation deux ans avant ?
A gauche, le parti Socialiste s’est réorganisé, a commencé la grande parlote pour accoucher d’un programme de gouvernement axé sur une utopie d’avenir. Au détriment du réalisme et des métamorphoses exigées par la crise, ce qui ne va pas l’aider. Sa stratégie d’alliance va des écologistes au parti de Gauche et au parti Communiste, les NePAs restant sur les marges mais se ralliant par défaut au second tour.
A droite, l’UMP connaît des états d’âme, la question sociale et fiscale revenant sur le devant de la scène, à l’inverse de la libéralisation du pays qui était l’axe de la campagne 2007. Il n’y a guère d’alliances possibles, l’allergie étant réciproque avec l’extrême droite, et « le centre » n’existant guère, éclaté entre un Bayrou solitaire, un parti rallié et un embryon de parti vaguement dépendant.
Quelles sont les contraintes majeures de la prochaine campagne ?
La faible croissance structurelle, l’endettement abyssal de l’État, des prélèvements obligatoires déjà très hauts pour une efficacité de la fonction publique très moyenne, une inertie à réorganiser les fonctions d’État, le vieillissement de la population avec son cortège de dépenses induites : chômage senior, retraites, santé, dépendance… Cela inséré dans une Union européenne à 27 qui se développe par le droit (pas par la politique) et qui cafouille dans la mondialisation. Membre d’une union monétaire à 16 qui contraint à la vertu par le poids de l’Allemagne et des pays satellites (Pays-Bas, Luxembourg, Autriche, Belgique), mais qui a beaucoup de mal à se coordonner pour l’investissement, la dette ou la fiscalité.
Les contraintes sont donc avant tout politiques envers l’euro, l’Europe, la mondialisation – et financières avec la dette et les prélèvements obligatoires.
Ce pourquoi le volontarisme bonapartiste à droite (yaka violer Merkel) ou robespierriste à gauche (yaka faire rendre gorge aux patrons) est irréel, anachronique et inefficace. Il n’y a pas de trésor caché dans l’austérité allemande qu’il suffirait de desserrer pour que la croissance reparte. Il n’y a pas de poule aux œufs d’or dans les bonus, les stock-options, les produits financiers du capital ou les niches fiscales qui permettraient de gommer la dette et d’équilibrer par miracle le budget (les sommes récupérables sont très petites).
- Il y a certainement une fiscalité à revoir pour la rendre plus juste en supprimant les privilèges d’exception.
- Il y a certainement une entente à avoir avec les Allemands pour ne pas casser la croissance par une rigueur trop soutenue.
- Il y a certainement de nouvelles relations économiques à mettre en place sur le système financier, le partage des profits et les investissements durables.
Mais ce ne sont que des pistes ardues avec des tournants redoutables. Il n’y a ni baguette magique qu’il suffirait d’actionner ni de voie royale que l’on devrait forcément prendre. Tout se négocie pas à pas, lentement, avec des partenaires européens, mondiaux ou sociaux réticents. Personne n’aime changer ses petites zabitudes ni abandonner ses petits zacquis sans compensations. Or l’immobilisme chiraquien et la fièvre dépensière jospinienne ont donné les compensations avant de demander les efforts de travail, d’innovation et de réorganisation (à l’inverse de ce qu’ont fait les Allemands et les Suédois). Les Français ont bien joui depuis 20 ans, certains plus que d’autres, mais la facture se présente maintenant. Tous devront payer, et certains plus que d’autres parce qu’ils ont plus de moyens. Mais nous sommes dans un monde libre où les fortunes peuvent aller ailleurs si l’État se montre injuste ou trop gourmand.
L’UE n’étant pas un État, comme le sont les États-Unis, le Japon ou le Royaume-Uni, sa monnaie est menée par les marchés, pas par un gouvernement. Que foutent donc les politiciens franchouillards pour réaliser enfin l’Europe unie si nécessaire ? A ce titre, Sarkozy ou DSK valent mieux que Royal ou Aubry, bien mieux que le nuisible Fabius.
Le prochain gouvernement sera donc anti-promesses. Il gèrera selon ce qui arrive et avec ce qu’il peut. Ses marges de manœuvres seront faibles, contraintes par le triangle indépassable de la dette accumulée, des impôts et taxes déjà élevés et des classes sociales désireuses de conserver un bon niveau de vie.
Les écarts entre tendances de droite et de gauche seront étroits.
Il y a bien entendu des politiques différentes possibles et chacun mettra en œuvre celles qui servent ses clientèles. Mais n’oublions pas que les gros bataillons d’électeurs sont parmi les classes moyennes, entre un SMIC et demi et les fameux 4000 euros par mois par personne qui font pour Hollande la définition du « riche ».
La gauche cherchera l’alliance des classes moyennes salariées et fonction publique (son cœur de cible) avec les classes populaires (un peu oubliées ces dernières années).
