Quand j'ai rejoint Moody's fin 1997, la pire crainte d'un analyste était de contribuer à l'attribution d'une note qui serait fausse, de causer des dégâts à la réputation d'exactitude de Moody's, et de perdre son travail en conséquence. Quand j'ai quitté Moody's (voici deux ans, ndr) la pire crainte d'un analyste était qu'il fasse quelque chose qui le verrait désigné comme responsable d'avoir mis en danger la part de marché de Moody's, de causer du tort à son chiffre d'affaires ou de dégrader les relations de Moody's avec ses clients et de perdre son travail en conséquence." Cet aveu sans appel est signé Mark Froeba, ex-cadre dirigeant de la branche produits dérivés de Moody's. Il figure tel quel dans le compte-rendu du témoignage qu'il a accordé à la commission d'enquête fédérale sur la crise financière (FCIC) à New York.
Mark Foeba y assure également que l'agence de notation recourait à l'intimidation afin que les analystes "soient effrayés à l'idée de contrarier les banques d'investissement". Cet ancien cadre dirigeant n'est pas le seul à témoigner contre les pratiques de Moody's. Deux ex-salariés ont également éclairé les enquêteurs sur les dérives qu'ils ont pu observées.
"Même s'il n'y a jamais eu d'instruction explicite pour abaisser les critères de notation, il fallait s'expliquer et se défendre sur chaque contrat raté", leur a ainsi raconté Eric Kolchinsky qui fut un temps chargé de la notation des CDO (collateralized debt obligations) liés aux crédit "subprime". A ses yeux, les dérives ont débuté quand, en 2007, une part importante de la rémunération des cadres a commencé à être payée en actions et en options.
Créée il y a un an, la FCIC, qui travaille en toute indépendance, doit conclure ses travaux en décembre. Son président, Phil Angelides, accuse Moody's, au même titre que les autres agences de notation, d'avoir facilité la vente de titres adossés à des prêts immobiliers en leur attribuant des notes n'invitant pas les investisseurs à se montrer prudents. Selon lui, Moody's est devenue "une usine de triple A", en référence à la note la plus élevée de l'échelle des grandes agences de notation.
Le patron de Moodys, Raymond McDaniel a rétorqué que les agences de notation n'étaient pas des "sentinelles" et qu'elles ne pouvaient pas empêcher l'émission ou l'achat de certains produits. Pour lui, "les marchés peuvent croître sans les notes, et ils le font". Il a reçu le soutien de Brian Clarkson, un ancien président de Moody' s à l'origine du développement rapide de l'agence dans la finance structurée, qui a quitté le groupe en 2008.
Jugeant "incontestable" l'intégrité des analystes de Moody' s, Brian Clarkson a laissé entendre que la commission devrait enquêter sur le fonctionnement de Wall Street dans son ensemble, et non sur les seules agences de notation.
latribune.fr