C’est son rêve habituel qui poursuit Mike Moran cette nuit-là : en costume bleu, il défie la gravité et accomplit des exploits en compagnie de ses deux acolytes, eux aussi des justiciers aux super-pouvoirs…
Mais le rêve n’en est pas un. Les exploits de Mike ont jadis défrayé la chronique alors qu’il pourchassait les criminels, près de 20 ans plus tôt.
D’où lui viennent ces pouvoirs prodigieux ? Qui a pu les lui enlever et le rendre amnésique ? Et surtout pourquoi ?
Autant de questions dont Mike n’aimera pas les réponses…
Miracleman est une étape fondamentale dans le processus de déconstruction du genre super héros qui caractérise l’œuvre d’Alan Moore et qui trouve son apothéose dans le très célèbre Watchmen. Au départ un produit de substitut pour l’édition britannique de Captain Marvel qui fut stoppée pour des raisons juridiques (1), Miracleman – alors appelé Marvelman (2) – connut neuf ans d’aventure sous la plume de Mick Anglo, de 1954 à 1963 ; mais des aventures typiques du style de l’époque, avec des scénarios simples et des personnages manichéens : en bref, un comics pour les gosses… Quand la série fut relancée en 1982, dans le magazine-anthologie Warrior, c’est un Miracleman radicalement nouveau qui jaillit de l’imagination féconde d’Alan Moore. Ni un reboot, ni une réinterprétation, mais bel et bien une appropriation complète du personnage et de son passé – et donc de sa symbolique profonde – par le nouveau scénariste qui y vit là une belle occasion de présenter le concept super-héros d’une manière alors jamais vue.
Ce que choisit Alan Moore était ni plus ni moins que de faire entrer les super-héros dans le registre du réel. Formuler autrement, il s’agissait de présenter de tels personnages comme si leur existence provoquait des répercussions sur le monde au lieu de les décrire comme s’ils menaient leurs aventures en quelque sorte en parallèle de cette réalité, sans influencer celle-ci d’aucune façon. Vous ne vous êtes peut-être jamais demandé comment évoluerait le monde si les fabuleuses inventions de Red Richards – c’est un exemple pris au hasard, j’aurais pu citer n’importe quel autre génie d’une cosmogonie de super-héros quelconque – si de telles inventions avaient reçu des applications concrètes dans la vie de tous les jours, mais Alan Moore s’est posé ce genre de question et Miracleman constitue une de ses quelques réponses à cette réflexion.
Car ici, ce qui attend la civilisation n’est rien d’autre que le règne des super-héros, c’est-à-dire la création d’une nouvelle Olympe où les surhommes prendront la place des dieux pour amener aux simples mortels un « Âge d’Or » à travers une technologie prodigieuse venue d’un autre monde – celle-là même qui permit jadis de transformer de simples humains en surhommes. L’originalité prend ainsi l’allure du révolutionnaire, du moins dans le registre encore restreint à l’époque du genre des super-héros, et au point qu’elle infléchira d’ailleurs l’évolution du domaine jusqu’à une date toute récente : voilà où prennent racine des productions de premier plan telles que Rising Stars ou The Authority, ou encore Kingdom Come…
Ce qui du reste n’a pas grand-chose à voir avec l’édition française dont il est question ici car elle fut publiée avant que ce cauchemar de fan voit le jour : si ce seul volume disponible en France se finit d’une manière assez peu satisfaisante (5), et même si la fraction d’histoire qu’il présente est assez indépendante pour se lire seule, il semble qu’en fait le manque d’ouverture d’esprit du public soit le principal responsable de l’échec de cette série chez nous – mais on y est habitué depuis longtemps…
(1) le personnage de Captain Marvel ressemblait trop à celui de Superman selon la Cour d’Appel américaine et son utilisation par Fawcett Comics fut interdite à partir de 1951 ; DC Comics en racheta la licence en 1972. ↩
(2) le nom fut changé en 1985 sur la pression de Marvel Comics qui ne souhaitait pas de confusion avec son propre nom. ↩
(3) les allusions au livre Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche sont nombreuses ; or à l’époque l’œuvre de cet auteur subissait encore un amalgame malheureux avec les doctrines du national-socialisme. ↩
(4) actuellement, c’est Marvel Comics qui détient les droits : une réédition est prévue pour ce mois-ci aux USA, ce qui permet d’espérer une version française… ↩
(5) ce jugement rapide est à prendre par rapport à l’ensemble de la série Miracleman : si ce premier volume est relativement décevant par rapport à l’histoire considérée dans son intégralité, il reste néanmoins très original et novateur une fois replacé dans le contexte de son époque. ↩
Miracleman, Alan Moore, Alan Davis & Gary Leach
Delcourt, octobre 1989
71 pages, entre 30 et 50 € (occasions seulement), ISBN : 2-906187-31-3