La droite tentera le grand écart entre classes dirigeantes, classes moyennes, la fraction des classes populaires qui aspire à la bourgeoisie et la fraction de la bourgeoisie qui craint le déclassement. Cela n’avait pas trop mal fonctionné en 2007.
Question programme, la gauche jouera l’utopie et la droite le réalisme.
Utopie à gauche la restauration de l’État-providence « comme avant » : retraite à 60 ans, 30 ans de cotisations, prise en compte des 5 dernières années, 35 heures pour viser 30 heures hebdomadaires, assistanat jeunes, aide à la formation adulte, accompagnement senior et care pour les vieux et les malades de la tête. Utopie la nouvelle croissance visant à la décroissance : toujours plus de services publics à la personne, contraintes d’État pour la rénovation, l’isolation, l’éolien et le solaire, le tri, le panier bio, etc. Utopie de faire plier l’Europe au collectivisme français avec interdictions et taxes à tous les étages ou de faire plier la mondialisation aux coûts du travail et aux grèves nationales.
Avec le risque que les promesses mirifiques ne soient jamais tenues et encouragent - comme sous Mitterrand - l’extrême-droite.
Réalisme à droite pour constater le déclin des retraites par répartition si l’on ne fait rien, avec une population active qui ne cesse de diminuer et des niveaux de vie des actifs et des retraités menacés. Réalisme l’observation des empilements de structures, d’élus et de fonctionnaires pour décider d’une action quelque part. Réalisme le souci de privilégier l’investissement à la consommation pour ne pas faire exploser les importations et la dette sociale. Réalisme la volonté d’œuvrer avec les autres Européens pour sauver l’Union et l’euro, notamment de comprendre l’Allemagne et de négocier avec elle au plus près, sans ces effets de manche qui font si bien à la tribune de l’Assemblée ou au 20-heures mais qui braquent les étrangers sur l’arrogance française.
Avec le risque de prévoir des lendemains moroses, et d’encourager - comme sous Sarkozy - l’abstention.
Les candidats potentiels sont donc prévenus.
Les marqueurs traditionnels de droite (bouclier fiscal) comme de gauche (bouclier social) sont obsolètes : la crise oblige tout le monde – y compris les socialistes Papandréou, Zapatero et Socratès – à faire de « la rigueur ». Pour une fois, la rigueur n’est plus à droite mais pour tout le monde parce que la Chine, l’Inde, le Brésil, le Nigeria et d’autres contraignent les coûts dans une économie mondialisée. Et que l’avantage de puissance des pays occidentaux pour exploiter leurs anciennes colonies s’estompe peu à peu…
Bon point pour Sarkozy, l’élection se jouera peut-être moins sur sa personne (qui agace) que sur son réalisme et sur sa capacité à impulser les actions. Si tel est le cas encore dans deux ans, Villepin et Bayrou ont peu de chances. Les électeurs voudront un décideur qui connaisse bien les dossiers, qui aime agir et qui soit capable de négocier.
Bon point pour Strauss-Kahn, l’élection se jouera peut-être moins sur son allégeance au gauchisme de conviction que sur sa compétence économique et internationale pour naviguer dans la crise. Mais a-t-il personnellement intérêt à lâcher la proie confortable du FMI qui le paye bien et lui donne du prestige (avec peut-être un second mandat), pour l’ombre du PS où il devra se battre contre ses rivaux, convaincre des partisans plus soucieux d’idéologie que de possible, et passer trois épreuves que sont l’investiture, le premier tour et le second tour ? Strauss-Kahn fait partie de cette liste qui comprend Mendès-France, Chaban-Delmas, Rocard, Barre, Delors, que les Français adorent mais que leur parti déteste. Or on ne peut gagner contre son parti ! DSK ne sera candidat que si le PS l’appelle, ce qui est à mon avis peu probable.
- Sarkozy/Strauss-Kahn, le second l’emporterait probablement.
- Sarkozy/Aubry, le premier aurait de grandes chances.
- Bayrou/Aubry, la seconde serait favorite.
Dans ce contexte, la nouvelle stratégie moyen terme qui se dessine au PS est redoutable pour la droite. L’alliance de DSK président, Aubry au parti et Royal Premier ministre permettrait probablement de rallier large et de battre le candidat de droite, quel qu’il soit. DSK attirerait les gens raisonnables et la droite qui en a assez des manières de Nicolas Sarkozy. Aubry pourrait faire du gauchisme mitterrandien, laboratoire d’idées utopiques et force d’aiguillon à gauche toute, Royal pourrait faire… du Royal en allant sur le terrain avec compassion pour distribuer du ‘care’ aux clientèles électorales, tout en étant tenue sur les grands dossiers par le domaine réservé de l’Elysée (Défense, Budget, Diplomatie).
Evidemment, la droite joue à qui n’y croit pas. Que les divisions vont reprendre au PS sous la poussée irrésistible des egos. Pour ma part, je ne m’y fierais pas ! Nicolas Sarkozy ne peut pas changer de personnalité mais il est le candidat solitaire; à gauche, c’est l’union qui fait la force. Il ne faut pas la sous-estimer.