C’est inévitable, malheureusement : analystes et médias s’intéressent davantage aux problčmes qu’aux bonnes nouvelles. Une rčgle qui ne souffre pas d’exception, que confirme l’anniversaire symbolique du groupe EADS. Il a été constitué il y a 10 ans et, malgré des difficultés considérables, a bien rempli son contrat, dotant l’Europe d’une entreprise Ťglobaleť capable de tenir tęte ŕ des concurrents américains en quęte de suprématie.
Depuis sa création, EADS a beaucoup progressé. Son chiffre d’affaires, prčs de 43 milliards d’euros, a augmenté de 75%, ses effectifs atteignent aujourd’hui 119.500 personnes et, gage d’avenir, le carnet de commandes se monte actuellement ŕ 389 milliards d’euros. De quoi Ťvoir venirť.
En 1999, quand les événements se sont précipités, préparant une profonde restructuration de l’industrie aérospatiale et de Défense, la volonté de réussir un vaste regroupement transnational européen a créé une forme d’exaltation qui a occulté une partie des obstacles ŕ franchir. Heureusement d’ailleurs, sans quoi l’opération ne se serait sans doute pas faite. On a trop vite oublié qu’au-delŕ de la nouvelle logique voulue par un irrésistible mouvement de mondialisation, réunir Aerospatiale Matra, Deutsche Aerospace et Casa constituait un pari fou. Leurs activités étaient, certes, largement complémentaires, Airbus constituait un précieux dénominateur commun mais il s’agissait quand męme de marier l’eau et le feu.
Les Allemands exigeaient un groupe ŕ 100% privé, ne souffrant pas la moins ingérence étatique. La France, pour sa part, ŕ peine sortie de la logique de l’arsenal d’Etat, était pręte ŕ des concessions, certes, mais voulait conserver un poste d’observation privilégié au cœur de la nouvelle entité. D’autant qu’allait y ętre placé le volet industriel de la force de frappe nucléaire. Ce fut une affaire d’hommes, de visionnaires capables de faire preuve de diplomatie quand c’était indispensable. Et notamment, bien sűr, Jean-Luc Lagardčre le premier.
Aujourd’hui, dans le cadre d’une gouvernance qui a imperceptiblement évolué, y compris au niveau de l’actionnariat, EADS fonctionne sans heurts majeurs. Les 22,4% détenus par la France s’inscrivent dans une cohabitation public-privé, Sogepa et Lagardčre, une curiosité ŕ laquelle chacun s’est habitué. Elle subsistera aprčs le retrait annoncé de Lagardčre, une opération qui, symboliquement, marquera la fin d’une époque.
Reste ŕ parfaire l’oeuvre entreprise il y a 10 ans, ce qui n’est pas une mince affaire. Chacun a cru d’entrée qu’EADS constituait le prototype de la société européenne (et non pas apatride) prouvant éloquemment que l’union fait la force. Et cela malgré le puzzle des réglementations nationales, les problčmes de langues, les cultures souvent divergentes, voire contradictoires. Il a fallu déchanter ŕ plusieurs reprises quand des formes subtiles de nationalisme ont refait surface, faisant parfois de sérieux dégâts. Les problčmes de production de l’A380, dans cette optique, ont été douloureusement révélateurs.
La normalisation est en bonne voie, semble-t-il. Mais d’autres difficultés obscurcissent l’horizon. Celui de la parité euro/dollar, tout d’abord, trčs coűteuse en męme temps qu’elle échappe au contrôle des industriels. Si le billet vert pouvait se stabiliser ŕ sa valeur actuelle (un euro = 1,21 dollar), l’état-major d’EADS, Louis Gallois en tęte, poursuivrait sa route dans la sérénité. Mais une telle stabilité est probablement éphémčre.
Par ailleurs, la difficile sortie de récession conduit ŕ des mesures d’économies qui touchent les dépenses militaires. Toutes autres considérations mises ŕ part, tous les membres du complexe militaro-industriel risquent d’en souffrir et s’en inquičtent. Pour EADS, de telles perspectives posent d’autant plus problčme que le groupe reste dépendant de la bonne tenue de sa filiale Airbus (26,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2009). Airbus qui se porte relativement bien, au terme d’une crise grave des transports aériens, mais doit maîtriser simultanément les ultimes difficultés de production de l’A380, le développement de l’A350XWB, la modernisation de la famille A320 et la remise sur les rails de l’A400M.
Enfin, une question d’image intrigue. En Europe, y compris en France, EADS a la cote et illustre bien, ŕ sa maničre, les performances en męme temps que les ambitions d’un secteur haut de gamme. Aux Etats-Unis, en revanche, au-delŕ du respect dű ŕ un concurrent redoutable, EADS est souvent considéré comme français davantage qu’européen et empętré dans des contraintes étatiques. Pire, Airbus est fréquemment qualifié de consortium, référence ŕ un passé désormais lointain. Mieux vaudrait rectifier le tir, une tâche ardue.
Pierre Sparaco - AeroMorning