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Peut-il y avoir un « impôt juste » ? (1)

Publié le 02 juin 2010 par Lecriducontribuable

Ci-dessous, la traduction réalisée par François Guillaumat de « Can there be a just tax ? », de l’économiste américain Murray N. Rothbard, article extrait de son livre Power & Market (désormais inclus dans Man, Economy and State).

L’article se décomposant en quatre parties (A, B, C, et D), nous publierons chaque jour une partie. Aujourd’hui, « L’impôt juste et le juste prix » (A) :

A.  L’impôt juste et le juste prix

Il n’existe aucun critère quantitatif de la justice

qui puisse être objectivement déterminé.

Pendant des siècles avant que la science économique ne fût élaborée,  les hommes ont tenté de trouver des critères du « juste prix ».  De toutes les innombrables éventualités,  presque infinies,  parmi les myriades de prix fixés jour après jour,  quel était l’ensemble  qu’il faudrait tenir pour « juste » ?

Peu à peu,  on en est venu à se rendre compte  qu’il n’existait aucun critère quantitatif de la justice  qui puisse être objectivement déterminé.

Supposons que le prix des œufs soit de 2 dollars la douzaine ; quel est le « juste prix » ?

Il est clair,  même pour ceux (comme le présent auteur)  qui croient à la possibilité d’une éthique rationnelle,  qu’aucune philosophie ou science possible de l’éthique ne peut livrer ni mesure ni critère quantitatifs de la justice.

Si le professeur X déclare que le « juste » prix des œufs serait de 1,8 dollars,  et si le professeur Y rétorque qu’il est de 3,5 dollars,  il n’y a aucun principe philosophique qui puisse les départager.  Ce fait-là,  même le plus fervent des anti-utilitaristes devra bien l’admettre. Ces diverses affirmations  se réduisent à un pur caprice arbitraire.

Le juste prix est le prix concret,  réel du marché,

non le prix d’équilibre final,  qui ne peut jamais apparaître dans le monde réel,

ni le « prix de concurrence parfaite »,  qui est une fiction imaginaire.

La théorie économique,  en identifiant  le modèle ordonné du processus d’échange volontaire,  a fait comprendre  que le seul critère objectif possible  du juste prix  est le prix de marché.

Car le prix du marché est,  à tout moment,  déterminé par les actions volontaires,  décidées d’un commun accord,  de tous les participants à ce marché. Il est la résultante observable de l’évaluation subjective et de tous les actes volontaires de chaque individu,  et il est donc le seul critère objectif de  » justice quantitative » qui existe en matière de prix.

Aujourd’hui,  pratiquement plus personne ne recherche explicitement le « juste prix »,  et on reconnaît généralement que la critique éthique doit porter un jugement qualitatif sur les valeurs des consommateurs,  non sur la structure quantitative des prix que le marché établit à partir de ces valeurs.  C’est le prix de marché qui est le prix juste,  étant donnée la configuration des préférences des consommateurs.

En outre, ce qui est le juste prix,  c’est le prix concret,  réel du marché,  non le prix d’équilibre final,  qui ne peut jamais apparaître dans le monde réel,  ni le « prix de concurrence parfaite »,  qui n’est qu’une fiction imaginaire.

Si la recherche du juste prix a pratiquement disparu dans les études économiques,  pourquoi la recherche d’un  » impôt juste » continue-t-elle avec cette vigueur persistante?

Pourquoi les économistes,  rigoureusement scientifiques dans leurs volumes,  se transforment-ils tout à coup  en philosophes moralistes amateurs lorsqu’on soulève la question de la fiscalité ?

Il n’existe aucun sujet de son domaine où l’économiste se fasse à ce point grandiose et moralisateur.

Or,  s’il n’y a pas du tout d’objection à ce qu’on discute de concepts normatifs  quand ceux-ci sont nécessaires,  c’est à condition que l’économiste se rende toujours compte :

(a) que la théorie  économique en elle-même  ne saurait établir de principes normatifs ÷ qu’elle peut seulement fournir,  en tant que données de fait,  des lois de l’existence à l’usage du moraliste ou du citoyen ;  et

(b) que toute importation de critères éthiques doit être fondée sur un ensemble cohérent de principes normatifs,  et non pas se borner à les introduire ad hoc dans l’esprit  du « tout le monde doit forcément être d’accord avec ça. »

Présupposer benoîtement que tout le monde serait d’accord  est l’une des manies les plus irritantes de l’économiste qui joue les moralistes.  Pour sa part,  cet ouvrage-ci n’est pas là pour fonder des principes normatifs. Il n’en est pas moins résolu à réfuter les principes normatifs  dans la mesure où on glisse ceux-ci sans examen,  ad hoc,  dans les traités d’économie.

Et un exemple en est cette recherche commune de « canons de la justice » en matière fiscale.

L’objection première à ces « canons » est qu’il faudrait d’abord que leurs auteurs commencent par démontrer que la fiscalité,  en elle-même,  serait juste.

Et si cela,  on ne peut pas le prouver,  et jusqu’ici cela n’a pas été fait,  il est clair que cela ne sert à rien de rechercher la « justice » de l’impôt.  Si la fiscalité en elle-même est injuste,  alors il est évident qu’aucune répartition de ses charges,  si ingénieuse soit-elle,  ne peut être déclarée « juste ».  Pour sa part,  ce livre ne présente aucune doctrine sur le caractère  juste  ou injuste de l’impôt.  En revanche,  nous exhortons les économistes soit à oublier le problème de l’ »impôt juste » soit,  du moins,  à élaborer un système normatif complet avant de s’attaquer de nouveau à ce problème.

Pourquoi les économistes n’abandonnent-ils pas la recherche de l’ »impôt juste » comme ils ont abandonné la quête du « juste prix « ?

Une des raisons en est que le faire pourrait avoir pour eux des conséquences indésirables.

On a abandonné « juste prix » au profit du prix de marché.  Peut-on abandonner l’ » impôt juste » en faveur d’un impôt de marché ?  A l’évidence non,  puisque sur  un marché  il n’y a pas  d’imposition,  et par conséquent aucun impôt ne peut être établi d’une manière qui reproduise les modèles du marché. Comme on le verra plus loin,  il n’existe pas et ne peut pas exister d’impôt « neutre »  ÷ un impôt  qui laisserait le marché libre et sans perturbation ÷ tout comme il ne peut pas exister de monnaie qui soit neutre. Les économistes,  et d’autres,  peuvent tenter de se rapprocher de la neutralité,  dans l’espoir de perturber le marché aussi peu que possible,  mais ils ne pourront jamais complètement y parvenir.


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