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Miracleman

Par Ledinobleu

Couverture de l'édition française du comics MiraclemanLondres, au début des années 80.

C’est son rêve habituel qui poursuit Mike Moran cette nuit-là : en costume bleu, il défie la gravité et accomplit des exploits en compagnie de ses deux acolytes, eux aussi des justiciers aux super-pouvoirs…

Mais le rêve n’en est pas un. Les exploits de Mike ont jadis défrayé la chronique alors qu’il pourchassait les criminels, près de 20 ans plus tôt.

D’où lui viennent ces pouvoirs prodigieux ? Qui a pu les lui enlever et le rendre amnésique ? Et surtout pourquoi ?

Autant de questions dont Mike n’aimera pas les réponses…

Miracleman est une étape fondamentale dans le processus de déconstruction du genre super héros qui caractérise l’œuvre d’Alan Moore et qui trouve son apothéose dans le très célèbre Watchmen. Au départ un produit de substitut pour l’édition britannique de Captain Marvel qui fut stoppée pour des raisons juridiques (1), Miracleman – alors appelé Marvelman (2) – connut neuf ans d’aventure sous la plume de Mick Anglo, de 1954 à 1963 ; mais des aventures typiques du style de l’époque, avec des scénarios simples et des personnages manichéens : en bref, un comics pour les gosses… Quand la série fut relancée en 1982, dans le magazine-anthologie Warrior, c’est un Miracleman radicalement nouveau qui jaillit de l’imagination féconde d’Alan Moore. Ni un reboot, ni une réinterprétation, mais bel et bien une appropriation complète du personnage et de son passé – et donc de sa symbolique profonde – par le nouveau scénariste qui y vit là une belle occasion de présenter le concept super-héros d’une manière alors jamais vue.

Planche intérieure du comics Miracleman
Avant de poursuivre, il faut peut-être rappeler que les histoires de super-héros de l’époque étaient toutes, au moins dans les grandes lignes, des copies plus ou moins carbone des autres. On y retrouvait de manière quasi-systématique les mêmes truismes qui se répétaient depuis des décennies sans jamais se renouveler vraiment, et c’est l’arrivée d’auteurs tels qu’Alan Moore et Frank Miller qui changèrent les choses – je laisse délibérément de côté des créateurs comme Art Spiegelman ou Gilbert et Jaime Hernandez dont le travail n’inclue pas le genre des super-héros à ma connaissance. À cette époque, des lecteurs nés dans les années 40 étaient à leur tour arrivés aux statut de créateurs et proposaient des visions du genre plus mûres, ou du moins plus en phase avec leurs propres aspirations narratives – certes elles aussi bâties sur les poncifs du genre mais néanmoins désireuses d’explorer d’autres horizons.

Ce que choisit Alan Moore était ni plus ni moins que de faire entrer les super-héros dans le registre du réel. Formuler autrement, il s’agissait de présenter de tels personnages comme si leur existence provoquait des répercussions sur le monde au lieu de les décrire comme s’ils menaient leurs aventures en quelque sorte en parallèle de cette réalité, sans influencer celle-ci d’aucune façon. Vous ne vous êtes peut-être jamais demandé comment évoluerait le monde si les fabuleuses inventions de Red Richards – c’est un exemple pris au hasard, j’aurais pu citer n’importe quel autre génie d’une cosmogonie de super-héros quelconque – si de telles inventions avaient reçu des applications concrètes dans la vie de tous les jours, mais Alan Moore s’est posé ce genre de question et Miracleman constitue une de ses quelques réponses à cette réflexion.

Planche intérieure du comics Miracleman
Il s’agit ni plus ni moins d’une attitude intellectuelle intrinsèque – et à ce jour exclusive – à la science-fiction : extrapoler les répercussions sur le cours normal des choses de l’apparition d’événements ou d’entités jusque-là inédites. Si la science-fiction littéraire examine l’impact des développements techno-scientifiques sur les modèles sociaux, Alan Moore a choisi d’explorer les conséquences de l’apparition de super-héros sur ces mêmes sociétés. C’est pour cette raison qu’il parle plus volontiers de surhomme que de super-héros dans ses productions se réclamant du genre – du moins quand il décrit de tels personnages comme nantis de super-pouvoirs – et tant pis si le terme portait encore à l’époque une connotation plus ou moins extrémiste (3) : cet homme aime bien bousculer les idées reçues, et puis dans le cas précis de Miracleman ce n’est pas hors de propos pour commencer de toutes façons.

Car ici, ce qui attend la civilisation n’est rien d’autre que le règne des super-héros, c’est-à-dire la création d’une nouvelle Olympe où les surhommes prendront la place des dieux pour amener aux simples mortels un « Âge d’Or » à travers une technologie prodigieuse venue d’un autre monde – celle-là même qui permit jadis de transformer de simples humains en surhommes. L’originalité prend ainsi l’allure du révolutionnaire, du moins dans le registre encore restreint à l’époque du genre des super-héros, et au point qu’elle infléchira d’ailleurs l’évolution du domaine jusqu’à une date toute récente : voilà où prennent racine des productions de premier plan telles que Rising Stars ou The Authority, ou encore Kingdom Come

Planche intérieure du comics Miracleman
Hélas – car il y a forcément un « mais » – Miracleman est aussi célèbre pour les nombreuses et tout aussi longues batailles juridiques qui entourent la franchise, et dont je n’ai évoqué pour le moment que les plus banales. Car cette licence a été achetée, puis vendue, entre deux distributions des droits à des personnes différentes, qui n’étaient pas toujours impliquées dans sa création d’ailleurs, jusqu’à ce que cet imbroglio rende impensable la réimpression de la série – de sorte qu’il est à présent impossible de se procurer l’ensemble sans engloutir une fortune… (4)

Ce qui du reste n’a pas grand-chose à voir avec l’édition française dont il est question ici car elle fut publiée avant que ce cauchemar de fan voit le jour : si ce seul volume disponible en France se finit d’une manière assez peu satisfaisante (5), et même si la fraction d’histoire qu’il présente est assez indépendante pour se lire seule, il semble qu’en fait le manque d’ouverture d’esprit du public soit le principal responsable de l’échec de cette série chez nous – mais on y est habitué depuis longtemps…

Planche intérieure du comics Miracleman

(1) le personnage de Captain Marvel ressemblait trop à celui de Superman selon la Cour d’Appel américaine et son utilisation par Fawcett Comics fut interdite à partir de 1951 ; DC Comics en racheta la licence en 1972.

(2) le nom fut changé en 1985 sur la pression de Marvel Comics qui ne souhaitait pas de confusion avec son propre nom.

(3) les allusions au livre Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche sont nombreuses ; or à l’époque l’œuvre de cet auteur subissait encore un amalgame malheureux avec les doctrines du national-socialisme.

(4) actuellement, c’est Marvel Comics qui détient les droits : une réédition est prévue pour ce mois-ci aux USA, ce qui permet d’espérer une version française…

(5) ce jugement rapide est à prendre par rapport à l’ensemble de la série Miracleman : si ce premier volume est relativement décevant par rapport à l’histoire considérée dans son intégralité, il reste néanmoins très original et novateur une fois replacé dans le contexte de son époque.

Miracleman, Alan Moore, Alan Davis & Gary Leach
Delcourt, octobre 1989
71 pages, entre 30 et 50 € (occasions seulement), ISBN : 2-906187-31-3


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