La semaine dernière, impossible de publier La séance du mercredi, faute de temps. Mais j'avais commencé un édito agacé, comme je les aime. Le sujet ? L'attitude d'une certaine critique ciné réactionnaire face à certains films présentés à Cannes et, singulièrement, La Palme d'or. Cette attitude méprisante contre de prétendues élites, évidemment coupées du public, aux productions évidemment incompréhensibles, éminemment chiantiques, qui n'intéressent personne. Des gens du Figaro, du Parisien et de La croix qui enfonce le clou...
Or, j'ouvre ce soir le site des inrocks pour vérifier s'ils abordent déjà les sorties de demain (nous sommes mardi) et je découvre une interface totalement rénovée, très bien (VOIR) + plein de vidéos intéressantes + un article qui reprend exactement la substance de mon édito de la semaine dernière, que j'avais envie de vous refourguer, car le sujet m'intéresse. Comme les inrocks s'en prend exactement aux mêmes titres que moi, je reproduis son article (en bleu, puisque ça semble être la couleur du nouveau site des inrocks) in extenso. Avec un petit commentaire, in fine.
Mais d'abord un peu de musique. Je regardais tout à l'heure un extrait de Top Hat dans lequel Fred Astaire, après avoir conduit Ginger Rogers dans un parc pour la protéger de la pluie londonienne et la draguer, lui susurrait dans l'oreille "Isn't it a lovely day to be caught in the rain ?", avant de l'achever par quelques pas de danse, vite devenant pas de deux. Je vous propose une version récente de It's a lovely day d'Irving Berling par la délicieuse Stacey Kent.
Depuis quand un film primé à Cannes n’avait-il fait autant fait ja(cas)ser la presse française? Depuis 1999, la Palme d’or pour Rosetta des Dardenne et le Grand prix pour L’Humanité de Bruno Dumont ?
Dès le lendemain des résultats de cette édition 2010, le Figaro frappait en qualifiant Oncle Boonmee qui se souvient de ses vies antérieures de « palme de l’ennui » et en s’y attaquant méchamment, sur son site, dans une vidéo intitulée « Les nanars du 63e festival ». « Assommant », « pitoyable », « interminable », serinaient, mine satisfaite, les journalistes maison, dans ce vieux style droitier qui consiste à se vanter de ne rien comprendre à un œuvre d’art pour la déconsidérer, puisque tout ce qui échappe au « bon sens » et au « sentiment », au pré-mâché, est forcément bête et ennuyeux… (Barthes a écrit quelques pages définitives sur le sujet dans Mythologies).
Apichatpong Weerasethakul à Cannes après sa Palme d'or
(Jean-Paul Pelissier / Reuters)
Marie Sauvion, du Parisien, dans un article au titre moins mesuré que son contenu ("C’est quoi cette palme?"), estimait : « Tim Burton et son jury ont décerné dimanche la Palme d’or à un film bizarre, radical, formidablement inventif pour les uns, en gros, les cinéphiles aux goûts pointu, drôlement rasoir pour les autres en gros, le reste du monde. »
Sur Europe 1, Bruno Cras trouvait que Oncle Boonmee est un film « trop pointu qui se coupe du monde ». Pour La Croix, un film « abscons filmé avec une lenteur décourageante ». Sur France Inter, Eva Bettan cachait mal sa déception. Mais la plus grosse surprise venait de Pierre Murat de Télérama, qui trouvait cette Palme « totalement inconséquente », lui reprochant d’être "réservé à des « happy few » !"
"Ce cinéaste au nom islandais"
Curieusement, certains journalistes semblaient aussi s’inquiéter du sort commercial d’une palme qui ne les intéresse pas, lui prédisant un échec public cinglant, mais ajoutant aussitôt que ce genre de considération ne doit, bien sûr, pas entrer en ligne de compte dans un choix esthétique…
Plus surprenantes, toutes les blagues liées au nom de son réalisateur, considéré comme imprononçable, y compris sur les chaînes de télévision publiques, où chacun semblait s’être refilé la vanne de la semaine: « Apichatpong Weerasethakul, ce cinéaste au nom de volcan islandais »…
Curieuses réactions, vraiment, pour un film qui nous a plongés dans cet état d’émerveillement, de joie et de plaisir que nous procuraient les films de Disney ou La Belle et la bête de Cocteau quand nous les découvrions enfants. Alors pourquoi tant d’incompréhension ?
Certains critiques (disons plutôt « commentateurs » de cinéma, selon la belle expression forgée par le cinéaste Pierre Léon) continuent à juger le cinéma selon des critères insensés, feignant d’ignorer par exemple que l’ennui est un sentiment trop subjectif pour qu’on puisse juger une œuvre d’art à son aune.
Et puis il y aurait peut-être la peur de se couper d’un lectorat aux goûts fantasmés, et qu’on souhaite influencer avant qu’il ne pense par lui-même. Le jour de la saillie potache de ses collaborateurs énervés, sur le site du Figaro, on pouvait lire cette phrase de Charles Péguy : « Le triomphe des démagogies est passager, mais les ruines sont éternelles. »
Les inrocks
Deux vidéos. Des gens du figaro, puis des critiques des inrocks font le bilan de Cannes.
Le Figaro (Neuhof tuerait Dassault pour un bon mot...)
Les gens des inrocks.
