Par Mélina Hoffman - BSCNEWS.FR /UNE VIE DE MAUPASSANT
Né le 05 août 1850, Maupassant passe son enfance en Normandie, aux côtés de sa mère. Cette région, chère à son cœur, deviendra le décor de bon nombre de ses comtes, romans et nouvelles.
Envoyé en pension au collège religieux d’Yvetot à l’âge de douze ans, il y acquiert un profond dégoût de la religion, qui ne le quittera pas jusqu’à la fin de sa vie.
C’est en 1880 qu’il décide de se consacrer entièrement à l’écriture, après une carrière des plus ennuyeuses dans l’administration parisienne.
Il participe à l’écriture de nombreuses revues et s’impose comme l’un des écrivains majeurs du XIXème siècle, aux côtés de Zola et Flaubert. C’est d’ailleurs ce dernier, ami de sa mère, qui lui permet d’intégrer le milieu littéraire naturaliste et réaliste. Il devient son mentor et lui apporte son soutien dans l’écriture de son premier roman, Une vie, que Maupassant n’hésitera d’ailleurs pas à lui dédicacer. C’est entre 1880 et 1890 que la production littéraire de Maupassant est la plus riche avec pas moins de six romans, trois cent nouvelles, et quelques récits de voyages.
Publié pour la première fois en 1883 sous forme de roman-feuilleton dans la revue Gil Blas, c’est en 1877 que Maupassant débute l’écriture d’Une Vie. Un roman dont le style réaliste est perceptible dès le titre. « Une vie » : un titre à la fois vague et précis, flou et en même temps très suggestif… Un titre qui évoque à la fois tout (par le mot « vie »), et rien (par le déterminant « une » qui le précède). Maupassant ne nous parle pas ici de la vie en général, il nous fait le récit d’une vie. Une seule parmi toutes les autres.
L’histoire se déroule en 1819 sur la côte normande. Jeanne, jeune aristocrate, a 17 ans lorsqu’elle quitte le couvent de Rouen, dans lequel elle vivait depuis l’âge de 12 ans, pour retourner vivre auprès de ses parents. C’est dans leur propriété d’Yport, où elle passait jusqu’alors tous ses étés, que la jeune fille se met à rêver d’amour et de voyage, impatiente de goûter aux joies de la vie qu’elle a passé de longs moments à imaginer. « Elle sortait maintenant du couvent, radieuse, pleine de sèves et d’appétits de bonheur, prête à toutes les joies, à tous les hasards charmants que dans le désœuvrement des jours, la longueur des nuits, la solitude des espérances, son esprit avait déjà parcourus. »
La solitude devient sa meilleure compagne et elle se laisse aller à de longues contemplations de la nature, qu’elle nous offre en spectacle à travers son regard émerveillé.
Un beau jour, à la sortie de la messe, le curé lui présente son nouveau voisin, le vicomte de Lamare. Jeanne est immédiatement séduite par le charme de cet homme élégant et plein d’aisance. Celui-ci sympathise rapidement avec la famille de la jeune femme, et ne tarde pas à la demander en fiançailles. Mais, au retour de leur voyage de noces, les rêves d’amour idyllique de Jeanne s’estompent tandis que son époux prend peu à peu le contrôle de tout, faisant montre d’une autorité impatiente. Jeanne se montre alors soumise et résignée, cédant avec obéissance et dévouement aux caprices du Comte. La routine s’installe, et la désillusion gagne la jeune femme à mesure que ses rêves et espoirs cèdent la place à la réalité et à la monotonie quotidienne.
Le décor se teinte alors de gris et de mélancolie : « l’humide et dur paysage ; la chute lugubre des feuilles ; les nuages gris entraînés par le vent ; le ciel grisâtre, comme frotté de boue ;… »
Un jour, Jeanne surprend Rosalie, sa bonne, au lit avec son époux. Les deux femmes se retrouvent en même temps enceintes du même homme. Les désillusions n’auront alors de cesse de se succéder, et Jeanne se trouvera confrontée à la trahison, au mensonge, à l’égoïsme, à la méchanceté et à l’abandon.
