Article paru sur Le Post
En tant qu’ancien collaborateur de François de Grossouvre à l’Elysée, et témoin cité par l’auteure dans son ouvrage, je tiens à dire que “ "Le dernier mort de Mitterrand” " est un travail bâclé, rempli d’informations fausses ou déformées.
François de Grossouvre
L’auteure cherche à faire savoir que François de Grossouvre était un conseiller sans influence à l’Élysée, qu’il a trahi son Président bien-aimé et qu’enfin il s’est suicidé.
Je prétends bien au contraire que la carrière de François de Grossouvre, de la Résistance à l’Elysée, en passant par l’exercice de ses responsabilités comme chef d’entreprises et conseiller du commerce extérieur de la France, est éminemment respectable.
Que si François de Grossouvre s’est élevé contre les dérives du pouvoir mitterrandien, ce n’est pas par trahison mais par volonté de servir son pays et de préserver la fonction présidentielle.
Que les circonstances de son décès sont sujettes à de multiples interrogations.
Et que si sa famille et ses proches se sont tus jusqu’alors, c’est qu’ils ont dû s’effacer devant la raison d’Etat. Mais ils n’acceptent pas que, de nombreuses années plus tard, la mémoire de François de Grossouvre soit salie pour des raisons soit commerciales soit inavouables.
Je conteste, dans le livre de Raphaëlle Bacqué :
- en page 11, que F. de G. ait pu “ "marteler” " le sol “ "avec sa canne” ", car il n’utilisait jamais de canne.
- en page 14, que, “ "après 19 heures” ", il n’y avait presque plus personne à l’Elysée en 1994, alors que ce soir-là l’Elysée était truffé de monde pour l’interview du Président au Sidaction sur TF1.
- toujours en page 14, que le garde du corps Daniel Cerdan était un “ "grand gaillard” " car il était de petite taille.
- en page 15, que le même Cerdan ait pu “ "entendre ce bruit qui claque” ", le coup de feu, puisqu’il ne l’a pas déclaré dans le cadre de l’enquête de police.
- en page 22, que Michel Charasse vivait dans un “ "appartement privé, juste à côté du bureau de Grossouvre” ", il n’y en avait pas.
- en page 50, que “ "chaque 21 janvier, il se rend à la messe anniversaire célébrée pour la mort de Louis XVI” ", alors qu’il y est seulement allé quelques fois dans sa jeunesse.
- en page 52, que F. de G. “ "tient sa fortune de son mariage” ", alors qu’il est fils de banquier et que son beau-père, d’après l’auteure, “ "a marié ses trois filles à de grosses familles commerçantes” " (sic).
- en page 55, qu’on puisse affirmer que F. de G. “ "a lu avec passion” " Charles Maurras et, en page 56, “ "les discours du député patriote François Valentin” ".
- en page 57, que F. de G. s’ingéniait à faire croire qu’il “ "était infiltré au SOL” " et que c’était “ "embrouillé. Suspect. Retors” " alors que j’ai vu défiler dans son bureau de nombreux résistants parfaitement élogieux concernant son parcours pendant la guerre.
- en page 90, que F. de G. “ "se dit franc-maçon” " car il ne l’a jamais prétendu.
- en page 96, que F. de G. “ "a réclamé” " (et obtenu) que “ "les murs de son bureau soient capitonnés” ", seules deux portes l’ont été, il n’y avait pas de double vitrage et une cloison était si fine qu’on entendait tout de la pièce d’à côté, alors une salle de réunion.
- en page 100, que F. de G. ait proposé le nom de Pierre Marion pour diriger le SDECE renommé DGSE.
- en page 111, que Pierre Marion ait “ "dirigé Air France et Aéroports de Paris” " avant sa nomination à la DGSE.
- en page 144, que le “ "colonel Ahmed Dlimi” " était un “ "habitué” " des chasses présidentielles, puisqu’il était général et est mort en janvier 1983.
- en page 148, que les chasses à Chambord se terminaient par un dîner en “ "tenues de soirée” " alors que c’était en tenue de chasse.
- en page 153, que les relations de F. de G. avec Guy Penne étaient si mauvaises.