Pour La Croix, la Palme d’or "ne trouvera pas de public". La croix enfonce le clou (oui, je me répète, mais j'aime bien...) de la mauvaise foi réac en contestant le Prix de la Mise en scène, attribuée à Amalric, qui n'est quand même pas "le meilleur metteur en scène des 19 films en lice" et se croit spirituelle en feignant de noter la remise. du prix Un certain regard (compétition officielle parallèle), présidé par la réalisatrice Claire Denis, au Coréen Hong Sangsoo pour son film Ha Ha Ha, "dans l’incompréhension générale". Suit cette phrase qui me réjouit vraiment : "Des hommes et des dieux demeurera le phare de cette édition 2010. Il a d’ailleurs reçu le Prix du Jury œcuménique et celui de l’Éducation nationale". C'est dire si c'est un bon film...
Le système économique du cinéma français (qui n'est pas le pire, d'ailleurs) laisse peu de place aux "petits films", qui se révèlent souvent des grands films à petit budget, peu de place aux films réputés "difficiles" (difficiles généralement parce qu'ils ne s'accomodent pas à la façon dont on nous a appris à regarder les films).
La complexité est une richesse. Certains cinéastes viennent, parfois, nous le rappeler. Sachons les écouter.
PAS DE FILM DE LA SEMAINE
La semaine dernière, pas de Séance du mercredi, soit que je n'avais pas le temps, soit que je n'étais pas inspiré. J'ai pu rater deux ou trois films comme Dans ses yeux ou Les secrets et surtout Policier Adjectif qui me semble, à lire la presse, très excitant, mais c'est ainsi.
Cette semaine, en dehors d'un nouveau documentaire de Michel Creton (voir l'image de la semaine), c'est un calme qui, j'espère, annonce la tempête à venir. Donc, pas de film de la semaine. Allez voir, revoir, re-revoir, lisez-en le texte avec illustrations (chez POL), allez prendre votre pied avec FILM SOCIALISME et c'est pas grave si vous ne comprenez rien. Vous êtes sûr(e)s de comprendre toujours la musique ?
Pour le film qui va cartonner chez les Dindes et leurs minoritaires amis dindonneaux, je vous renvoie à un "Décryptage style : Carrie Bradshaw en pleine traversée du désert" de nos amis Les inrocks et qui m'a fait sourire, alors que j'ai vraiment pas la tête à ça (à sourire). Exemple : "Porter des fausses lunettes à grosses montures passé 17 ans est passible de la peine de mort dans certains pays. Mais visiblement pas aux Emirats arabes unis, où Carrie pousse le vice avec cette monture actuelle agrémentée façon “face-à-main” – un objet culte du XIXe siècle qui a d’ailleurs fait entrer les lunettes dans la catégorie des accessoires de mode."
L'IMAGE DE LA SEMAINE
En outre, l'affiche est magnifique.
Françoise Lebrun fut La Maman, quand Bernadette Lafont était La Putain.
JACQUES TOURNEUR : UN MAIL DE BERTRAND TAVERNIER
Bertrand Tavernier était à Bergerac (ville où j'ai quelque attache) pour un hommage à Jacques Tourneur et, rendant visite au cimetière où repose le réalisateur de La Féline, Vaudou, La griffe du passé, il s'est rendu compte de l'état d'abandon de la sépulture.
Il a envoyé ce mail à un maximum de personnes (pas moi). En ayant eu connaissance, je le partage avec vous. Nostalgie.
Tourneur était mort loin du cinéma. Après que Pierre Rissient et moi lui avions montré, prouvé en sortant Vaudou, en ressortant La Griffe du passé, La Féline, L'Homme léopard et d'autres que son oeuvre tenait le coup, était admirée et redécouverte. Nous lui avions montré les réactions enthousiastes de tant de critiques (un salut à Guy Tesseire au passage).
Bertrand Tavernier
ON EST PAS DES CHARLOTS : LES CHAPLIN DU MOMENT
Film Socialisme de Jean-Luc Godard
Les femmes de mes amis de Hong Songsoo
Nuits d'ivresse printanière de Lou Ye
La reine des pommes de Valérie Donzelli
Mammuth de Gustave Kervern et Benoît Delépine
Cliquer les titres pour découvrir la programmation.
De ces cinq merveilleux films, trois sont vraiment en fin de cycle à Paris (1 salle et pas à toutes les séances), La reine des pommes n'est plus visible qu'à Auxerre et Roscoff. Le Godard est visible sur 42 écrans en France (dont 1 à Paris, donc) et Mammuth (je n'ai trouvé que les salles parisiennes, désolé) continue, tiré par la forte carrure (ou personnalité ?) de Depardieu,il reste présent dans 317 cinémas (France entière, bien sûr).
FOCUS
49ème SEMAINE DE LA CRITIQUE
Reprise à la Cinémathèque
du 3 au 6 juin 2010
CLIQUER L'AFFICHE
pour consulter la programmation
La plus ancienne des sections parallèles du Festival de Cannes propose une reprise de sa compétition de sept courts et sept longs métrages, ainsi qu’une sélection des meilleures séances spéciales.
Le 3 juin à 20h, en ouverture de cette programmation, Belle Epine en présence de l'actrice principale, Lea Seydoux et de la réalisatrice, Rebecca Zlotowski.
Bonne semaine, bons films.