C’est une vie triste et dramatique que nous dépeint Maupassant dans cet ouvrage au lyrisme débordant et à la prose métaphorique. Tandis que la première partie du roman relate les rêves de la jeune fille naïve qu’est Jeanne lorsqu’elle sort du couvent, la seconde partie est le récit navrant de tous ces malheurs et désillusions.
Pleine d’enthousiasme à l’idée d’enfin découvrir le monde, elle se laisser aller à idéaliser l’amour comme une enfant, et ses comportements trahissent une immaturité irritante qui fera d’elle une victime malheureuse, comme le sont souvent les femmes dans les œuvres de Maupassant.
L’auteur décrit avec précision et réalisme un décor qu’il connaît fort bien puisqu’il en est originaire. Un décor auquel il confère un caractère particulièrement mélancolique par la présence de l’eau sous de nombreux aspects tout au long du roman. « Jeanne, ayant fini ses malles, s’approcha de la fenêtre, mais la pluie ne cessait pas.
L’averse, toute la nuit, avait sonné contre les carreaux et les toits. Le ciel bas et chargé d’eau semblait crevé, se vidant sur la terre, la délayant en bouillie, la fondant comme du sucre. Des rafales passaient pleines d’une chaleur lourde. Le ronflement des ruisseaux débordés emplissait les rues désertes où les maisons, comme des éponges, buvaient l’humidité qui pénétrait au-dedans et faisait suer les murs de la cave au grenier. »
Les œuvres de Maupassant, et tout particulièrement celle-ci, trahissent la personnalité sombre et pessimiste de l’auteur. Le bonheur apparaît comme une illusion qui s’échappe dès qu’on la touche du doigt. Tel un mirage.
« La vie, voyez-vous, ça n’est jamais si bon ni si mauvais qu’on croit. »
Morceaux choisis
« Il semblait à Jeanne que son cœur s’élargissait, plein de murmures comme cette soirée claire, fourmillant soudain de mille désirs rôdeurs, pareils à ces bêtes nocturnes dont le frémissement l’entourait. Une affinité l’unissait à cette poésie vivante ; et dans la molle blancheur de la nuit, elle sentait courir des frissons surhumains, palpiter des espoirs insaisissables, quelque chose comme un souffle de bonheur.
Et elle se mit à rêver d’amour. »
« Le soleil, plus bas, semblait saigner ; et une large traînée lumineuse, une route éblouissante courait sur l’eau depuis la limite de l’océan jusqu’au sillage de la barque.
Les derniers souffles de vent tombèrent ; toute ride s’aplanit ; et la voile immobile était rouge. Une accalmie illimitée semblait engourdir l’espace, faire le silence autour de cette rencontre d’éléments ; tandis que, cambrant sous le ciel son ventre luisant et liquide, la mer, fiancée monstrueuse, attendait l’amant de feu qui descendait vers elle. Il précipitait sa chute, empourpré comme par le désir de leur embrassement. Il la joignit ; et, peu à peu, elle le dévora. »
« Et la journée s’écoula comme celle de la veille, froide, au lieu d’être humide. Et les autres jours de la semaine ressemblèrent à ces deux-là ; et toutes les semaines du mois ressemblèrent à la première.
Peu à peu, cependant, son regret des contrées lointaines s’affaiblit. L’habitude mettait sur sa vie une couche de résignation pareille au revêtement de calcaire que certaines eaux déposent sur les objets. Et une sorte d’intérêt pour les mille choses insignifiantes de l’existence quotidienne, un souci des simples et médiocres occupations régulières renaquit en son cœur. En elle se développait une espèce de mélancolie méditante, un vague désenchantement de vivre. Que lui eût-il fallu ? Que désirait-elle ? Elle ne le savait pas. Aucun besoin mondain ne la possédait ; aucune soif de plaisirs, aucun élan même vers les joies possibles ; lesquelles d’ailleurs ? Ainsi que les vieux fauteuils du salon ternis par le temps, tout se décolorait doucement à ses yeux, tout s’effaçait, prenait une nuance pâle et morne. »
« […]elle sentait entre elle et lui comme un voile, un obstacle, s’apercevant pour la première fois que deux personnes ne se pénètrent jamais jusqu’à l’âme, jusqu’au fond des pensées, qu’elles marchent côte à côte, enlacées parfois, mais non mêlées, et que l’être moral de chacun de nous reste éternellement seul par la vie. »