- en page 156, que Frédéric Laurent travaillait encore avec F. de G. en 1983, puisqu’il l’a quitté en janvier 1982.
- en page 160, que régulièrement F. de G. “ "réclame des avions du GLAM pour des missions” ".
- en page 161, que F. de G. ait été écarté de la décision d’expulser le 5 avril 1983 “ "quarante-trois diplomates soviétiques” ", qui en plus étaient quarante-sept…
- en page 163, que F. de G. “ "téléphone deux fois par jour” " à l’époque au ministre de l’Intérieur Pierre Joxe, alors que je peux témoigner que c’est faux.
- en page 164, que F. de G., “ "dans des cérémonies officielles, exige qu’on (me) place devant des ministres chevronnés” ".
- en page 171, que F. de G. était régulièrement affublé de nombreux surnoms, à l’exception de celui de duc de Guise.
- en page 182, que Jean-Charles Marchiani, collaborateur de Charles Pasqua, était “ "un ami” " de F. de G.
- en page 191, que François Mitterrand ait pu croiser sa conseillère Anne Lauvergeon ” " dans le couloir” ", puisqu’il n’y en avait pas entre leurs deux bureaux, accolés l’un à l’autre.
D’autres passages méritent un éclairage :
- en page 108, l’auteure cite un compliment de Mitterrand à F. de G. : “ "Quand Ben Ali a été élu président, Grossouvre a été la première personne qu’il ait appelé !” " Cette citation (volontairement non datée ?) démolit toute la thèse développée dans son livre selon laquelle F. de G. a été écarté dès le début du premier septennat, car le Président tunisien a été élu le 7 novembre 1987…
- en page 109, elle écrit que Mitterrand envoie F. de G. chez “ "ces petits monarques” " en évoquant notamment le Roi d’Arabie saoudite, alors que ce dernier est à l’époque le chef d’État le plus difficile à rencontrer sur terre.
- en page 143, elle prête à Mitterrand et F. de G. des propos totalement surréalistes concernant les deux princesses de Monaco, évidemment impossibles à prouver.
- en page 159, elle décrit une altercation entre Mitterrand et F. de G. au mariage de la fille de celui-ci, ce que la famille dément formellement.
- en page 167, elle soutient que F. de G. souhaite être promu au delà de son grade de colonel de réserve. Or le grade au-dessus, général de réserve, n’existe pas.
- en page 187, elle dit que seul F. de G. ne pousse pas Mitterrand à se représenter, ce qui est pour elle un “ "manque de clairvoyance” " doublé d’une “ "maladresse” " : elle aurait pu en conclure que c’était faire preuve de courage et d’abnégation ! Comment justifier alors que F. de G., “ "l’amoureux” " qu’elle décrit à longueur de pages, ne pouvait survivre sans sa position à l’Elysée auprès du Président, tout en reconnaissant qu’il voulait que Mitterrand, et donc lui, quittent l’Elysée en 1988 ?
- en page 190, elle évoque une rencontre “ "essentielle” " de Mitterrand à la veille de sa réélection en 1988 au domicile de F. de G. Elle en conclut que ce dernier n’a fait que servir de décor, alors qu’elle aurait pu, avec le même aplomb, convaincre le lecteur que F. de G. continuait décidément à jouer un rôle indispensable…
- en page 202, elle cite ces grands journalistes enquêteurs (ses modèles sans doute), des “ "types passés maîtres dans l’art du repérage” " pour, quelques lignes plus tard, écrire qu’ils étaient “ "envoûtés” " par F. de G. Les “ "maîtres” " apprécieront.
- en page 203, elle écrit que le “ "manuscrit” " des mémoires de F. de G. se résument à “ "quelques mots” ", et “ "sont gardés à Lusigny” ", alors qu’il a écrit de nombreux chapitres, auxquels des témoins, dont moi, ont participé, et qui furent conservés à son domicile parisien avant que l’Elysée ne les fasse disparaître.
- toujours en page 203, elle écrit que F. de G. a “ "entrepris de déballer la pelote qui pourrait politiquement le tuer” ". Que faut-il en conclure ?